La Somalie est en prise aux Shebab, l’entité djihadiste implantée dans le pays depuis plus de dix ans. Décryptage de la situation dans l’un des pays les plus corrompus au monde.
Dans une récente enquête de la chaîne américaine CNN titrée « Le financement des Shebab : comment l’argent des aides finit dans les mains du groupe terroriste« , le journaliste Sam Kiley rapporte le système d’extorsion mis en place par les extrémistes en Somalie. Les Shebab – la mouvance djihadiste affiliée à Al-Qaïda – contrôleraient les routes de Somalie, s’emparant de l’argent de l’aide étrangère envoyée par les pays occidentaux, au moyen de péages et de barrages routiers. CNN dénonce le processus de rançon qui a lieu sur la route la plus fréquentée de Somalie, qui mène à Baidoa, où sont installés des camps de réfugiés. Les zones urbaines subiraient le même sort. Pour traverser et revendre de la nourriture en ville, les commerçants seraient forcés de payer une taxe annuelle aux Shebab, « même dans les villes et villages qui ne sont pas sous le contrôle du groupe, comme Baidoa et Mogadiscio« , décrit le reporter Sam Kiley.
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Manipulations commerciales
Interrogé par Les Inrocks, l’historien et politologue Gérard Prunier, spécialiste de la Corne de l’Afrique, nuance les propos rapportés par CNN : « Il y a des péages et des barrages routiers, c’est un fait. En revanche, on ne peut pas véritablement parler d’extorsion. » Malgré la terreur générée par les terroristes, « la plupart des gens préfèrent traiter avec les Shebab qu’avec le gouvernement », résume-t-il.
« L’aide étrangère ne va pas vraiment dans les poches des Shebab. C’est en faisant des manipulations commerciales – assez habiles – qu’ils récupèrent de l’argent« , poursuit l’universitaire. Illustrant son propos, il décrit le trafic mis en oeuvre : « Si vous importez une voiture dans le pays en passant par un circuit légal, cela vous coûtera trois fois plus cher que si vous vous adressez aux Shebab pour le même service. Ce n’est pas un effet de leur bonté, le gouvernement est simplement encore plus corrompu qu’eux. C’est comme ça que fonctionne le pays. »
Accords entre transporteurs et terroristes
Sam Kiley désigne les barrages routiers tenus par les terroristes comme prodigieusement lucratifs. Un seul barrage générerait environ 5000 dollars par jour sur la route de Baidoa, aux dires des Nations Unies, rapporte le journaliste. En janvier dernier, Michael Keating, le Représentant spécial pour la Somalie aux Nations Unies, déclarait : « Beaucoup des financements des Shebab proviennent de la taxe de l’activité économique dans les zones qu’ils contrôlent« , comme le rapporte l’agence de presse somalienne Garowe Online.
Sur la taxe de l’aide alimentaire, Gérard Prunier explique le système de marchandage, entre transporteurs d’aides internationales et terroristes. « La plupart des gros transporteurs sont en cheville avec les Shebab« , affirme-t-il. S’ils cherchaient à lutter contre eux, ils seraient condamnés : « Vous êtes deux ou trois, eux sont 25 sur la route. Dans tous les cas, vous n’avez pas le choix. Sinon, ils vous tueront, et prendront tout« , déclare le chercheur. « De fait, il est plus économique, commercial et rationnel de prendre contact avec les terroristes, de leur payer une taxe. »
« Hypocrisie incroyable »
« Les Nations Unies savent très bien que les transporteurs paient les Shebab, lorsqu’ils leur demandent de traverser le pays« , déclare Gérard Prunier, qui signale cette « hypocrisie incroyable. » Et révèle l’étendue du problème. « Là où ça ne va pas, c’est quand les transporteurs exagèrent, qu’ils gardent pour eux un gros pourcentage« , déclare-t-il.
Le spécialiste met en lumière la corruption insidieuse entre ces différents acteurs. « Certains transporteurs soudoient les Nations Unies pour qu’elles ferment les yeux sur le pourcentage qu’ils prennent de leurs transactions avec les Shebab« , affirme-t-il.
Pays le plus corrompu
Selon le classement 2016 de Transparency International, la Somalie serait le pays plus corrompu au monde. Abus de pouvoir, transactions secrètes et pots-de-vin sont monnaie courante dans le pays dirigé par le Président Mohamed Abdullahi Mohamed, dit »Farmajo. »
Néanmoins, des années durant, les Shebab ont bénéficié d’une certaine popularité dans le pays, selon Gérard Prunier. « A une certaine époque, les Shebab se proposaient comme une meilleure administration que le gouvernement« , rappelle-t-il. Depuis une série d’attentats meurtriers perpétrés contre les civils – le très sanglant d’octobre dernier a eu lieu à Mogadiscio -, la population vit dans la terreur du groupuscule terroriste.
« Aujourd’hui, les étrangers pakistanais, égyptiens, tunisiens, etc., qui les ont rejoints sont de vrais fous furieux. La violence des attentats perpétrés dans le pays, sur le modèle du 14 octobre dernier est la vraie tragédie dans ce pays. Là, il n’y a pas de négociations, pas de questions, seulement de la violence« , conclut-il.
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