Alors que les négociations continuent entre la Grèce et ses créanciers, le rédacteur en chef d’Alternatives économiques s’inquiète d’une Europe au bord de la rupture
Introduit au gouvernement après la victoire de Syriza au législatives de janvier, Yanis Varoufakis, nouveau ministre des Finances grec, a déjà fait face aux premières pressions de la zone euro. Cette dernière a lancé un ultimatum à la Grèce lundi 16 février, pour que le pays réclame avant la fin de la semaine une extension de son programme d’aide financière. Téméraire et impassible, Varoufakis ne doute pas d’un accord « dans les prochaines quarante-huit heures ». Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives économiques, craint que la solution prochainement trouvée pour la Grèce n’ait de possibles répercussions négatives sur le reste de la zone euro.
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Un compromis sur la restructuration de la dette grecque entre le gouvernement Tsípras et l’Europe vous semble-t-il possible, compte tenu des exigences du Premier ministre grec ?
Guillaume Duval – Nous sommes dans une situation très différente de celle de 2010 ; à l’époque, il y avait un danger évident de contagion financière pour la zone euro car beaucoup de banques détenaient des titres grecs. Aujourd’hui, ça ne concerne quasiment plus que des acteurs publics. Et puis il existe désormais des mécanismes pour éviter ces effets de contagion directs. Sous cet angle-là, la Grèce est aujourd’hui dans une position plus faible qu’il y a cinq ans. Au point qu’Angela Merkel peut penser que si la Grèce sort de la zone euro, ce ne serait pas très grave. Sur un plan strictement économique, elle a peut- être raison même si le pari reste risqué.
En revanche, sur le plan politique, la situation est très différente : le gouvernement grec a un mandat très clair de la part de son peuple. Certes, des accords ont été passés par ses prédécesseurs avec le reste de l’Europe. Mais compte tenu de l’histoire, aucun dirigeant allemand ne peut se permettre d’être celui ou celle qui aura poussé la Grèce en dehors de la zone euro et de l’Union européenne. C’est pourquoi le gouvernement d’Angela Merkel devrait probablement finir par accepter un compromis. J’ai davantage peur de la réaction des petits pays intégristes de l’austérité – Finlande ou Pays-Bas – que des Allemands, car ce qui doit se faire doit être décidé à l’unanimité.
Quel scénario vous semble le plus probable ?
Les échéances sont très courtes ; les Grecs ne veulent pas d’une prolongation du plan actuel qui arrive à échéance le 28 février. Or un nouvel accord devrait être soumis à la ratification des dix-neuf parlements nationaux de la zone euro. Si on ne trouve pas un tel accord le 16 février, on n’aura plus le temps de passer devant les parlements avant le 28, et là on ne sait pas ce qui se passera. Si la BCE cesse de soutenir à bout de bras les banques grecques, la Grèce sera obligée de sortir de la zone euro.
Comment comprenez-vous le fait que la Grèce réclame le remboursement de la dette de guerre de l’Allemagne ?
L’attitude intransigeante et moralisatrice du gouvernement allemand depuis quatre ans a réveillé dans toute l’Europe de très mauvais souvenirs. On ne peut pas nier qu’une part non négligeable du succès économique allemand est en effet dû aux mesures prises après-guerre pour annuler une grande partie de la dette allemande. Mais je ne pense pas que Tsípras a envie d’aller au bout. C’est de l’agitation dans une négociation.
Que pensez-vous des propositions de Syriza ?
La politique d’austérité imposée par la troïka depuis 2010 a eu un impact social dramatique : les Grecs ont subi des pertes de revenus massives, le système de santé est en ruine, la moitié des jeunes sont au chômage. C’est en outre un échec total sur le plan de l’objectif initial principal : l’endettement de l’Etat grec a continué à exploser. A cause essentiellement de la récession et de la déflation – quand le PIB diminue, même si vous arrêtez totalement de vous endetter, le taux d’endettement augmente.
On a cependant déjà fait beaucoup de choses en 2012 pour alléger la charge de la dette : les Grecs bénéficient de taux d’intérêts très bas et d’une période où ils n’ont pas à payer les intérêts sur une grande partie de la somme due… C’est aussi pour cela qu’il est compliqué de trouver des nouvelles mesures pour alléger la dette sans paraître l’annuler. Mais ce que demande surtout le gouvernement grec, c’est de réduire les exigences de la troïka sur l’excédent budgétaire primaire : c’est-à- dire combien l’Etat grec doit faire entrer d’impôts au-delà de l’ensemble des dépenses publiques. La troïka demandait 3 % cette année et 4,5 % en 2016 : Tsípras veut ramener cet excédent primaire à 1,5 point de PIB. Il s’agit donc de desserrer l’étau de l’austérité sans passer pour autant à des politiques de relance massives puisque l’Etat grec continuerait à dégager un excédent primaire. Dans le contexte grec actuel, une telle demande est légitime et acceptable.
Les exigences de Tsípras et de son ministre des Finances Varoufakis vous semblent-elles exagérées ?
Yanis Varoufakis n’a jamais été un fou dangereux ; il avait écrit un article en 2012 pour dire que le programme de Syriza ne valait pas l’encre avec laquelle il était écrit et qu’une fois au pouvoir, ce parti ferait bien entendu lui aussi une politique d’austérité. Il est très pragmatique. Mais Varoufakis a aussi besoin d’engranger des acquis : il ne peut pas accepter en l’état la poursuite de l’action de la troïka ni de l’accord en cours. Mon sentiment, c’est que le gouvernement grec finira par céder sur la prolongation de l’accord actuel si on sort la troïka du jeu et qu’on accepte des réaménagements substantiels de ce programme.
Des effets de contagion de la victoire de Tsípras sont-ils possibles au sein de l’Union européenne ?
Je l’espérais mais pour le moment, ils sont encore limités. J’escomptais en particulier que François Hollande saisirait l’occasion pour non seulement servir de médiateur dans l’affaire grecque elle-même mais aussi faire des propositions nouvelles pour l’avenir de l’Europe. Mais il préfère continuer de s’aligner sur le gouvernement Merkel. Sa politique européenne est ma plus grande déception. Cela ne tient pas seulement à l’idée (erronée) qu’on ne pourrait de toute façon pas infléchir la position allemande mais aussi et surtout au poids déterminant de l’énarchie du ministère des Finances auprès de l’exécutif de gauche. Or ces énarques soutiennent activement le type de politique d’austérité sacrificielle prôné par Angela Merkel. Pour la direction du Trésor, c’est donc une occasion bénie de pouvoir enfin mettre en œuvre son programme très libéral pour la France, comme elle n’en avait plus retrouvé depuis la fin de l’ère Bérégovoy.
Mais n’est-ce pas un signe encourageant pour ceux qui militent pour un changement de politique économique en Europe ?
On va voir ce que va donner Podemos en Espagne. Mais les élections n’ont lieu qu’en fin d’année. D’ici là, beaucoup de choses peuvent se passer, notamment en Grèce. On ne peut pas totalement exclure que le gouvernement Syriza s’écroule. Surtout à cause de la fragilité du système bancaire. Les Grecs ont commencé à retirer leur argent des banques ; n’importe quel incident peut faire déraper la situation et provoquer un bank run. De plus, l’appareil d’Etat, corrompu et mis en coupe réglée de manière clientéliste depuis des décennies par les deux grands partis traditionnels, attend Syriza au tournant. Ces clientèles ont la trouille qu’il réussisse et fasse vraiment le ménage. Un état de crise politique peut arriver. L’autre inconnue, c’est ce qui va se passer en Italie, le vrai malade de l’Europe. C’est devenu le pays où les habitants sont le plus hostiles à l’intégration européenne. Ça peut aussi déraper très vite là-bas.
Vous semblez donc assez inquiet.
On danse au bord de la falaise. Dans l’ensemble, les Européens sont assez confiants et pensent qu’on finira bien par trouver une solution au dernier moment, comme d’habitude. Mais il y a aussi la question de la dette espagnole, de la dette portugaise, de la dette irlandaise, de la dette italienne. L’espoir, c’est que les solutions qu’on invente dans le cas grec permettent d’aborder la question de l’endettement de l’ensemble de la zone euro et de sortir du déni allemand sur la mutualisation des dettes. Si on fabrique des dettes perpétuelles pour la Grèce, pourquoi ne le ferait-on pas pour d’autres ?
Propos recueillis par Jean-Marie Durand.
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