Des groupuscules multiplient manifestations et actions sur le net pour imposer leur vision de la culture. Des manoeuvres favorisées par un climat politique propice à tous les dérapages réac.
Galvanisée par la politique ultrasécuritaire du gouvernement, l’extrême droite signe également son grand retour sur le front de la culture. La semaine dernière, le magazine Valeurs actuelles titre en une ce slogan moins inoffensif qu’il n’y paraît : “Art contemporain – le temps des bouffons.” En vrac, une attaque dans un dossier de huit pages de l’installation de Christian Boltanski au Grand Palais et des oeuvres de Maurizio Cattelan.
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Mais ces critiques viennent surtout prendre le relais des polémiques déclenchées contre l’exposition Murakami à Versailles par des groupuscules d’extrême droite dont l’anonymat et le flou identitaire masquent mal les visées idéologiques. Déclenchée par un mouvement présidé par Arnaud-Aaron Upinsky, fondateur en 2007 de l’Union nationale des écrivains et auteur d’une très perverse Enquête au coeur de la censure publiée en 2003 (un comble pour celui qui se vante d’avoir participé au démantèlement des sculptures de Richard Serra aux Tuileries), la polémique versaillaise fantasme sur le caractère “pornographique” des sculptures pourtant bien innocentes de Murakami, et dénonce “la pollution visuelle”, “le désordre mental” et, sur un air xénophobe assumé, l’intolérable “choc des cultures” engendré par le parachutage de l’art contemporain dans les appartements royaux.
La désinformation fait partie de l’arsenal : ainsi l’association se vante-t-elle d’avoir fait supprimer cet été au palais de Papes d’Avignon les masques sculptés par l’artiste Miquel Barceló, et qui recouvraient des gisants médiévaux – sauf qu’ils sont bien en place et toujours exposés. De bien vieilles ficelles en somme, que ces agitateurs isolés manient avec dextérité, usant et abusant d’opérations coup de poing médiatiques – telle cette fausse exposition d’art contemporain organisée devant les grilles du château de Versailles le jour du vernissage.
Nouveauté, ils usent également de la puissance des réseaux sociaux, Facebook en tête. En effet, pas besoin de chercher bien loin (profil de l’administrateur de la page Facebook, réseau de friends et autres communautés) pour découvrir chez ces “puristes de l’art” de sérieuses accointances avec le FN, “Le Pen et le renouveau français”, ou des groupes qui s’intitulent “Fan de la jeunesse identitaire” ou qui conspuent “le racisme antiblanc.”
L’affaire n’en reste pas là, d’autres médias prennent le relais de ces premières attaques, la stratégie de la toile ayant permis une couverture médiatique sans précédent (télévisions, presse nationale et étrangère, la fronde versaillaise ayant été retransmise jusqu’à Los Angeles et Tokyo). Et dans la foulée, ce sont les sempiternels dénonciateurs de “l’art comptant pour rien” qui refont surface : l’ancien ministre Luc Ferry, longuement interviewé par Valeurs actuelles, et l’académicien Marc Fumaroli, interrogé à la radio.
Certes, la situation n’est plus la même qu’au milieu des années 1990, et la prétendue “crise de l’art contemporain” décrétée à l’époque n’est plus de mise, maintenant que l’art a regagné sa crédibilité, tant auprès du public nombreux des musées, expositions et autres Nuits Blanches qu’auprès des puissances financières, frappées de collectionnite aiguë. Reste qu’en matière de culture il n’y a pas de situation acquise, et que ces attaques renouvelées installent une ambiance délétère.
Les arts plastiques ne sont pas les seuls concernés : côté cinéma, c’est le film sur la guerre d’Algérie de Rachid Bouchareb, Hors-la-loi, présenté en mai à Cannes, en salle le 22 septembre, qui suscite la fureur de plusieurs collectifs de pieds-noirs, dont certains ouvertement proches du FN. Sur sa page Facebook, le collectif “Une main devant, une main derrière” appelle à inonder de boules puantes toutes les salles qui diffuseront ce qu’ils considèrent comme un “film de propagande antifrançaise et pro-djihadiste”. Parmi les commentaires, “merci les banlieues” et un ironique “Djihad à tout prix”, reviennent régulièrement.
Encouragé sur la Croisette à manifester son désaccord, le collectif a reçu le soutien du député UMP Lionel Luca. Celui-ci affiche aujourd’hui, sur son site internet, une réponse virulente à la commissaire européenne Viviane Reding qui s’est prononcée contre la politique du gouvernement sarkozyste en matière d’expulsion des Roms.
“Les propos scandaleux de la commissaire européenne, qui n’avait jusque-là brillé que par son inexistence, mettent la France en accusation alors que c’est le pays de l’Union européenne qui a le plus de demandeurs d’asile”, commente ainsi Lionel Luca avant de poursuivre : “Madame le commissaire européen confond allègrement la liberté de circulation avec la liberté d’installation…”
Sur le fond, il n’y a rien ici de très nouveau sous le soleil. Mais en cette rentrée 2010, c’est un climat politique nauséabond qui fait le jeu des extrémistes. Historiquement, la culture, et l’art contemporain en particulier ont toujours constitué une cible de choix pour les parangons de l’extrême droite. En 1985, Bruno Mégret fit son entrée sur la scène politique en s’en prenant aux fameuses colonnes de Buren au Palais-Royal. Depuis, les attaques se sont multipliées tous azimuts : le film Baise-moi de Virginie Despentes, retiré des salles à la suite d’une plainte déposée par l’association Promouvoir, proche du MNR de Bruno Mégret, le roman Plateforme de Michel Houellebecq dénoncé par la même association, Rose Bonbon de Nicolas Jones Gorlin, Il entrerait dans la légende de Louis Skorecki, les photos de l’artiste Kiki Lamers, les cochons tatoués du Belge Wim Delvoye, attaqué par la très réactionnaire Fondation Brigitte Bardot, etc.
Sans oublier les assauts dirigés contre les fonds régionaux d’art contemporain et le feuilleton au long cours de l’exposition Présumés innocents inaugurée en 2000 au CAPC de Bordeaux. Accusés de véhiculer des images à caractère pornographique par une association de protection de la petite enfance à l’idéologie notoirement douteuse, les trois commissaires de l’exposition firent les frais de près de dix ans de procès jusqu’à un non-lieu rendu au printemps dernier, qui ne suffira pas à effacer les séquelles que cette affaire a durablement laissées dans le paysage de l’art français.
La preuve par exemple avec cette interdiction “préventive” aux moins de 18 ans, déjà annoncée pour l’exposition Larry Clark qui ouvrira au musée d’Art moderne de la Ville de Paris le 8 octobre. Reste, comme le rappelle l’une des commissaires impliquée dans l’affaire Présumés innocents, qu’il ne faut pas prendre ces attaques à la légère et penser qu’elles sont le fait d’agités marginaux.
“Ce sont des structures hyper-médiatisées, capables d’actions musclées, et dotées d’une forte capacité de mobilisation, commente encore Stéphanie Moisdon, ces gens ont parmi eux des juristes, des avocats, des soutiens financiers suffisamment importants pour couvrir des frais de procès très longs. Ce genre de polémiques, notamment celles liées à l’art contemporain, leur permet de faire entendre leur point de vue extrémiste. C’est une vraie stratégie politique”
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