De nombreux taxis et VTC ont continué à travailler dans la nuit du 13 au 14 novembre, à quelques rues des attentats qui ont fait 130 morts dans la capitale. En quelques heures ils se sont improvisés ambulanciers, psychologues, et même pilotes.
“Nous avons fait ce que nous avons pu. Nous aurions fait plus si nous le pouvions. Vous ramener saufs à la maison.” Ce petit mot scotché sur la statue de la République est signé “Les taxis parisiens”. C’est Milan, 55 ans, qui a griffonné ces quelques regrets juste après les attentats du 13 novembre qui ont tué 130 personnes. Et ce malgré l’hommage de la maire de Paris Anne Hidalgo, qui a souligné l’élan de solidarité des taxis parisiens dès le lendemain.
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Des scènes surréalistes au coin des rues
Milan arpente les rues de Paris dans son taxi depuis 21 ans mais jamais il n’avait vu ce visage là de la capitale. Une ville qui s’est endormie bien trop tôt. Pleine de gens éveillés trop tard. L’ancien militaire croit vivre un soir de couvre feu dans un pays en guerre. “Plus personne ne roulait à part les fous dangereux comme nous”, ironise le quinquagénaire. Les VTC et les taxis deviennent les témoins de premier plan de ce Paris en état de siège. Au cœur des attentats, mais aussi tout autour.
Milan roulait vers République vers 22h, pile entre les fusillades du Carillon et du Petit Cambodge et la prise d’otages du Bataclan. “J’ai vu des gens courir dans tous les sens, paniqués” se souvient le chauffeur. L’ancien militaire emmène deux blessés légers du Bataclan café vers l’Hôpital Saint Louis. “Ils racontaient que c’était horrible, que ça s’était passé trop vite et que personne n’avait compris réellement ce qui s’était passé” raconte Milan.
Le quinquagénaire enchaîne les courses gratuites toute la nuit jusqu’à 5h. L’état de la capitale transparaît au fond des regards de ses passagers. L’ancien soldat décrit le “vide complet et de la peur” dans les yeux de ses dernières clientes. Deux filles du 16ème, là au mauvais moment rue de Charonne. Arrivées chez elles, elles se mettent à courir de toutes leurs forces pour se mettre à l’abri. Dans un arrondissement complètement désert et noyé dans le silence. Une scène surréaliste que Milan observe depuis son habitacle. Incrédule.
“Les gens cherchaient des réponses en plus de vouloir rentrer chez eux”
L’ancien légionnaire n’est pas le seul à assister à la panique des autres sans tout comprendre. “On était constamment en décalage.” se souvient Zaher Rechid. Cet autre taxi parisien met plusieurs heures avant de saisir l’ampleur de ce qui se joue autour de lui. “Ma mère et ma femme n’arrêtaient pas de m’appeler. Je me demandais pourquoi elles me mettaient autant la pression, je me disais qu’elles exagéraient.”
Zaher Rechid doit gérer des clients en état de choc. Des Parisiens terrifiés qui se ruent dans son habitacle sans lui demander son avis. Au plus fort de la crise, le réseau Uber et les taxis sont surchargés. “Je leur disais qu’ils seraient chez eux dans dix minutes. J’essayais de les rassurer.” poursuit Zaher Rechid. “Les gens cherchaient des réponses en plus de vouloir rentrer chez eux. Alors qu’au final on était comme eux, on ne savait rien” poursuit Pierre Reynel.
Très vite, ces chauffeurs deviennent des psychologues de fortune qu’on attrape à la volée au bout d’une rue désertée, après une attente insoutenable. Avec son taxi 6 places, Lamine Boukhadra, 35 ans, peut embarquer plus de monde que ses collègues. Toujours gratuitement, une question de principe. Au hasard des courses, une micro société de crise naît dans sa voiture. Des journalistes de CNN entament un direct par téléphone sur la banquette arrière à quelques rues du Bataclan. Plus tard, une docteure anglaise rassure une femme brésilienne en pleurs. “Vous savez, c’est très personnel un taxi” confie celui qui arpente les rues de Paris depuis deux ans.
“Mourir pour 5€ ça fait chier”
Le trentenaire cogite derrière son volant toute la soirée. “J’ai été frappé, à en chialer, de tout voir en chair et en os.” explique Lamine Boukhadra. Et pourtant c’est volontairement qu’il a filé vers le Bataclan malgré la fin de son service. “On fait ça tous les jours, mais il fallait que l’on soit au travail le Jour J” précise ce père de famille. Pour participer à la solidarité collective.
Pour Milan, l’ancien militaire, être là c’était “primordial” : “Quitte à y être, autant y être un maximum pour sauver des gens”. D’autres comme Zaher Rechid sont restés sans le choisir vraiment : “On était presque obligés d’être des héros malgré nous avec tous les gens qui se ruaient dans la voiture”. “Si on avait été chez nous, on serait restés sous la couette, je ne vais pas mentir” glisse le chauffeur. Le jeune homme assure qu’un “gros débat” a agité les taxis parisiens cette nuit là.
Alexandre De Boisgency, chauffeur Uber, a décidé de rentrer chez lui sans hésiter. Vers 21h30, il est à une centaine de mètres des restaurants Le Petit Cambodge et Le Carillon. “La voiture devant moi s’est pris des balles. J’ai vu la lumière des rafales, puis des corps tomber.” Après une marche arrière exécutée en panique il dépose sa cliente à République et s’arrête longuement pour respirer : “Je lui ai dit que ne pouvais plus conduire”.“Je voulais rejoindre ma femme et ma fille, je ne pouvais pas mourir pour une course à 5€. Mourir pour 5€ ça fait chier”.
Plus d’une semaine après le drame, la plupart des taxis et VTC ont repris le volant dans ce Paris toujours un peu étrange. “On sent que gens sortent pour dire “on vous emmerde, on est là quand même », constate Milan. “Et c’est pareil pour nous, les taxis de nuit. Parce qu’il en faut des gens comme nous pour ramener des gens comme vous le soir.”
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