Deux auteurs dénoncent les effets délétères de la pratique devenue courante de l’évaluation au travail.
Avec l’évaluation, les managers d’aujourd’hui croient avoir trouvé la martingale pour neutraliser les effets du burn-out ou de la perte de sens au travail. Rien de plus simple et normal en apparence que d’accepter le principe de mesure de son implication au travail. “Être évalué paraît généralement aller de soi, voire être désirable”, souligne la philosophe Angélique Del Rey dans La Tyrannie de l’évaluation. Rendre des comptes, être compétitif, devient une injonction très peu contestée. Et pour cause : cette idéologie de l’évaluation suscite une adhésion générale et s’appuie, selon la psychanalyste Bénédicte Vidaillet, sur un système de croyances. Dans son livre Évaluez-moi !, elle note que l’évaluation a “pénétré loin dans l’esprit des salariés”. Or, cette aspiration partagée bute sur un angle mort identifié par les cliniciens du travail : l’évaluation a des effets globalement néfastes sur les salariés.
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La manière gestionnaire de définir les tâches et les objectifs s’écarte le plus souvent de ce que doivent faire les personnes si elles veulent “bien travailler”, selon l’expression du sociologue Yves Clot. Ce qui est exigé des salariés se définit unilatéralement, sans tenir compte de la spécificité même du travail de chacun.
“On assiste à une forme d’abstractisation croissante du travail dans laquelle ceux qui le formalisent ne tiennent nullement compte de la réalité”, rappelle Bénédicte Vidaillet.
Les évaluations “ignorent les conflits, se situent en dehors de toute situation concrète”, insiste Angélique Del Rey. Au nom de la rétribution au mérite, les évaluations dénient le mérite véritable, créent de la standardisation et engendrent un climat délétère de concurrence. Mais comment comprendre alors qu’il existe en chacun de nous le désir d’être évalué ? Pourquoi, malgré ses effets néfastes, la plupart des personnes ne s’y opposent-elles pas ?
Ce mystère traverse la réflexion de Bénédicte Vidaillet, pour qui l’idéologie de l’évaluation est surtout une manière illusoire de résoudre notre rapport conflictuel à nous-mêmes et notre rapport ambivalent à l’autre. Selon elle, “l’évaluation ne fait qu’alimenter le besoin de reconnaissance tout en prétendant y répondre.” À la fois “poison et antidote” pour des individus toujours en manque de quelque chose, elle offre l’illusion de maîtriser ce vide.
Jean-Marie Durand
La Tyrannie de l’évaluation d’Angélique Del Rey (La Découverte, Cahiers libres), 160 p., 14 €
Évaluez-moi ! – Évaluation au travail : les ressorts d’une fascination de Bénédicte Vidaillet (Seuil), 220 p., 18,50 €
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