Le poète et écrivain chinois, Liao Yiwu a été condamné à quatre ans d’emprisonnement de 1990 à 1994, pour incitation et propagande contre-révolutionnaire après avoir écrit Massacre, un poème revenant sur les événements de Tiananmen en 1989. Témoignage bouleversant de ces années dans les geôles chinoises, Dans l’empire des ténèbres est un manuscrit quasi-miraculé. Interview.
Dix huit ans se sont écoulés depuis votre sortie de prison. Aujourd’hui, vous publiez un livre de 661 pages sur ces quatre années d’enfer. Que s’est-il passé entre temps ?
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J’ai commencé, en 1990, au tout début de mon arrestation au centre de détention- où il recevait un papier et un stylo deux heures par mois-en écrivant un petit poème que j’ai caché dans la reliure d’un livre. J’ai continué pendant ces quatre années sur de minuscules morceaux de papier que j’ai réunis à ma sortie. Fin 1995, la police chinoise m’a confisqué mon manuscrit, qui a fini au pilon. J’ai repris l’écriture et trois ans après, ils ont recommencé. Je me suis obstiné, mais je devais absolument publier ce livre. Il fallait que je témoigne pour montrer la Chine d’aujourd’hui, cette réalité éprouvante que les gens n’ont pas à vivre. Surtout, écrire était un moyen de convalescence, une façon de me laver du mal pour retrouver la santé mentale. C’est un moyen de résistance, à tous les sens du terme finalement.
Justement, vous parlez de résistance mais vous dites que vous n’êtes pas politisé. Quelle forme prend cette résistance si elle n’est pas politique ?
C’est surtout une lutte contre l’oubli, pas une lutte politique. J avais peur que l’épisode historique de Tian’anmen soit oublié et moi, j’avais peur d’oublier l’horreur dans laquelle il m’avait conduit, alors j’ai noté.
Au tout début d’ailleurs, quand j’ai commencé à écrire, je n’avais pas pensé aux conséquences, je ne pensais pas qu’il y aurait autant d’impact en France, en Allemagne.
Et puis, vous savez il ne suffit pas de mener un combat politique en Chine pour être emprisonné. Il y a plein de gens, comme les moines par exemple- qui le sont et ne sont pas politisés !
Il y a des passages très durs dans le livre, mais vous parvenez à faire preuve d’énormément d’humour malgré cela, en donnant des surnoms à vos bourreaux, en vous moquant…
Oui, c’est, avec l’idée du jour où j’allais partir, ce qui me faisait tenir. Et puis, vous ne le savez peut-être pas mais en Chine, nous, les sichuanais, sommes très connus pour ça. Pour notre humour et pour notre alcool, le plus fort de tout le pays ! Si il n’y avait pas le parti communiste la province du Sichuan serait devenue un peu comme la France (il rit ), un pays d’alcool !
Dans ce qui vous faisait tenir, il y avait aussi la musique. Elle a toujours eu une place particulière dans votre vie.
Quand j’étais jeune c’est Bob Dylan qui me plaisait maintenant je me tourne vers la musique poétique ! Mais oui, elle a toujours été là. Je vais vous raconter une histoire. En allemand le livre est traduit « une chanson et cent chansons », le titre rappelle une des scènes de détention. Un jour, en prison, je chantais et les matons m’ont entendu. J’avais oublié que c’était interdit, j’ai enfreint le règlement de la prison. Ils sont donc venus me chercher et m’ont dit “si tu aimes chanter, eh bien tu vas nous chanter cent chansons“. C’était l’été, il faisait extrêmement chaud, je n’avais pas le choix. Après une trentaine de chansons, je ne pouvais plus, j’avais mal à la gorge. Ils m’ont dit “t’es encore loin des cent chansons, on te donne une opportunité tu ne la saisies pas“. Là, cinq personnes m’ont mises à terre et ils m’ont électrocuté et introduit une matraque électrique dans l’anus en me disant “vas-y maintenant chante“. Je ne me souviens plus bien, j’avais l’impression d’être une poupée électrifiée, mais je crois avoir chanté une chanson, au moins une partie. Apres cette punition j’avais perdu cette capacité à chanter. Un an et demi plus tard, je suis arrivé dans une autre prison, j’ai entendu la musique d’une émission à la télé chinoise, et c’est là que je me suis aperçu que ca faisait très longtemps que je n avais pas chanté. J’étais extrêmement triste. Alors, j’ai rencontré en prison la personne qui m’a appris à jouer de la flute. J’ai appris pendant un an avec lui et petit à petit le chant est revenu. A ma sortie, c’est d’ailleurs ce que j’ai fait-chanter et jouer de la flûte- dans les bars, pour survivre.
Quand on vous lit votre témoignage en détention, on ne peut pas s’empêcher de ne pas penser à l’archipel du goulag de Soljenitsyne. Il a joué un rôle dans votre écriture ?
Biensûr, c’est un auteur extraordinaire. Il a eu une très grande influence sur moi. Mais je n’ai pas eu la même « chance » que lui si je peux dire. A l’époque, l’URSS représentait un grand danger pour l’Occident. Aujourd’hui les pays occidentaux font du commerce avec la Chine ils n’ont pas le même ressentiment vis-à-vis du parti communiste chinois. Publier un livre comme L’empire des ténèbres à une époque comme la nôtre, n’est vraiment pas une bonne idée !
Le 15 novembre dernier Xi Jinping a remplacé hu jintao à la tête du parti communiste en Chine. Est-ce que selon vous, les choses comme la censure peuvent changer en Chine ?
Allez poser la question à votre président ! Ils ont dit plusieurs fois que ca allait changer. Même si ils le disent on constate que ca ne bouge pas.
C’est pour ça que vous avez choisi l’exil et vivez à berlin depuis novembre 2011 ?
Le parti communiste chinois m’a donné deux choix : “tu publies ton livre et tu vas en prison ou tu publies pas tu meurs de faim“. Je n’ai fait aucun des deux choix.
Le parti communiste chinois n’a pas besoin que le peuple soit heureux. Plus le peuple est heureux plus ca les rend furieux. Plus ils sont joyeux plus le peuple est en colère.
On dit souvent que les écrivains en exil ont peur que leur inspiration s’estompe.Est-ce votre cas?
Mon travail est de noter. Et la vie en exil m’apporte constamment de nouvelles surprises. Depuis,j’ai énormément voyagé et vu des choses surprenantes. Récemment, mon livre a été publié au Mexique et quand je suis arrivé à l’aéroport de Mexico, je n’aurais jamais pensé être accueilli par des policiers. Pourtant ils étaient là, tous armés. J’avais sept ou huit garde du corps en tout. Alors, je me suis demandé “Suis-je un écrivain ou un mafieux ?“ plus tard, j’ai appris que le gouvernement avait reçu des pressions de la Chine mais ils ont choisi de maintenir mon invitation. Les mexicains m’ont donné le sentiment qu’ils disposaient d’une grande liberté. Parfois, ils s’opposent aux Etats-Unis, cette fois, ils l’ont fait face à la Chine.
Vous voulez dire que l’Occident pourrait inspirer votre prochain livre ?
C’est fort probable que mon prochain livre porte là-dessus, notamment sur les chinois en Europe. Je les observe. Ici, à Paris, par exemple, les touristes chinois entrent aux galeries Lafayette comme des troupes de l’armée chinoise.Et puis il y al es autres.
Quand je suis allé rencontrer la ministre de la culture Aurélie Filipetti et que la rencontre a été annulée à la dernière minute. J’ai rencontré, par hasard, aux alentours du ministère, un de mes amis que je n’avais pas vu depuis des années. C’était un des leaders étudiants de la révolte de 1989. A cette époque-là, il avait réussi à se sauver jusqu’en France. Je ne l’avais pas reconnu et lui non plus d’ailleurs, il est devenu fou. Il m’a montré ses dents qu’il n’avait plus, n’avait pas dormi depuis dix jours et nous a demandé de l’argent. Il l’a pris et est parti, en titubant. A ce moment-là j’ai vu le ministère de la culture, son architecture et son côté très riche. Quel contraste ! Mais finalement, le fait que la ministre annule mon rendez-vous et que je tombe sur cet homme, ca se lie, et ca me renforce.
C’est ce genre d’itinéraires et d’histoires que j’aimerais raconter.
Vous êtes publiés en France, en Allemagne, au Mexique bientôt aux Etats-Unis. Mais de Chine quels échos recevez-vous ?
En Chine mes livres sont vendus sous le manteau, par des marchands à la sauvette et se vendent très bien je crois (juste derrière les pornos et les livres politiques !) Mais sur Twitter et sur certains blogs cela va très vite. Je crois que tous mes amis sont très contents. Mon souhait maintenant serait que d’anciens prisonniers chinois puissent le lire.
Comment avez vous réagi quand vous avez appris que Mo Yan-qui n’a pas hésité à minimiser le niveau de censure en chine- avait reçu le prix Nobel de littérature en décembre dernier ?
Ma première réaction a été de me dire que le parti communiste avait reçu le prix. Ils étaient tellement contents ! Or, comme je vous l’ai dit, quand le parti communiste est très content c’est mauvais signe !
Merci a marie Holzman et Nicolas U pour la traduction.
Dans l’empire des ténèbres de Liao Yiwu, François Bourin Editeur, collection Les Moutons Noirs, 661 pages. En librairie.
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