Trois ans après sa sidérante saison 1, “Life is Strange” est de retour avec de nouveaux personnages et de nouveaux décors, mais toujours le studio parisien Dontnod. Son premier épisode nous fait découvrir deux jeunes garçons d’origine mexicaine, Sean, 16 ans, et son frère Daniel, 9 ans, contraints de prendre la fuite sur les routes de l’Amérique de Donald Trump. Déjà très beau, il donne très envie de découvrir la suite.
En 1991, les cinéastes Jean-Marie Straub et Danièle Huillet réalisèrent une adaptation du mythe d’Antigone. Constitué uniquement de plans fixes et tourné en extérieur, ce film austère et magnifique réservait quelques surprises marquantes. Comme celle-ci : à un moment, un petit lézard fait son apparition sur un mur, au-dessus de la tête de Créon, et traverse le cadre comme si de rien n’était, tout à son activité ordinaire de lézard amoureux du soleil. Quelque chose de ce genre se produit aussi au cours du premier épisode de Life is Strange 2, successeur (plutôt que suite : les personnages ne sont pas les mêmes) de l’un des plus beaux jeux de ces dernières années. Cette fois, c’est un petit écureuil qui surgit dans le champ, traverse une route, fait une pause pendant que nos héros, deux frères en fuite sur la route américaine, se parlent de tout à fait autre chose. Concentré sur les deux garçons, on pourrait ne pas voir cet écureuil, ou estimer que son passage à l’écran n’a aucune importance. Sans pousser exagérément la comparaison entre le projet du trio formé par Raoul Bardet, Michel Koch et Jean-Luc Cano, les principaux auteurs de Life is Strange, et celui des Straub, on peut aussi juger cet écureuil révélateur, précieux et intéressant. En un mot : important.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Life is Strange 2 laisse donc derrière lui le destin de Maxine Caulfield, Chloe Price et, subsidiairement, Rachel Amber, revues depuis le premier Life is Strange dans le prequel (inégal, mais par moments très beau) Before the Storm. Tout semble même pensé pour prendre le contre-pied du jeu original : plutôt que deux filles, il nous offre deux garçons, qui sont frères plutôt qu’amoureux. Et après le récit ancré dans un lieu (la ville fictive d’Arcadia Bay), place à la dérive du road trip – on a failli écrire “road movie”. Ce qui ne change pas, en revanche, c’est la volonté de s’intéresser à la jeunesse et à ce que cela fait de grandir – comment, pourquoi, jusqu’où et qu’est qu’on perd ou gagne dans l’opération ? –, en particulier dans notre monde actuel. Et, aussi, dans ce but, le choix d’un passage par le fantastique.
Une œuvre qui regarde l’Amérique en face
Ce premier épisode est d’abord l’histoire d’un déraillement. Au début, tout va à peu près bien pour Sean et Daniel Diaz, respectivement âgé de 16 et 9 ans, qui vivent avec leur père dans un petit pavillon de Seattle. Le premier, que le joueur dirige, se prépare à aller à une fête le soir même. Il rassemble les affaires dont il pense avoir besoin (pack de bière ou Coca ? A nous de décider), cherche à obtenir un peu d’argent de son père qui, dans le garage, bricole la voiture destinée à devenir celle de Sean. Et rappelle sa copine Lyla pour faire le point sur tout ça. Puis survient un incident violent impliquant un voisin et un flic, qui se solde par plusieurs morts. Et par le départ des deux garçons, désormais suspects de meurtres. Au risque de déflorer un peu l’intrigue – mais cette découverte survient assez vite –, on révélera juste que c’est le plus jeune des deux frères, Daniel, qui, dans les moments de colère ou d’intense contrariété, déclenche des forces destructrices qui le dépassent, telle une Carrie mâle et latine.
Si des Français ont signé son scénario (mais, cette fois, avec la participation du duo Steve Gaynor – Karla Zimonja, auteurs de Gone Home et Tacoma), Life is Strange 2 est aussi une œuvre qui regarde l’Amérique en face et, depuis la sortie de son prédécesseur, quelque chose a changé là-bas : adieu Obama, bonjour Trump. Dès ce premier épisode, à travers notamment la présence d’un homme violent qui soupçonne nos héros d’ascendance mexicaine d’être des “illégaux” et plaide pour que soit “construit ce mur” (promis par Trump, entre les Etats-Unis et le Mexique), la trace de ce bouleversement imprègne le jeu. Ce n’est pas sa part la plus subtile, du moins à ce stade, mais, surtout dans un domaine comme le jeu vidéo souvent si rétif à l’engagement politique, il est parfois bon de se montrer clair et direct. D’autant que ces séquences ont le mérite de mettre en perspective ce qui arrive aux deux garçons. Ce n’est pas “juste” une aventure fantastique : c’est une histoire de l’Amérique d’aujourd’hui. On est curieux de voir où les prochains épisodes l’emmèneront.
Se libérer de l’obsession d’efficacité
Il y a peu, la fin du studio Telltale, avec le licenciement honteux, sans préavis et en une demi-heure, de la quasi-totalité de ses salariés, faisait les gros titres de l’actualité vidéoludique. S’ils se sont un peu perdus dans la surproduction de titres à licence (jamais nuls, pourtant), de Game of Thrones à Batman en passant par Les Gardiens de la galaxie ou Minecraft, qui donnaient bizarrement l’impression d’être à la fois trop (pour leur moteur de jeu) et trop peu ambitieux (car ils donnaient souvent l’impression de tourner un peu en rond), les développeurs de Telltale sont, avec quelques autres comme David Cage et ses camarades de Quantic Dreams (Beyond, Detroit…), ceux par qui le jeu d’aventure en tant que genre a trouvé un second souffle. Et aujourd’hui, c’est Life is Strange qui a pris le relais. Il n’est d’ailleurs pas si étonnant que le deuxième (et probablement dernier) épisode de la saison 4 de The Walking Dead façon Telltale lui rende presque explicitement hommage avec – attention SPOILER – une love-story entre filles qui cessent soudain toute activité narrativement “utile” pour regarder les étoiles ensemble. (Pendant ce temps, Life is Strange 2, fait un clin-d’œil à The Last of Us : on reste entre jeux de bonne compagnie.)
Car si Life is Strange s’est approprié la logique de choix potentiellement cornéliens (dans ce nouvel épisode, l’écran se scinde parfois en deux comme s’il se déchirait, ce qui dit assez l’état des personnages au moment de prendre ce type de décision), c’est d’abord par son rapport au temps qu’il a tout changé. En osant l’inaction, la contemplation, en invitant régulièrement le joueur à faire simplement s’asseoir son personnage pour qu’il regarde autour de lui (avec une utilisation subtile de la musique, aussi). En se libérant de l’obsession de l’efficacité, en encourageant le joueur à traîner, à habiter les lieux, à simplement (mais profondément) être là, attentif aux nuances, disponible et ouvert à tout ce qui pourrait subvenir – en ce sens, le jeu est aussi un héritier de Shenmue. Tout cela est encore bien présent dans ce premier épisode de Life is Strange 2. Les deux frères, dont la relation (qui prend aussi la forme d’une “éducation” du plus jeune) est centrale, s’allongent en plein air après avoir fait des ricochets (astuce : ne pas hésiter à laisser une activité se prolonger). Ou alors l’aîné s’installe pour dessiner. Ou, encore, ils s’amusent à danser sur les lits du motel pourri dans lequel ils ont trouvé refuge en écoutant un vieux Bloc Party. Et puis, donc, il y a cet écureuil straubien.
Ce n’est encore que le début, mais il est déjà plus que prometteur. Il est déjà très beau, dans l’instant qui se prolonge, le doux qui dure, s’enroule autour de nous et nous berce en nous secouant un peu aussi. Après l’éblouissement Life is Strange 1, la saison 2 est joliment lancée. Et le meilleur est probablement à venir.
Life is Strange 2 – Episode 1 : Roads (Dontnod / Square Enix), sur PS4, Xbox One et PC, 7,99€
{"type":"Banniere-Basse"}