A l’appel de la CGT et de Solidaires, plus de 15 000 personnes étaient dans les rues parisiennes, jeudi 19 avril, pour une manifestation interprofessionnelle visant à “la convergence des luttes” contre la politique gouvernementale. Cheminots, étudiants, personnels soignants ou encore postiers entendaient montrer que “l’avenir appartient à ceux qui luttent”.
En ce moment, au Théâtre de Poche de Montparnasse, se joue La Révolte, une adaptation de la pièce du même nom d’Auguste de Villiers de L’Isle-Adam. L’histoire, parue en 1870, débute ainsi : une jeune femme, éprise de liberté et en quête d’une vie nouvelle, quitte son mari, un banquier ambitieux dont elle ne partage plus les valeurs. Elle finira par revenir, incapable de suivre l’idéal qu’elle recherchait.
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En passant devant cet établissement non loin de la Tour Montparnasse, jeudi 19 avril, à Paris, on a d’abord noté le nom de ce spectacle parce qu’il nous semblait en adéquation avec ce qui nous entourait : des gens en révolte. Puis, en allant par curiosité voir de quoi il parlait – n’est pas critique théâtre qui veut – on s’est dit qu’il rentrait curieusement en résonance avec la présence de toutes ces personnes dans la rue. Au fond, ces dernières pourraient tout à fait incarner la jeune femme de la pièce, et le président Emmanuel Macron, l’(ex-) banquier qu’elles souhaitent quitter. Mais, a contrario de l’héroïne du spectacle, réussiront-elles ?
« Avril rampant, mai explosif »
Car si 15 300 manifestants (selon un comptage indépendant réalisé par un collectif de médias) étaient dans la rue par cet après-midi ensoleillé, c’était bien pour dénoncer la politique du chef de l’Etat, accusée dans un tract “d’instaurer, par la force, une société toujours plus injuste, toujours plus inégalitaire parce qu’uniquement tournée vers l’enrichissement des plus riches”. A l’appel de la CGT et de Solidaires, cheminots, salariés, étudiants ou encore personnels soignants et postiers ont défilé pour cette manifestation interprofessionnelle, la première depuis celle du 22 mars, qui avait été plus suivie. Des membres du black bloc, également présents, se sont lancés en tête de cortège dans de réguliers affrontements avec les forces de l’ordre et causé des dégradations. Au milieu des slogans et des pancartes : “Macron fait son Bachar à la Zad”, “avril rampant, mai explosif”, “les agitateurs professionnels sont au gouvernement”, un plus trivial “Start-up nation, mon cul !” ou un drôle “Benzema contre la sélection” – une idée était sur toutes les lèvres : celle de la fameuse “convergence des luttes”.
Un slogan résumait bien l’état d’esprit de tous : “L’hôpital déraille, Macron perd ses facultés”. A l’heure où la grève à la SNCF se poursuit – avec certes un taux de grévistes en baisse -, où plusieurs facs sont bloquées en France et où d’autres secteurs professionnels ont rejoint le mouvement social – hôpitaux, personnels de l’Education nationale, employés du secteur de l’énergie, postiers… – tous ne veulent “rien lâcher”. Et, surtout, unir leurs forces, comme nous l’explique Quentin, 30 ans, un cheminot syndiqué chez Force Ouvrière (et présent, donc, malgré le scepticisme du secrétaire général du syndicat Jean-Claude Mailly, qui avait annoncé ne pas se joindre au mouvement).
» Au-delà de notre grève à nous, c’est pour une défense globale du service public que l’on se bat. Il y a un malaise au niveau national, ça devient fou. Macron veut nous faire un système à l’Américaine. Bientôt, il faudra payer 4 000 euros pour l’opération de l’appendicite de son gamin ! «
Aiguilleur, il s’inquiète de l’ouverture à la concurrence prévue par la réforme de la SNCF : “En tant que service public, on défend la sécurité avant la régularité. Avec l’ouverture à la concurrence, on va être dans une logique de rentabilité plutôt que de sécurité”. En grève depuis le début du mouvement, il perd 131 euros par jour non travaillé. Mais, selon lui, c’est important de ne pas baisser les bras : “Si on ne se bat pas aujourd’hui, le chemin de fer et le service public tels qu’on les connaît aujourd’hui vont mourir”.
« Ce qui s’annonce, c’est la loi de la jungle »
Même discours du côté de Franck, secrétaire adjoint de la CGT Energie 77 : “Si demain on n’a plus de services publics, comment on va faire ?” Outre les syndicats, des partis et mouvements politiques sont aussi présents dans le cortège, à l’instar du PCF, de LO, de Génération-s ou de la France insoumise. Danielle Simonnet, LFI, nous explique ainsi que “cette journée est importante”. “Emmanuel Macron n’arrête pas d’insinuer qu’il n’y a aucune ‘coagulation’ dans ce pays. Qu’il sorte dans la rue voir ! Il y a un lien entre ce qu’il se passe chez EDF, la SNCF, la Poste : une dégradation des services publics, une souffrance au travail énorme.” Celle qui était présente à la récente réunion à la Bourse du travail organisée par François Ruffin – où le réalisateur de Merci Patron! avait appelé à un “débordement général” le 5 mai – espère que “la convergence continuera à se construire à cette occasion”… Même si elle ignore si le mouvement pourra faire plier le gouvernement.
D’autres personnes rencontrées dans la foule nous assurent qu’elles seront aussi présentes le 5 mai, à l’instar de Stéphane, syndiqué chez SUD Rail. Pour ce conducteur de train à la gare Saint Lazare, une union des forces est ce qui pourrait faire plier “le dogme libéral actuel, qui détruit tout” :
» Ce qui s’annonce, c’est la loi de la jungle : seuls les meilleurs vont s’en sortir, alors qu’existent des déterminismes sociaux. Tout le monde restera cantonné à sa condition de naissance. «
Stéphane fait ici référence à la loi Vidal, instaurant Parcoursup, accusée d’organiser la sélection à l’université. De nombreux étudiants étaient présents dans le cortège, qu’ils soient issus de Tolbiac – évacuée dans par les autorités dans la nuit de jeudi à vendredi – Diderot ou encore Sciences-Po, où un blocage a commencé mercredi. Juliette et Lucie y sont en double cursus, partageant le reste de leurs cours à Paris IV. “On est contre cette réforme qui va créer une hiérarchie entre les facs”, nous explique Juliette, pour qui il n’est pas incompatible de soutenir le mouvement tout en étudiant dans l’établissement de la Rue Saint-Guillaume – cela a pu leur être reproché. Lucie abonde : “On nous pose le problème de la légitimité, comme notre école est sur concours. Mais nous, en soi, on veut que la fac reste accessible à tout le monde !” Les deux jeunes filles de 18 ans se prononcent également pour la convergence des luttes.
« Le seul moyen, c’est de s’unir »
Idem du côté de Bart, 21 ans, étudiant en histoire à Nanterre. Ce jeune militant de l’UNEF et du NPA estimait important “de sortir de la fac et d’aller dans la rue, aux côtés des autres secteurs : on a chacun nos luttes, mais si on veut chacun gagner, le seul moyen, c’est de s’unir”. Ayant participé au blocage de son université, il “comprend qu’il puisse y avoir un petit énervement” chez les étudiants n’étant pas partisans de cette méthode. Il pense malgré tout que “pour autant, on peut réussir notre année” et que, “avec cette réforme, il sera bien plus compliqué de valider”. Et d’évoquer “les lycéennes et lycéens qui ne pourront pas accéder à l’université après cette réforme”, et la solidarité avec les autres universités, à l’instar de Tolbiac.
Mais si les facs se soutiennent entre elles, les différents secteurs en lutte aussi, comme nous l’explique Fabienne, postière dans le 92 aux côtés de Gaël Quirante, leader syndical chez SUD dont le licenciement controversé de la Poste a été validé par la ministre du Travail. Derrière ses lunettes ornées d’un petit coeur en strass, elle distribue des tracts annonçant un “banquet interluttes” à Tolbiac, samedi, dont l’argent récolté servirait à alimenter les caisses de grève. En grève, Thomas, syndiqué à la CGT Cheminots, l’est depuis le début du mouvement. S’il ne “pense pas que Macron pliera”, par principe, il pense qu’“il vaut mieux faire quelque chose et, au moins, se faire entendre”. Après tout, non loin de là, sur un mur, il est noté “On ne naît pas vivant, on le devient”.
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