L’autorité indépendante chargée de défendre les citoyens victimes d’abus policiers va disparaître, intégrée au nouveau Défenseur des droits. Le président de la CNDS, Roger Beauvois, s’inquiète du manque d’ambition de la réforme et revient sur huit ans de recommandations.
Les missions de la CNDS vont être transférées au Défenseur des droits : qu’est-ce que ça change ?
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Aujourd’hui, la commission se compose de quatorze personnes. Leur mode de désignation garantit une indépendance totale. Les origines sont très diverses : magistrats, juristes, universitaires, un professeur de médecine légale, un ancien directeur des services de la police, un ancien directeur de l’administration pénitentiaire… Le Défenseur des droits, lui, aura une compétence très large. Il sera assisté de trois personnes, désignées par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat, donc les autorités politiques. Elles seront choisies en fonction de leurs compétences en matière de sécurité. Le problème c’est qu’il n’y a pas seulement la sécurité, mais aussi la déontologie de la sécurité : c’est ce qui nous préoccupe à titre principal. Je ne doute pas que ces personnalités seront, dans leur esprit, indépendantes. Mais il ne s’agit pas seulement de l’indépendance subjective, il y a aussi l’image qu’on renvoie, l’image que les citoyens se font de l’indépendance. S’ils prennent position pour tel fonctionnaire, on pourra toujours les soupçonner d’avoir obéi à des instructions.
Le Défenseur des droits apporte quand même une amélioration : la saisine s’élargit à tous les citoyens, alors qu’il fallait jusqu’à présent passer par un parlementaire.
C’est un progrès. Mais il suffisait de changer le mode de saisine de la CNDS, et d’augmenter ses moyens pour faire face à une hausse du nombre de demandes.
Comment expliquez-vous la suppression de la CNDS ?
D’abord la Constitution a créé ce Défenseur des droits, qui apparait effectivement comme une avancée démocratique. C’est une sorte d’ombudsman chargé de régler les différends entre les administrations et les citoyens, l’idée est bonne. Mais cette nouvelle institution n’offre par les mêmes garanties que la CNDS. Il n’est pas à exclure non plus que la CNDS gêne – c’est son rôle d’ailleurs – par ses avis, ses recommandations, les critiques envers telle ou telle administration régalienne. Et il y a une hostilité de certains syndicats de police.
On vous accuse de mettre votre nez dans les affaires de la police ?
C’est un peu ça oui.
Est-ce que vous avez l’impression, en huit ans, d’avoir eu une influence sur le comportement des forces de sécurité ?
Certaines de nos recommandations concernent des personnes déterminées, des fonctionnaires dont nous estimons qu’ils ont manqué à leurs devoirs. Nous demandons l’ouverture de procédures disciplinaires ou l’application de sanctions. Nous sommes très peu suivis. Très souvent, aucune procédure n’est ouverte, ou les sanctions prononcées sont ridicules. Par contres, les recommandations d’ordre général ont été souvent suivies. Par exemple sur les fouilles à nu ou les menottages, des ministres ont donné des instructions qui correspondent tout à fait à ce que nous avons recommandé. Reste à savoir si elles sont appliquées. C’est très lent, mais je crois qu’à terme ça aboutit. Autre point favorable : dans les écoles de police l’enseignement de la déontologie a pris beaucoup d’importance. L’an dernier nous avons eu 152 saisines pour toute l’année, cette année nous en sommes déjà à plus de 200. Dans la mesure où les citoyens savent qu’ils peuvent avoir un recours ça ne peut qu’améliorer les choses.
Pendant huit ans, avez-vous travaillé sereinement ?
Il y a un cas précis dans lequel nous n’avons pas pu faire ce que nous souhaitions faire, c’est-à-dire aller voir dans quelles conditions était hospitalisé un évadé qui avait été blessé dans un échange de coups de feu avec la police. Un parlementaire nous avait saisi, en expliquant que l’homme était menotté au lit, ce qui est inadmissible. Cela fait partie des droits de la CNDS de procéder à des investigations sur place immédiatement. Il y a eu une véritable entrave à notre fonctionnement. Le rapporteur n’a pas pu voir le malade. C’est un cas d’opposition délibérée aux investigations de la commission. Mais la plupart du temps, les obstacles que nous rencontrons viennent des délais. Nous demandons par exemple la copie d’une procédure, de procès-verbaux dressés par la police, d’une enquête de l’IGS, et il faut attendre, parfois faire plusieurs rappels. En général nous obtenons les pièces que nous désirons.
En exergue de votre bilan 2009, vous citez Montesquieu : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Quel message vouliez-vous faire passer ?
Tout homme qui dispose d’un pouvoir est tenté d’en abuser. Personne n’échappe à ce risque. Il ne peut être arrêté que par des barrières personnelles ou professionnelles : le risque de sanction, une éthique développée, etc. Ou par un contre-pouvoir. La commission de déontologie en est un.
Sans la CNDS, il manquera un contre-pouvoir aux forces de police ?
Je ne dis pas ça, mais le défenseur des droits aura moins de possibilités d’actions que nous n’en avons actuellement.
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