Créé en 1890, le Levi’s 501 a su traverser toutes les époques et résister à toutes les modes. Sa coupe droite et androgyne a notamment séduit dans les années 80 le tout Hollywood et les rockeurs qui lui ont donné une image ultra sexy. L’historienne de la marque américaine revient sur l’histoire de ce modèle […]
Créé en 1890, le Levi’s 501 a su traverser toutes les époques et résister à toutes les modes. Sa coupe droite et androgyne a notamment séduit dans les années 80 le tout Hollywood et les rockeurs qui lui ont donné une image ultra sexy. L’historienne de la marque américaine revient sur l’histoire de ce modèle mythique, revenu en force aujourd’hui.
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Barbara Hunter est une aventurière. À 14 ans et des poussières, la jolie Californienne s’est spécialisée dans l’exploration de mines abandonnées — après les cours, bien sûr. Il faut dire qu’il n’y a pas grand chose d’autre à faire pour les ados des années 1940 dans la région de San Francisco, ex-épicentre de la ruée vers l’or et pas encore havre hippie. Alors les mômes crapahutent. L’exploratrice en herbe se fraye ainsi un passage dans ce qu’il reste de la mine de Calico. Barbara s’enfonce dans le boyau avant de tomber sur une pile de jeans abandonnés par les mineurs. Le lendemain, l’ado intrépide se pâme au lycée dans le Levi’s qu’elle a réparé.
“On l’a appelé le jean Calico”, explique Tracey Panek. Entièrement moulée dans du denim façon Gainsbarre, Panek est historienne pour Levi’s. En anglais, on dit « corporate historian » — un job inédit en France. A la tête du fonds d’archives XXL de la marque vieille de 163 ans, cette quadra tranquille consigne la moindre pièce Levi’s, retrace son parcours, et répond aux questions des designers sur la date d’introduction de telle couture ou de telle doublure. “Barbara nous a envoyé le pantalon quand elle s’est rendue compte de son ancienneté”, continue Panek de sa voix monocorde. À l’intérieur, une étiquette précise en effet que les jeans Levi’s sont les plus solides du marché… depuis 17 ans. Un rapide calcul (1873, la date de création du blue jean 501 + 17 ans = 1890) donne l’âge de ce vieux Calico : 126 ans tout rond. Certes, la jambe est plus large, il n’y a qu’une poche arrière, et au lieu de brides pour maintenir une ceinture, on trouve des boutons pour accrocher des bretelles. Mais la teinte indigo, le tissu épais, les rivets de renfort en métal (la grande innovation de Levi’s), et l’allure du pantalon sont les mêmes qu’en 2016.
Le skinny est mort
Les années 2000 auront consacré le jean slim ultra moulant. “À un moment donné, tous les jeans sur le marché étaient identiques : des skinny bleu en élastane. Tout le monde était pareil”, analyse Sean Barron, co-fondateur de Re/Done denim qui retaille les vieux Levi’s, sur le site fashionista.com. Depuis 2014, et le retour de la vague nineties, le jean tout confort fait son grand retour. D’abord sous le nom de “mom jeans”, moqué par le Saturday Night Live, mais encensé par la planète mode fana de normcore. Forcément, le 501, avec sa taille haute, sa jambe droite androgyne et sa toile épaisse s’installe en haut de la pile.
“Le skinny a été pensé pour effacer les fesses, pour rendre votre derrière plus petit et plus étroit, explique Florence Kane, fondatrice du blog Jean Stories, au Wall Street Journal. J’ai l’impression que les femmes d’aujourd’hui n’ont plus peur de montrer leurs formes, et c’est ce que permet de faire le vrai denim. C’est un beau changement !” Le denim solde l’ère Kate Moss pour mieux embrasser celle des Kardashian. Surtout, il retourne puiser dans les origines du jean.
Le 501, icône rebelle et sexy
Née en 1853, l’entreprise familiale Levi’s habille d’abord la working class américaine, des mineurs aux cow-boys, en créant un modèle unisexe hyper résistant : le 501. La légende veut que ce jean mythique tire son nom du numéro de référence des lots de tissus utilisés pour sa conception. Populaire, le 501 s’installe durablement sur les corps du tout-Hollywood. James Dean dans l’Equipée sauvage, Marilyn Monroe dans les Désaxés… Le jean n’est plus seulement l’apanage des ouvriers, c’est celui des rebelles. Un esprit capté par la génération Woodstock et les mouvements de libération des femmes.
Symbole d’une liberté irrévérencieuse, le 501 devient logiquement le complice favori de la jeunesse (les impressionnantes photos d’archives des jeunes berlinois tout en denim au moment de la chute du mur) et de la scène rock de Bruce Springsteen à Kurt Cobain, en passant par les punks londoniens. Joli paradoxe : le vêtement rebelle devient le symbole des années 1980, s’affichant non plus seulement sur les jeunes, mais sur toutes les classes d’âge et dans toutes les classes sociales. Melrose Place, Friends, Beverly Hills… Surtout, avec son côté androgyne, unisexe, le 501 verse dans l’érotisme pur quand il habille Debbie Harry ou Brad Pitt dans Thelma et Louise. Le beau blond deviendra même l’égérie de la marque.
Au mitan des années 90, Levi’s lance des campagnes ultra sexy sur le thème “Live Unbuttoned” où toute une génération de mannequins élevés au grain se déshabillent plus ou moins lentement face caméra. La braguette à boutons du 501 devient un fétiche à part entière. Même Mariah Carey, époque Glitter, la fait glisser sur ses hanches.
Incarnation du cool accessible
L’avènement de la fast fashion et la multiplication des producteurs de jean éclipsent le jean iconique au profit du slim en toile, moins cher à produire. Mais voilà : le slim est le jean des années avant la crise. Le retour du 501 aujourd’hui annonce un changement de valeurs : on veut des vêtements durables, de qualité, loin de la boulimie luxueuse des années 2000.
“Le 501 est à la fois accessible et aspirationnel, analyse la journaliste américaine Verena von Pfetten au site fashionista.com. Ce n’est plus “j’aspire à avoir assez d’argent pour m’acheter tel ou tel sac”, mais “j’aspire à être assez cool pour transformer n’importe quel vieux jean en accessoire hype”. Mark Alizart, auteur de Pop théologie (éditions Puf) ne le dit pas autrement : “Le 501, c’était à la base un vêtement de travail. Or, nous vivons une époque où chacun travaille à se construire, à se sculpter. Le jean en est l’uniforme. Avec lui, on va droit à l’essentiel, on s’affranchit des contingences pour se concentrer sur notre idéal”, dit-il dans les pages de Elle.
On veut toutes être cette fille qui traîne dans les friperies et qui arrive à transformer un vêtement de deuxième main en indispensable. Ces filles là ont un nom : Bella Hadid, les soeurs de Haim, Kendall Jenner, Emily Ratajkowski, Caroline de Maigret… la crème des filles cool, capables de mixer pièces chic et jean éternel. Chez les hommes, Kanye West, Pharell Williams ou encore John Mayer. Le vieux complice a encore de beaux jours devant lui.
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