Une gauche radicale bien implantée et des liens sociaux forts ont permis au Pays basque et au Béarn de contenir la montée de l’extrême droite lors des élections départementales.
Qu’on se le dise. “France périphérique” ne rime pas toujours avec Front national. Pour exemple, parmi les 143 votants de Musculdy, petit village perché dans les montagnes basques, on compte seulement trois voix en faveur du parti d’extrême droite. Sur le canton, le Modem (27,98 %) et la gauche basque EHBai (22,05 %) seront face à face au second tour, tandis que le Front national, lui, plafonne à 8,95 % en cinquième position.
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Situé à l’écart des zones d’emplois les plus actives et à une heure de route de Bayonne, Musculdy a fait le pari du lien social. “Ici, la vie collective est très importante. La semaine prochaine se tiendra Xiru, un festival de création musicale où la population s’investit beaucoup”, rappelle la maire Léonie Aguergaray, colistière d’EHBai. Par ailleurs, depuis 2005, Musculdy abrite une fromagerie artisanale, Azkorria, montée courageusement par dix-sept paysans afin de contrer le monopole des laiteries industrielles. “Au Pays basque, on a l’habitude de se prendre en main : ELB, membre de la confédération paysanne, est le syndicat agricole majoritaire”, raconte Peio Elgoyhen, salarié de la fromagerie. Ici, on nuance volontiers le scrutin départemental en rappelant que “le Pays basque n’est pas la France”.
La côte basque a toujours été un carrefour
Pour autant, dans toutes les Pyrénées-Atlantiques, le vote d’extrême droite, même s’il progresse, reste contenu à 11,85 % des voix (contre 25 % dans le reste de l’Hexagone). A la tête de l’assemblée départementale, le PS, avec 14,84 % des voix. Le Modem, incarné par François Bayrou et profondément enraciné, n’a jamais cédé à la stratégie de bouc émissaire pensée par la “droite décomplexée” sarkozienne. Certes, dans ce département, les inégalités économiques y sont beaucoup moins marquées que dans le Sud-Est, le climat océanique très pluvieux ayant dissuadé les riches retraités de s’installer.
Mais l’explication de ces résultats départementaux tient aussi à ce qu’Hervé Le Bras et Emmanuel Todd exposaient dans Le Mystère français, à savoir que même si la France s’homogénéise, le lieu de vie produit encore du politique : l’électorat catholique a basculé à gauche dans les régions de l’ouest. Ainsi, le FN plafonne à 10,16 % dans le Gers, 15,92 % dans les Hautes-Pyrénées ou encore à 15,76 % en Ariège (présentant pourtant le PIB par habitant le plus faible de métropole).
Contrairement encore aux idées reçues, la côte basque a toujours été un carrefour et un lieu de passage. A Bayonne, une importante communauté juive, chassée par l’Inquisition espagnole, fonde le quartier Saint-Esprit au XVe siècle. Les activités du port, le bassin minier de Lacq et les grands établissements industriels (Turbomeca, Dassault Aviation…) y ont ensuite attiré une population immigrée : on recensait récemment trente-cinq langues parlées par les enfants scolarisés dans les quartiers nord. rès de la gare, la grande synagogue est étonnamment bordée de boutiques et de bars musulmans : “Chacun fait sa vie. Il n’y a pas de problème de cohabitation”, témoigne Georges Dalmeyda, membre de la communauté juive. Ici, le parti lepéniste élargit son électorat mais bien en dessous des résultats hexagonaux (16 % contre 25 %). Après les attentats de Paris, les fidèles de la mosquée ont découvert plusieurs tags racistes sur le portail d’entrée : “C’est complètement anecdotique et le fait de gamins stupides, ironise Aghiles Ouerdani, trentenaire musulman né en Algérie, cependant on voit bien comment petit à petit sont banalisées les thèses frontistes.” En cause, le traitement des élections départementales qui s’est focalisé sur la place de l’extrême droite au détriment des enjeux locaux. Sans raison objective, EE-LV a même été écartée au profit du FN lors du débat public du premier tour, organisé conjointement par France 3, France Bleu Pays basque et Sud-Ouest.
Un échiquier politique mouvant
Pourtant, la question d’une collectivité territoriale spécifique, du financement des aides sociales ou encore d’un plan cohérent de transport sont bien plus prégnantes. L’échiquier politique est aussi mouvant : Forces 64, l’alliance de l’UMP et du centre, pourrait reprendre le département au PS. La gauche locale paie les réformes du gouvernement Valls, notamment la fusion des régions perçue ici comme une manœuvre centralisatrice.
Bien connue pour ses fêtes estivales, Bayonne est aussi remarquable pour son réseau associatif. En 2013, l’ONG locale écologiste Bizi !, aidée de 500 bénévoles, organisait Alternatiba, devenu le contre-sommet climatique français. “Ici, on sort des réseaux traditionnels de militance. C’est une expérimentation sociale remarquable”, reconnaît Geneviève Azam, économiste et membre du conseil scientifique d’Attac. A l’origine d’Alternatiba, Jean-Noël Etcheverry, dit “Txetx” est une figure de la gauche basque et du mouvement altermondialiste. Au cœur du Petit Bayonne, un vieux quartier populaire exposé aux marées, il a lancé la fondation Manu Robles-Aranguiz, un espace militant qui accompagne les initiatives politico-sociales.
En partance pour le Forum social mondial de Tunis, Txetx explique la faiblesse du vote FN en Pays basque par deux phénomènes. D’une part, la permanence de liens sociaux très forts et d’activités ritualisées : comités des fêtes de villages, marchés, vie de quartier, rugby… “Ailleurs, les modes de vie ont été totalement atomisés : les gens ont un sentiment d’insécurité parce qu’ils sont seuls”, explique-t-il. D’autre part, la gauche française a été incapable selon lui de fédérer une colère légitime contre les inégalités et les dérives du capitalisme. “Le mouvement basque, au sens large (festivals musicaux, lutte contre la spéculation foncière ou mobilisation contre la ligne à grande vitesse…) a capté une jeunesse désireuse d’action et de radicalité.”
« Les candidats du FN sont des fantômes »
Dimanche, la gauche basque d’EHBai s’est ainsi hissée au second tour dans quatre cantons, et même à Saint-Jean-de-Luz, réputé conservateur. Dans les Pyrénées-Atlantiques, le FN touche principalement un électorat de zones périurbaines, définies par de grands centres commerciaux et un mode de vie à dominante pavillonnaire. Avec 16,74 % sur le canton Nive-Adour, le parti lepéniste parvient, là et seulement là, au second tour ; le candidat sortant d’EHBai, Alain Iriart, et sa colistière Fabienne Ayensa, sont cependant tout proches de l’assemblée départementale avec 37,9 % des voix. Sans ambiguïté, Jean-Jacques Lasserre, leader du Modem et président de l’assemblée départementale de 2001 à 2008 appelle à ne “pas soutenir l’extrême droite”.
A l’autre bout du département, le Béarn. Ici aussi, le lieu fait le politique : îlot protestant, autonome jusqu’à la Révolution, la gauche y sera partout au second tour ; le FN nulle part. Au cœur des Pyrénées, la vallée d’Ossau écorne encore ces clichés tenaces sur le vote d’extrême droite. Autrefois florissant, le secteur industriel s’y est écroulé : le transport ferroviaire de voyageurs puis de marchandises y a été abandonné ; en 2009, Thyssenkrupp Laprade (au total 250 salariés) est venue s’ajouter à la longue liste d’usines ayant fermé leurs portes. Or, s’il est fréquent de considérer que le FN accroît son influence dans les régions désindustrialisées, la vallée est figée à gauche. Sur son canton, celui d’Oloron-2, le Modem est premier (29,27 %) mais suivi par trois listes de gauche : PS (27,54 %), divers gauche (17,03 %) et Front de gauche (12,13 %). L’extrême droite n’obtient que 14,03 %.
Depuis 2010, un collectif occupe l’usine Pelecq d’Arudy, une friche industrielle de plus de 2 000 mètres carrés. Jeunes pour la plupart, ils sont charpentiers, céramistes, boulangers bio ou encore ferronniers. “En tout, quinze emplois y ont été créés. Sans l’espace Pelecq, ces activités n’auraient jamais démarré”, commente Fred Ballanger, quarantenaire alerte, guide de rafting et membre de l’association Survie, qui lutte contre la Françafrique. Depuis son origine, l’atelier Pelecq héberge aussi un pan d’escalade et Alandar, une association culturelle très soucieuse du transgénérationnel. “Les candidats du FN sont des fantômes, personne ne les connaît, poursuit Fred Ballanger. Cependant, la solution n’est pas de mettre à l’index leurs votants : c’est le développement d’autres réseaux de socialisation, d’une économie contributive et plus participative.”
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