Parti à la recherche de son histoire familiale, le chorégraphe Rachid Ouramdane a écouté celle des autres, exilés ou torturés. Ses spectacles leur redonnent une mémoire et une voix. (photo : Loin mis en scène par Rachid Ouramdane)
Rachid Ouramdane aurait pu être biologiste, tant son expertise semble la science des êtres vivants. Mais c’est la danse qu’il a choisie, art vivant rencontré à 12 ans sous la forme du hip-hop :
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“J’aimais cette façon de se mettre physiquement en jeu et le hip-hop me plaisait dans sa globalité : la musique, les tags et le mélange entre mouvement artistique et social.”
En même temps que la fac de biologie, il suit des cours de danse au Conservatoire de Grenoble, passe le concours de l’Ecole de danse contemporaine d’Angers et renonce à maths sup bio. Un choix d’études courtes qui est aussi un héritage dont il fera une richesse :
“Je viens d’un milieu peu favorisé où il fallait travailler tôt. Mes parents, Algériens et analphabètes, n’ont rien dit de mon choix. Ils étaient enfermés dans un mutisme propre à cette génération qui a vécu dans une fracture culturelle et économique où les enfants doivent vite jouer le rôle de responsable de la famille. A 10 ans, je remplissais tous les papiers administratifs. Mon père ne m’a jamais vu danser. Il ne lui serait pas venu à l’idée de venir me voir travailler…”
On a découvert Rachid Ouramdane en 1993 dans Factory d’Hervé Robbe, au milieu des sculptures de Richard Deacon où se mélangeaient danseurs et public.
Ont suivi des collaborations fécondes avec Christian Rizzo, Alain Buffard, Meg Stuart ou Emmanuelle Huynh, menées en parallèle avec ses propres créations. Solos ou pièces de groupes, il développe une gestuelle à la ligne claire, presque minimaliste et en interaction constante avec l’environnement, à l’image de ses dispositifs scéniques où les nouvelles technologies ont toujours eu leur place.
Images, sons et lumières sont autant des accessoires dont s’emparent les interprètes que les signes esthétiques et formels d’une ouverture au monde.
Toutes ses pièces sont issues de voyages et de rencontres, comme Loin programmé aux Hivernales d’Avignon ce mois-ci, Des témoins ordinaires au dernier Festival d’Avignon ou Surface de réparation fin février au Centre Pompidou.
A l’occasion de tournées et de résidences de travail au Brésil, au Vietnam ou aux Etats-Unis, Rachid Ouramdane, parti à la recherche de son histoire, s’est mis à l’écoute de celle des autres.
Rentré de Sibérie où il vient de passer plusieurs semaines en résidence à Kirov, il constate :
“Je passe sans arrêt d’un garage au Brésil où j’ai travaillé pendant cinq ans avec des associations à une commande pour l’Opéra de Lyon. Ça me fait réfléchir à l’inscription des gestes artistiques dans un territoire.”
Cette réflexion commence avec Loin : il part au Vietnam sur les traces de son père, Algérien colonisé envoyé en Indochine sous le drapeau français pour se battre contre d’autres colonisés. De retour en Algérie, son père sera torturé pour avoir finalement déserté l’armée.
Choc culturel : les Vietnamiens rencontrés prennent Rachid pour un Français, un ancien colon, alors que lui se voit comme le fils d’un homme victime de la colonisation.
“Finalement, on est porteurs d’identités qui nous ont été attribuées, qui ne sont pas les nôtres et se reconfigurent en fonction des endroits où l’on se trouve. Je suis parti de ce malentendu pour construire le projet et j’ai repris le carnet des campagnes militaires de mon père : Saigon, Hanoi, Dien Bien Phu.”
Il rencontre des gens de différentes générations qui ont connu la guerre d’Indochine. A leurs paroles et leurs visages filmés, il ajoute le témoignage de sa mère racontant les tortures endurées par son père et qui, de son vivant, n’en a jamais parlé à son fils.
“C’est un projet sur la mémoire, celle de tous ces gens qui se construisent dans des formes de déplacement, d’exil, de diaspora. Je cherche à comprendre dans quelle mesure on se sent attaché à une terre où on a vécu, dont on est éloigné, ou que l’on a juste fantasmée.”
Loin devient alors un autoportrait constitué de fragments biographiques d’autres personnes, dont l’accumulation permet de construire une histoire collective.
Processus poursuivi avec Des témoins ordinaires, où l’on entend des victimes ou des témoins d’actes de torture. Des Brésiliens, un enfant-soldat tchétchène, un jeune Rwandais, un réfugié kurde d’Irak racontent non les moments de torture mais ce qui vient après : comment en parler et vivre avec.
Il y a chez Rachid Ouramdane une articulation et une tension constantes entre la dimension autobiographique, les réflexions esthétiques et les sujets de société.
Créée en 2007 pendant sa résidence au Théâtre de Gennevilliers avec de jeunes sportifs de la ville, Surface de réparation touche autant par sa beauté plastique que par les récits de ces adolescents issus de l’immigration qui “lèvent le voile” sur le quotidien dans les banlieues.
Pendant huit mois, Rachid les a suivis à l’entraînement. Puis il les a fait entrer dans le théâtre pour un stage vidéo sport qui s’est conclu par le spectacle. Une confiance partagée qui mêle les récits de leurs échecs ou de leurs désirs à leurs gestes d’entraînement. Ainsi dégagés de leur stricte fonctionnalité sportive, on les regarde autrement : simplement, pour la beauté du geste.
Loin Le 17 février aux Hivernales d’Avignon (du 13 au 20 février), tél. 04.32.70.01.07 ///www.hivernales-avignon.com
Surface de réparation Du 25 au 27 février au Centre Pompidou, Paris IVe, tél. 01.44.78.12.33. ///
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