Puisque la gastronomie est désormais en création permanente, cette expo analyse sa place dans le champ culturel contemporain. La préhistoire de l’art culinaire. C’est cette hypothèse que développe Nicolas Bourriaud dans le catalogue de l’exposition Cookbook, actuellement aux Beaux-Arts de Paris, dont il est le commissaire. Encore considéré comme une nécessité organique, un besoin vital, l’art culinaire souffrirait […]
Puisque la gastronomie est désormais en création permanente, cette expo analyse sa place dans le champ culturel contemporain.
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La préhistoire de l’art culinaire. C’est cette hypothèse que développe Nicolas Bourriaud dans le catalogue de l’exposition Cookbook, actuellement aux Beaux-Arts de Paris, dont il est le commissaire. Encore considéré comme une nécessité organique, un besoin vital, l’art culinaire souffrirait du même syndrome que le 7e art à ses débuts, alors perçu comme un loisir et une industrie. « La constitution d’une pratique en art (…) dépend aussi de son décollement du monde de l’enfance. Ce devenir-art s’apparente au récit de son accession à l’âge adulte, autrement dit à celui de son autonomie », résume Bourriaud, qui constate que même les cultural studies, pourtant promptes à s’emparer de toutes les pratiques d’usage (des séries télé au bricolage), ne l’ont pas retenu parmi leurs sujets d’étude.
Sans doute parce que la cuisine a toujours « résisté à la figure de l’exposition », imagine Bourriaud, qui pose donc une première pierre avec cet accrochage inégal mais au parti pris audacieux, qui aligne sur un même plan artistes plasticiens et chefs invités à montrer non pas leurs œuvres, l’assiette ou le produit, mais le process. Et fait d’eux des artistes tantôt conceptuels, tantôt matiéristes, tantôt tachistes, tantôt impressionnistes. Ce qui donne des croquis chez Michel Bras, des collages chez Alain Passard ou une carte évolutive pour le pape de la cuisine moléculaire Ferran Adrià, ou, plus étonnant encore, une vidéo tournée dans les entrailles du métro parisien qui met en scène Bertrand Grébaut et son acolyte Théo Pourriat, patrons du Septime et du Clamato, un démentiel bar à ceviche situé dans le XIe arrondissement. Anciens graffeurs tous les deux, avec en prime un passage par l’école supérieure de design Penninghen pour le premier, et les voici à l’œuvre, cuisinant un cœur de veau sur un rail que l’on fantasme encore rougeoyant. La viande sera arrangée minute, entre deux feux, des branches de marjolaine et une moutarde maison. A côté des « tableaux-pièges » de l’artiste Daniel Spoerri et des menus chromatiques de Sophie Calle, c’est sans doute la pièce la plus directement marquée du sceau de l’art contemporain. Même si ces deux-là ne jouent pas vraiment le jeu de l’expo, voulue par Nicolas Bourriaud comme une tentative d’interpréter la cuisine comme un art à part entière. Révolution artistique qui passe selon lui par une nécessaire relecture théorique et sémantique, et la création d’un « glossaire permettant d’établir les équivalences entre art et cuisine ». Le bouillon pourraitil être le monochrome de la peinture moderniste ? Et les plats en sauce « les immuables fonds bruns de la peinture académique, contre laquelle se construira toute la peinture impressionniste » ?
Aux anamorphoses et aux trompel’oeil utilisés depuis la Renaissance, ne pourrait-on accoler les « trompe-le-goût » et autres stratégies de diversion de la jeune garde culinaire, d’Iñaki Aizpitarte à René Redzepi, s’interroge ainsi le théoricien dans le sillage des protopenseurs de l’art culinaire (de Joseph Delteil à Roland Barthes en passant par Claude Lévi-Strauss). Sans oublier la façon qu’a l’art de la table de réveiller de vieux souvenirs d’art conceptuel où l’acte de cuisiner, comme dans les restaurants aujourd’hui, était largement rendu visible, au point de prendre le pas sur le résultat final. Art et cuisine, même combat.
Claire Moulène
Cookbook – L’art et le processus culinaire jusqu’au 9 janvier aux Beaux-Arts de Paris, Paris VIe.
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