Nicolas Diaz, webmaster à la FIDH* et hacktiviste, expose en quoi le progrès du digital, entre vitesse, précipitation et pertinence, nous impose de veiller à la préservation des libertés numériques.
Les révolutions en Tunisie, en Égypte ou en Libye ont montré au monde entier l’apport des technologies (comme les réseaux sociaux ou la téléphonie mobile) à un peuple pour renverser une dictature et tenter de construire une société plus juste et plus démocratique. Elles ont aussi révélé que les ONG traditionnelles connaissaient une période charnière où, sous diverses manifestations, les générations et les différentes couches sociales se sont mobilisées à travers de nouvelles formes d’organisations et ce, hors des schémas de mobilisation classiques.
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Ces réseaux sociaux sur Internet, ces catalyseurs de désobéissance civile, ont mis en exergue la nécessité pour les ONG locales et internationales de relever le défi de la création de ponts entre les générations afin de fédérer et mobiliser ces nouveaux acteurs et pour la plupart nouveaux défenseurs des droits humains. Des outils tels que Facebook, YouTube et Google sont certes attractifs en termes de promotion des droits humains, de mobilisation et bien sûr de collecte de dons, mais ils peuvent aussi constituer des services que l’on pourrait qualifier d »entonnoir » pouvant aliéner des centaines de millions d’utilisateurs.
Ces nouveaux acteurs économiques et entreprises commerciales doivent être tenus responsables des violations des droits humains qu’ils occasionnent au prétexte de la conquête de marchés. C’est de fait, une nouvelle donne, qui laisse place à tous les fantasmes, à toutes les aspirations et finalement à tous les paradoxes. Forte de ce constat, la FIDH entend promouvoir la mobilisation citoyenne virtuelle autant qu’elle garde les yeux ouverts sur les dérives liées à l’usage croissant de ces nouveaux outils.
• Premier paradoxe : le confort de l’utilisateur et la protection de la vie privée
En septembre 2012, Facebook a lancé la fonction de reconnaissance faciale. Dans le collimateur des organismes européens de protection des données, en raison de craintes pesant sur le respect de la vie privée des usagers, cette fonction a finalement été abandonnée par Facebook pour le marché européen. Elle permet de comparer des photos nouvellement mises en ligne avec d’anciennes photos, afin de suggérer le nom des personnes qui apparaissent sur les clichés et de proposer ainsi aux utilisateurs de les identifier.
En Tunisie, Facebook compte trois millions d’utilisateurs pour 10 millions d’habitants. Un accélérateur de révolution, certes, mais aussi potentiellement un outil de surveillance de masse à l’échelle d’un pays.
• Deuxième paradoxe : la liberté d’expression et vecteur d’information mais aussi de rumeurs de diffamation
Facebook et YouTube ont libéré la parole des Tunisiens et de nombreux peuples, mais sont également des amplificateurs de rumeurs voire des vecteurs de diffamation ou de calomnie. En termes de journalisme, les informations trop soumises à la précipitation des réseaux sociaux perdent en pertinence et ne passent plus par le traitement déontologique journalistique.
En somme la suprématie de certaines plateformes dites de liberté d’expression a, a contrario, amplifié la désinformation et l’absence de déontologie en journalisme.
• Troisième paradoxe : le logiciel propriétaire, le logiciel libre et le refus du cloud captif
Par opposition au logiciel libre, un logiciel propriétaire ne garantit pas l’ensemble des quatre libertés du logiciel libre. L’auteur d’un logiciel propriétaire peut interdire ou limiter à l’utilisateur :
– le fait d’utiliser le logiciel pour d’autres usages que ceux prévus dans le contrat
– le fait d’étudier le code source
– le fait de modifier le logiciel
– le fait de copier et de redistribuer des copies du logiciel.
Pour les ONG, les logiciels libres sont alors les premiers défenseurs de la liberté d’expression et de la liberté d’action.
Fait marquant : dans une circulaire du 19 septembre, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault invite les différents services informatiques de l’Etat à considérer fortement l’usage des logiciels libres.
« Au sein de l’administration, on constate une longue pratique de leur usage qui a permis le développement de compétences et la capitalisation de nombreuses expériences positives. Celles-ci ont notamment démontré les atouts du logiciel libre : moindre coût, souplesse d’utilisation, levier de discussion avec les éditeurs », écrit le Premier ministre.
Parmi les avantages mis en avant : le logiciel libre est « piloté par les besoins » et minimise donc les évolutions superflues ; il facilite également les expérimentations et l’adaptation au volume d’usage, favorise la mutualisation entre acteurs publics et apporte une transparence accrue en terme de sécurité. C’est une victoire pour la FIDH, qui a compris, dès le début des années 2000, l’enjeu de la défense des libertés numériques et a intégré les logiciels libres, non sans peine et sans remise en question, tiraillée entre le confort fallacieux de certains logiciels propriétaires et ses impératifs de sécurité et d’intégrité. Des communautés actives de developpeurs, de hackers et d’utilisateurs ont permis de dissiper ces dilemmes.
L’actualité au Bahrein, au Belarus et en Colombie nous rappelle chaque jour que les activistes des droits humains ont besoin d’être à jour et formés à l’usage des logiciels libres et aux bonnes pratiques en termes de sécurité informatique.
• Quatrième paradoxe : l’accès universel au savoir et la protection des créateurs
« Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. » Déclaration universelle des droits de l’homme, article 27
Sous-entendu : « le droit de propriété intellectuelle – ou droits d’auteur – des écrivains, des artistes ou des chercheurs doit être préservé et défendu ».
Alors, comment articuler les droits d’auteurs avec l’accès libre et universel aux savoirs ? Cette question est plus que jamais d’actualité, avec l’avènement de l’Internet et des technologies de la communication et de l’information.
Nous devons aujourd’hui être créatifs et imaginer des solutions pour équilibrer justement d’une part l’universalité de l’accès à la connaissance que représente l’internet et la défense des droits d’auteurs, c’est-à-dire la liberté de créer.
Nicolas Diaz
*Fédération internationale des ligues des droits de l’homme : www.fidh.org
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