Le phénomène du sourcing existe aussi dans le monde des spiritueux, qui privilégie aujourd’hui des productions locales et écoresponsables. En France, cette vague rencontre un vrai succès. Enquête.
« Savoir boire est une technique nationale qui sert à qualifier le Français, à prouver à la fois son pouvoir de performance, son contrôle et sa sociabilité », écrit Roland Barthes en 1957. Le “savoir boire” apparaît alors comme un acte doublement contraignant, car il proscrit l’abstinence et l’excès. Et c’est peut-être vers cette relation raisonnable et savoureuse que l’amateur de spiritueux veut tendre aujourd’hui.
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“L’activité des spiritueux en France a fortement évolué avec l’émergence de distilleries locales et une cible de consommateurs de plus en plus jeune et exigeante”, explique Jean-Pierre Saccani, journaliste spécialiste des vins et spiritueux. La mixologie a conquis la France depuis une dizaine d’années, notamment avec l’ouverture de l’Experimental Cocktail Club en 2007, à l’heure où la scène cocktails parisienne était encore vierge. Dans son sillage, les spiritueux rares conçus dans des petites distilleries ont donné du crédit au phénomène.
Pour l’amour du pur terroir
Le whisky n’est plus seulement l’apanage des Ecossais et des Irlandais. Le premier single malt breton voit le jour en 1998 au cœur de la distillerie Warenghem à Lannion, dans les Côtes-d’Armor. Depuis 2013, Nicolas Julhès est à la tête de la Distillerie de Paris, l’unique atelier de création de spiritueux parisiens. “Ce qui, au départ, était une niche de marché a pris énormément d’ampleur. Aujourd’hui, il existe soixante-dix-huit distilleries en exercice qui font du whisky français et il y en aura vingt de plus en 2020”, annonce Jean-Pierre Saccani. En volume, c’est un million de bouteilles de whisky français qui ont été vendues à travers le monde en 2018, selon la Fédération française du whisky.
Un engouement que confirme la famille Grallet-Dupic, propriétaires-récoltants en Lorraine, dans le petit village de Rozelieures. “Grâce à notre ferme-distillerie, nous maîtrisons toutes les étapes de fabrication de notre whisky français single malt, assure Sabine Grallet-Dupic, qui s’est lancée dans l’aventure du whisky il y a une quinzaine d’années. Rien n’est importé, notre whisky est un pur produit du terroir local, nous sommes l’une des rares distilleries dans le monde à faire ça”, ajoute-t-elle fièrement.
On touche là une tendance grandissante : comme la provenance des aliments dans son assiette, le public s’intéresse de plus en plus à la qualité des ingrédients de l’alcool qu’il consomme et à son processus de distillation. “Aujourd’hui, pour séduire, il faut raconter une histoire et assurer une transparence du sourcing des produits”, confirme Jean-Pierre Saccani. C’est exactement la démarche de Bellevoye : les fondateurs, Jean Moueix et Alexandre Sirech, s’appliquent à “faire du beau et du bon” en proposant le premier whisky triple malt 100 % français.
“Grâce à l’assemblage de trois whiskys single malt (Nord, Alsace et Lorraine) et à un important travail de vieillissement, on arrive à faire l’unanimité face à nos concurrents écossais”, se félicite Alexandre Sirech. Un produit d’exception que seules deux distilleries dans le monde produisent. “On observe un regain d’intérêt pour les productions écoresponsables et la marque France”, ajoute le dirigeant. Il est à la tête d’une entreprise qui double son chiffre d’affaires chaque année depuis trois ans.
Alors que les Français sont les premiers consommateurs de whisky au monde, avec un record de 200 millions de bouteilles vendues par an, le gin n’a jamais eu autant la cote. “On n’en a jamais autant bu en France”, affirme Alexandra Lechopier, ambassadrice française de Bombay Sapphire. Il faut dire que ce mastodonte de la production de gin ne déroge pas à la règle de la qualité.
Pour la maintenir dans chacune de ses bouteilles bleues, Ivano Tonutti, le maître herboriste de Bombay Sapphire, veille depuis trente ans à la sélection des meilleures baies et herbes aromatiques. Il est le chef d’orchestre des productions et récoltes des dix ingrédients de l’alcool. La plus essentielle au parfum du gin, c’est bien la baie de genièvre, qui pousse de manière aléatoire dans la vallée de Caprese Michelangelo, en Toscane. Elles sont récoltées à la main par des paysans locaux grâce à une méthode ancestrale. Un bel exemple de respect des traditions et du terroir local, mais qui peut être menacé par le dérèglement climatique.
Les distilleries se visitent comme des musées
Pour montrer l’exemple, la distillerie Bombay Sapphire, installée depuis 2014 dans la campagne londonienne de Laverstoke Mill, est la plus écoresponsable du monde. Autosuffisante en énergie grâce à sa chaudière biomasse et à ses panneaux photovoltaïques, elle recycle tous ses déchets et a réduit de moitié sa consommation d’eau. Chaque année, ils sont 100 000 visiteurs à venir découvrir la technique unique de distillation.
Dans une tout autre dimension, la distillerie Menaud, située dans la région de Charlevoix, au Québec, vaut la peine d’être visitée. Elle produit des spiritueux d’exception avec la volonté de faire découvrir les saveurs locales. “La matière première a une influence considérable sur le goût final du produit, mais il ne faut pas oublier l’influence de sa provenance et la manière dont elle a été récoltée”, explique Charles Boissonneau, l’un des cinq fondateurs de Menaud.
Après seulement huit mois d’activité, 15 000 bouteilles ont été vendues au Québec et six prix ont récompensé le gin et la vodka Menaud. Un succès qui confirme que l’essor des spiritueux de terroir et du tourisme dans le monde de la distillerie n’a pas fini de séduire.
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