Une récente agression contre deux lesbiennes prouve que, en France, l’homophobie est vivace. Le militant associatif Hussein Bourgi analyse cette situation et pointe les manquements du pouvoir politique.
Une dizaine d’associations vient de lancer un cri d’alarme à la suite de l’agression d’un couple de lesbiennes survenue à Montpellier le 1er juillet. Elles dénoncent la multiplication des violences homophobes, notamment contre des lesbiennes. La situation se dégrade-t-elle selon vous ?
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Il y a deux interprétations possibles : une pessimiste qui consisterait à dire qu’il y a une flambée de l’homophobie en France ; une optimiste qui estime que de plus en plus de victimes prennent conscience de leurs droits et déposent plainte. Les chiffres de notre association ne sont qu’une goutte d’eau dans l’océan, beaucoup de victimes ne nous contactent pas. La meilleure façon d’en avoir le coeur net serait de comptabiliser les plaintes…
Comment les comptabiliser alors que le ministère de l’Intérieur ne fait pas d’enquête de victimisation sur les actes homophobes, qu’il n’y a pas de statistiques officielles en la matière en France ?
Quand on parle de montée de l’antisémitisme, on se base sur des chiffres concrets. Quand les associations de défense des gays et des lesbiennes disent qu’il y a une montée des actes homophobes, on les accuse de créer la psychose, de crier au loup. Elles ne peuvent s’appuyer sur aucun chiffre.
J’ai interpellé Nicolas Sarkozy sur ce problème lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. Je lui ai demandé de faire quantifier les violences homophobes comme le ministère le fait pour les agressions à caractère raciste, antisémite ou tout simplement les vols de portables ! Les policiers avec qui je discute m’expliquent qu’ils ont un outil – le fichier 4 001 – qui comprend tous les codes spécifiques à chaque type d’infraction – le vol avec violence, l’ivresse publique, la violence conjugale… C’est de cette manière que l’on comptabilise les chiffres de la délinquance en France.
Sarkozy n’a pas donné de suite à ma demande d’intégrer les violences à caractère homophobe dans le fichier. Cela est une des seules infractions que les ministres de l’Intérieur successifs refusent de quantifier. La demande est toujours là, mais ce n’est pas une priorité. En matière de lutte contre l’homophobie, c’est le règne de l’hypocrisie politique.
Pourquoi les politiques se refusent à quantifier les agressions homophobes?
Rajouter un code dans le fichier 4 001 serait beaucoup moins clivant politiquement que les questions d’égalité des droits comme l’homoparentalité ou le mariage. Pourtant, ce n’est pas une priorité. Les dirigeants s’y refusent, car si l’on venait à constater que c’est un vrai fléau, un phénomène criminogène d’importance, ils seraient obligés d’apporter des solutions qui passent par des politiques publiques.
Pour l’instant, la meilleure façon pour eux de ne pas « visibiliser » ce problème est de le minorer et de le sous-traiter aux associations. En matière de lutte contre l’homophobie, la France a toujours été un mauvais élève. Nous avons été un des derniers pays de l’UE à transposer la directive européenne qui obligeait les pays a créer une loi contre l’homophobie.
Les dix associations concernées estiment aussi que les tribunaux entretiennent un « sentiment d’impunité », car ils refusent de re connaître le caractère homophobe de certaines agressions. C’est vraiment le cas selon vous ?
La loi contre les discriminations homophobes est récente. Elle date de fin 2003. Il arrive que les magistrats ne la connaissent pas ou la connaissent mal. Il y a très peu de jurisprudence. En France, on a d’excellents avocats en matière de lutte contre le racisme et l’antisémitisme – les lois datent des années 1970 et 1990 -, mais pas en matière de lutte contre l’homophobie. Il faut donc trouver des avocats qui ont de l’intérêt pour le sujet.
Mais le véritable problème est que le délai pour porter plainte n’est que de trois mois. Après, l’acte homophobe est prescrit ! Cela freine considérablement le nombre de cas qualifiés comme tels car les victimes ont honte et souvent leur entourage ne sait pas qu’il ou elle est homosexuel(le).
Quel est votre sentiment d’homme de terrain chevronné sur cette éventuelle montée des violences homophobes ?
Depuis quelque temps, on a plus de cas qui nous parviennent. Je pense qu’il y a une montée globale de la violence en France. Les agressions homophobes sont souvent commises à plusieurs par des groupes de jeunes. C’est pour eux une manière de se défouler sur des boucs émissaires parce qu’ils ont besoin de tester leur virilité. C’est symptomatique d’une société en crise. On a besoin d’humilier l’autre pour asseoir sa domination. Ce sont parfois des jeunes eux-mêmes victimes de discriminations – économique ou sur leurs origines -, qui les retournent sur les homos.
Parallèlement, toutes les enquêtes d’opinion montrent que les Français sont de plus en plus favorables à l’égalité des droits entre homos et hétéros…
Ce qu’on présente parfois comme de l’acceptation ou de la tolérance est en réalité de l’indifférence. C’est OK si c’est le fils de la voisine, mais à partir du moment où cette question entre dans sa sphère familiale c’est beaucoup moins accepté. On dit aussi souvent que les jeunes sont plus tolérants que les personnes âgées. Ils le sont en théorie, mais dans la réalité beaucoup moins. Ils sont très normatifs. Notamment les plus jeunes, au collège, où rien n’est fait en matière de prévention contre l’homophobie. Quant au lycée, les actions restent au bon vouloir du proviseur. C’est insuffisant.
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