Ils ont fui la Libye ou la Tunisie. Certains continuent la lutte depuis la France. Tous craignent que l’asile ne leur soit plus accordé.
Le sourire confondant est contredit par la détermination du regard. Salha Shtui est en guerre et elle a développé la même opiniâtreté jusqu’au-boutiste que les rebelles de Benghazi, ville dont elle est originaire.
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A 29 ans, dont sept déjà passés en France, cette militante a fondé le Collectif libyen du 17 février, au lendemain du soulèvement armé de la capitale de la Cyrénaïque, à l’est du pays. Avec ses petits moyens, elle veut participer à la chute du tyran de Tripoli. « On nous raconte que les frappes occidentales ont démoli les villes. Lui, ça fait quarante-deux ans qu’il nous démolit. » La première action de Salha la rebelle : manifester plusieurs jours d’affilée en février à Paris, devant la mission diplomatique libyenne, rue Chasseloup-Laubat, dans le XVe, pour réclamer le départ de l’ambassadeur. Puis occuper la mission nuitamment. « J’avais alerté la presse. Pas mal de journalistes sont venus. On avait déployé une banderole qui disait ‘Dégage !’ Puis on est montés à plusieurs sur le toit et on a menacé d’un suicide collectif si on nous expulsait. » Au matin, l’ambassadeur et son homologue auprès de l’Unesco démissionnaient.
Salha a été menacée. » Kadhafi a des agents ici, assure-t-elle. Souvent de faux étudiants. J’ai reçu des appels d’intimidation. J’ai été suivie. J’ai dû déposer une main courante à la police. » Ce matin-là, la queue est longue devant le centre d’accueil de France terre d’asile (FTDA), rue Doudeauville, dans le XVIIIe arrondissement parisien. Africains de tous bords, quelques Asiatiques et une majorité de Maghrébins, dont des Tunisiens. Tous sont demandeurs d’asile et, d’abord, d’un hébergement.
Dans la salle d’attente bondée, la tension est palpable. On avise Saleh, un jeune Libyen de 26 ans au visage émacié. L’interprète lui propose de parler au journaliste. Saleh refuse avec un maigre sourire. Ses yeux disent la peur.
A défaut, on rencontre un « vétéran » de l’exil, Ahmed. Cet ingénieur diplômé, originaire de Tripoli, a eu le malheur de se trouver embarqué dans une rafle par la police secrète. Puis d’être battu comme plâtre. Une fois libéré, il a pris un billet pour la France où il vit depuis dix ans, sans papiers, survivant de petits boulots dans le bâtiment. Il hésite à demander l’asile, craignant de ne plus pouvoir retourner voir ses parents en Libye.
Pour le moment, les demandeurs d’asile libyens restent peu nombreux. Mais les réfugiés affluent dans les camps du sud tunisien. Fuyant les pénuries, les pilonnages de l’artillerie du « Guide » ou, pour certains, un enrôlement forcé dans l’armée de celui-ci, 50 000 auraient passé la frontière depuis début avril ! Cela fait autant de candidats à l’émigration clandestine via Lampedusa ou les plages siciliennes. Au même moment, Sarkozy et Berlusconi se mettent d’accord sur une levée exceptionnelle des accords de Schengen sur la libre circulation des personnes dans l’espace européen, le temps de renvoyer tout ce petit monde chez lui. Le 1er juin, FTDA s’inquiétait dans un communiqué d’une récente circulaire de l’Intérieur réduisant brutalement à peau de chagrin l’assistance juridique et sociale et l’accès à un hébergement d’urgence pour les réfugiés.
On a peur pour tous ces exilés qui rêvaient d’un autre monde. Renvoyer les Tunisiens chez eux, comme le suggèrent certains politiques, serait assez infect. Dans le cas des Libyens, ce serait juste monstrueux : les condamner à une mort certaine. « La France ne fera jamais ça », ose le timide Ahmed. Et Salha de conclure : « De toute façon, Kadhafi a déjà perdu la guerre. »
Pascal Dupont
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