Le démantèlement des camps a précipité les populations roms dans la plus grande précarité. Ou quand la surenchère sécuritaire prend le pas sur les dispositifs humanitaires à l’approche des municipales.
Sur le terre-plein du boulevard Richard-Lenoir à Paris (XIe), une mariée en robe meringue, entourée d’enfants tirés à quatre épingles, avance au bras de son mari. A un mètre d’eux, un couple dort enlacé, sous des couvertures crasseuses, à même le sol. A peine plus loin, des enfants jouent avec les jets d’une fontaine. Trempé, le plus jeune retire ses vêtements et, cul nu, s’en va piocher un pantalon sec dans un sac poubelle. Une famille rom monte un campement de fortune sur un banc. Dans une cabine téléphonique, une très jeune femme change un nourrisson, tout en gardant un oeil sur un autre bébé à peine plus âgé.
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Chez les Roms, on est adulte à 16 ans. Ceux-là ne parlent pas français, ou à peine. Depuis plusieurs mois, des familles se succèdent sur ce boulevard, vivent dans une misère déroutante et survivent grâce à la mendicité. Pour comprendre ce phénomène, il faut remonter au 30 juillet 2010. Ce jour-là, le président Nicolas Sarkozy prononce à Grenoble un discours sécuritaire qui lance la systématisation des démantèlements de campements illégaux et bidonvilles de Roms dressés à la périphérie des grandes villes.
« Ils sont probablement là parce qu’on a détruit leur camp… »
Sur le boulevard Richard-Lenoir, les commerçants excédés et les riverains incrédules oscillent entre ignorance et franche hostilité. Dans la brasserie d’en face, une serveuse soupire : « Au début, on était sympas, on donnait de l’eau, mais les gamins en profitaient pour voler les clients, maintenant on laisse rien traîner sur la terrasse… » Un couple d’une trentaine d’années s’étonne de la surreprésentation des enfants, jouant pieds nus, sales. « Ils sont probablement là parce qu’on a détruit leur camp… Mais ont-ils vraiment envie d’être pris en charge ? Les Roms sont des nomades après tout… », commente François. Il se trompe. Les Roms ne sont ni nomades ni citoyens français, à l’inverse des gens du voyage. Ce sont des migrants économiques en provenance de pays faisant partie de l’Union européenne (Roumanie, Bulgarie) ou pas (Albanie, Serbie, Kosovo…). Un peu plus loin, Josette, 75 ans, lit un livre de contes bretons. « Il faut fermer les frontières et sortir de Schengen, sinon, si on les ramène chez eux, ils reviendront… », estime cette partisane de Marine Le Pen.
Le père de sa candidate, Jean-Marie Le Pen, était à Nice le 4 juillet aux côtés de Marie-Christine Arnautu, tête de liste FN aux municipales de mars 2014. Le président d’honneur en a profité pour évoquer la « présence urticante » et « odorante » des Roms. Fâché de s’être fait souffler la politesse par un parti concurrent, Christian Estrosi, le députémaire de Nice, a rebondi le 7 juillet, suite à une occupation illégale de terrain, promettant de « mater » les Roms et les gens du voyage. Cette surenchère a pour toile de fond la féroce bataille que vont se livrer UMP et FN à Nice en mars prochain. Christian Estrosi a aussi critiqué le gouvernement et la circulaire interministérielle du 26 août 2012 qui rendrait, selon lui, plus difficiles les expulsions.
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A quoi M. Estrosi fait-il référence ? Durant l’été 2012, sur fond de démantèlement de camps de Roms, une âpre bataille oppose le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, tenant d’une ligne dure, et la ministre du Logement Cécile Duflot, tenante d’une ligne humanitaire. La circulaire, fruit d’un compromis, stipule que si le respect des décisions de justice n’est pas remis en cause, les pouvoirs publics doivent en amont, dans « une logique d’anticipation », faire un « diagnostic » pour « proposer des solutions d’accompagnement ». Mais, un an après sa promulgation, un drôle de constat s’impose : la gauche démantèle plus que la droite, sans pour autant proposer de solution pérenne de relogement. Selon les chiffres récoltés par Philippe Goossens, de l’AEDH (Association européenne pour la défense des droits de l’homme), 5 482 personnes ont été évacuées de force au deuxième trimestre 2013, contre 2 883 au premier trimestre. Un record depuis 2010. A titre de comparaison, au deuxième trimestre 2011, ces évacuations forcées avaient concerné 3 283 personnes. Il y aurait environ 20 000 Roms étrangers en France – 12 000 en Ile-de-France.
En tant que ministre de l’Intérieur, c’est Manuel Valls qui tient la main sur l’application de la circulaire. Le préfet Alain Régnier, nommé par Ayrault pour veiller à l’application équilibrée de la circulaire, n’a quasiment aucun pouvoir. Or pour Valls, les Roms ne « souhaitent pas s’intégrer » et « ont vocation à rester en Roumanie, à y retourner » (Le Parisien, 14 mars). Un bon connaisseur du dossier ironise : « En fait, il suffit de faire un faux diagnostic de deux journées et hop on expulse avec ‘humanité…' » « Cela casse le travail d’accompagnement et il faut tout recommencer, rescolariser… », se désole Philippe Goossens. Alain Régnier parle de « schizophrénie » des pouvoirs publics (Mediapart, 8 avril).
« Une fois expulsés, ils n’ont souvent plus que la rue. Leur dénuement est de plus en plus visible et alimente les préjugés : les Roms ne voudraient pas aller à l’école, pas s’intégrer, pas travailler, voler… », explique Guillaume Lardanchet de l’association Hors la rue, qui intervient auprès de mineurs originaires d’Europe de l’Est.
Selon un rapport de la Protection judiciaire de la jeunesse, les actes de délinquance à Paris concernent « environ 200 mineurs roumains au maximum ». En outre, les ressortissants bulgares et roumains n’auront librement accès au marché du travail qu’à l’entrée de ces pays dans l’espace Schengen envisagée au 1er janvier 2014.
Les 11 et 12 juillet, Jean-Marc Ayrault s’est rendu en Roumanie pour rencontrer son homologue. Les deux Premiers ministres ont affirmé que la vocation des Roms de Roumanie était de pouvoir rester dans le pays. « On renforce leur misère en pensant qu’ils retourneront dans leur pays d’origine », estime Guillaume Lardanchet. De plus, poursuit-il, pour payer leur voyage aux passeurs « ils ont parfois vendu leurs terres et leur maison. La solution pragmatique serait de stabiliser les terrains qui peuvent l’être mais pour les politiques cela veut dire : ‘s’il vous plaît chers administrés, accueillez ces pauvres gens et votez pour moi en 2014.’ Je n’y crois pas. » La ligne Valls, ministre préféré des Français, que la droite ne peut taxer d’angéliste, va prévaloir jusqu’aux municipales. Personne ne voudra desserrer l’étau autour d’une population mal aimée et isolée.
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