Alain Finkielkraut, Eric Zemmour et Elisabeth Lévy squattent les médias en tant qu’ »opposants de la pensée unique ». Que pensent les journalistes et les présentateurs de ces bons clients de leurs émissions ?
L’anti-pensée unique, qui s’est construite sur un mode minoritaire, l’est-elle encore dans les médias ? Prenons l’exemple d’Eric Zemmour, grand martyr bâillonné des pensées dissonantes, qui chaque matin éditorialise sur RTL (3,7 millions d’auditeurs en moyenne), occupe tous les samedis une place de chroniqueur dans On n’est pas couché de Laurent Ruquier sur France 2 (l’émission peut atteindre jusqu’à 2 millions de téléspectateurs), publie dans le Figaro Magazine (350 000 exemplaires chaque week-end, à la louche), débat sur la TNT pour Ça se dispute, et n’oublie pas, entre deux piges, de s’adresser à l’outre-mer avec une participation régulière à L’Hebdo sur France Ô.
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Depuis le début des années 2000, et l’apparition des émissions de talks polémiques, les soutiers de l’incorrection ont investi le champ médiatique jusqu’à en obtenir son piétinement, de long en large. Victor Robert, journaliste et présentateur, se souvient d’avoir vu débarquer le soldat Zemmour en septembre 2003, sur i-Télévision, pour l’émission Ça se dispute, dont il était l’animateur. Eric Zemmour débat alors avec Christophe Barbier, aujourd’hui directeur de la rédaction de L’Express. Victor Robert raconte :
“J’ai connu Eric Zemmour à l’adolescence de sa carrière télévisuelle. Il était face à un contradicteur, et parlait de ce qu’il connaît le mieux encore, c’est-à-dire la politique. Je n’ai jamais connu aucun dérapage à l’époque. Le refrain de Zemmour, je suis de ceux qui pensent qu’on doit l’écouter, mais aussi le contredire, l’encadrer. Le problème, c’est quand, comme aujourd’hui, on le lâche un peu partout, sur tous les sujets, quand on vient chercher le personnage plutôt que le journaliste. On ne peut pas être bon partout. C’est aussi pour cela qu’on a le sentiment que la parole d’Eric Zemmour est trop lourde, trop présente.”
Bruno Roger-Petit, grand pourfendeur d’Eric Zemmour et d’Elisabeth Lévy sur son blog publié sur LePost.fr :
“Il y avait une place à prendre à la télévision, ils l’ont prise et ils l’occupent toujours bien. C’est comme si une demande politique avait rejoint une demande médiatique. Lévy et Zemmour, tout comme Finkielkraut, incarnent par le discours et leur look un courant politique très conservateur. Ce sont en plus des bons clients télé. Ils ont une bonne élocution et ils ne cachent pas leur drapeau, c’est très télégénique. Ils écrabouillent médiatiquement les libéraux présentables, et à gauche, il n’y a plus rien”, explique Roger-Petit.
Patrick Menais, tenancier du Zapping sur Canal, a lui aussi vu les néo-réacs débouler dans le poste.
“Aujourd’hui il faut créer du buzz, des applaudissements, il faut que ça rentre dedans. Ce sont les nouveaux sophistes de la société du spectacle, ils sont là pour faire du show. Ils sont dans une mécanique du contre, qui leur rapporte de l’argent. Ils sont prêts à s’enflammer sur n’importe quoi avec une certaine érudition. Ce qui est dingue, c’est que ces gens se targuent d’être politiquement incorrects. Alors que le discours réac est devenu une espèce de norme face à laquelle on doit se situer dans les échanges d’arguments.”
De 2004 à 2006, Pascale Clark a animé On refait le monde sur RTL, une émission de débat à laquelle participait Elisabeth Lévy. Lévy sera remerciée au bout de la première saison de Clark, avant d’être réengagée par Nicolas Poincaré en 2006, puis Christophe Hondelatte en 2009.
“Lévy, comme Finkielkraut ou Zemmour, ce sont des gens qui parlent fort. Comme si le fait de hurler plus fort que les autres et de se mettre en scène, comme si cette révolte à deux balles, était une forme de liberté. Il y a un côté jeu de rôle là-dedans, c’est évident. Ils sont devenus ceux qu’on adore détester. Ce sont des gens qui ont certainement des qualités, mais il est parfois difficile d’aller au-delà leur opposition systématique”, note Pascale Clark.
Dans sa tranche d’info matinale sur France Inter, qu’il vient tout juste de quitter, Nicolas Demorand invitait régulièrement Alain Finkielkraut.
“J’invite Finkielkraut à la radio, car je préfère Dieu à ses saints, le modèle original aux déclinaisons. Finki, il creuse un sillon intellectuel qui est le même depuis le début. Il pense contre, c’est son fonds de commerce, et il y a un public pour ça. Penser contre, c’est aujourd’hui une part de marché. Ceux qui fustigeaient le consensus sont devenus les professionnels du dissensus, du contrepied. A l’inverse de ce qu’ils disent, ces gens sont installés : le martyrologe des pensées incorrectes, c’est un coup de génie marketing mais c’est désormais une vaste fumisterie, ils sont maintenant archi dominants”, conclut Demorand.
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