Professeur de sciences politiques à l’université de Lille 2, auteur en 2011 de Les primaires socialistes, la fin du parti militant (Raisons d’agir), Rémi Lefebvre travaille depuis longtemps sur le Parti socialiste. Il porte un regard à la fois critique et réaliste sur l’idée de « primaires des gauches et des écologistes » en vue de 2017. Entretien.
Ce lundi 11 janvier, une quarantaine d’artistes, d’intellectuels et de politiques (dont le député européen Yannick Jadot et son mentor, Daniel Cohn-Bendit) ont publié une tribune dans Libération appelant à l’organisation d’une primaire « des gauches et des écologistes » en vue de l’élection présidentielle de 2017. Déjà critique vis-à-vis des effets des primaires sur la vie démocratique en 2011 lors de la parution de son livre, Les primaires socialistes. La fin du parti militant, le politologue Rémi Lefèbvre persiste: selon lui, ce processus verrouille les règles institutionnelles, tout en constituant « un levier pour contester la politique du gouvernement ».
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Pourquoi selon vous cet appel à des primaires à gauche est-il un aveu d’impuissance ?
Rémi Lefebvre – En 2011, les primaires organisées par le Parti socialiste étaient déjà un aveu d’impuissance, mais le contexte était différent : la gauche avait perdu trois élections présidentielles successives, elle était très divisée, et le PS n’arrivait pas se rénover. Alors que la gauche a une tradition plutôt parlementaire et hostile à la présidentialisation, elle adoptait une procédure qui consommait l’acceptation de la Ve République, qui personnalisait la vie politique, faute de pouvoir régler son problème de leadership. C’était à la fois une démocratisation de la sélection du candidat, puisque le processus était ouvert aux sympathisants, et en même temps la démonstration que le PS n’arrivait pas à se mettre d’accord. Il se trouve que cette primaire a très bien fonctionné : 3 millions de citoyens y ont participé et François Hollande a gagné l’élection présidentielle. D’un certain point de vue sa victoire a validé l’efficacité des primaires, d’où son adoption par la droite.
Aujourd’hui, c’est de nouveau un aveu d’impuissance. Il est évident que la situation politique est complètement bloquée, comme le constatent les signataires de cet appel : la gauche est atomisée, le président est très impopulaire, mais il sera candidat. Cela constitue une violence symbolique très forte exercée sur le peuple de gauche, qui se sent floué. Mais le président en place prospère sur l’incapacité des partis à la gauche du PS à s’organiser et sur l’absence d’alternative en termes d’offre politique. On est donc dans une impasse.
Ce qui est paradoxal, c’est que d’un côté les signataires dénoncent la présidentialisation et le fait du prince Hollande, et de l’autre ils veulent avoir recours à une procédure qui renforce la présidentialisation. La primaire est un verrou de plus des règles institutionnelles. Cette solution manque d’audace et d’imagination. Cela en dit long sur l’impasse de la gauche.
D’un autre côté, comme l’explique la tribune, cette primaire pourrait permettre aux citoyens de s’emparer de la présidentielle, et de choisir leur candidat, pour pouvoir le jour J voter “pour”, et par “contre”?
Il y a une part de naïveté dans l’appel car une primaire n’a pas la capacité mécanique de raviver le débat citoyen. Cécile Dufflot écrit dans Libération que les primaires peuvent « remettre en marche la machine à idées » et que la primaire est plus qu’un mode de sélection du candidat. Mais c’est un « one shot » et c’est un processus qui permet avant tout de trancher entre des personnalités, au mieux porteuses de lignes politiques alternatives (comme en 2011). Comme les instigateurs de cet appel ont conscience que ce n’est pas conforme aux valeurs de gauche, ils rattrapent le coup en disant que ça va susciter des débats. Mais les primaires entérinent et accélèrent avant tout une logique de personnalisation. Le citoyen élimine, choisit, ce qui est déjà pas mal, mais ne produit pas. Les primaires relèvent de la démocratie représentative, pas vraiment de la démocratie participative. C’est toute l’ambiguïté de l’appel. En 2011, on disait que les primaires socialistes allaient révolutionner la politique, ça n’a pas été du tout le cas.
Quelle solution préconisez-vous ?
Ce qui aurait été plus fort de leur part, c’est de faire en sorte que tous les candidats à la primaire s’engagent en faveur de la VIe République, de poser cette condition. Le socle politique partagé par ces candidats aurait pu être de demander l’abrogation de la Ve République pour construire de nouvelles règles. De cette manière, la gauche pourrait utiliser les règles du jeu pour subvertir le système. La présidentialisation des élections est un drame pour la gauche, car concrètement Hollande impose sa politique à une gauche qui ne l’accepte pas : les primaires auraient pu être l’occasion de mettre en cause ce système institutionnel mortifère. Les effets secondaires de la primaire doivent être a priori intégrés et neutralisés.
Yannick Jadot a bien précisé que ce n’était pas une primaire de la contestation, réservée à la “gauche de la gauche”, mais une primaire de toute la gauche. Il a d’ailleurs invité Hollande à y participer : est-ce qu’il pourrait se soumettre à ce processus ?
Il y a beaucoup de postures tactiques de part et d’autres. On est un peu dans un jeu de poker menteur. Hollande laisse entendre qu’il pourrait y participer, mais c’est pour dissuader Jean-Luc Mélenchon de le faire : il n’y participera pas si Hollande est candidat à la primaire car il serait tenu par le résultat. Concrètement, il est peu probable qu’Hollande y participe. La probabilité qu’il y ait une primaire de toute la gauche me paraît très faible, car tout l’imaginaire présidentialiste de la Ve République repose sur l’idée qu’un président sortant ne s’abaisse pas à participer à une primaire qui apparaît comme un processus très partisan. Il prendrait d’ailleurs beaucoup de risques, car cela pourrait tourner au référendum anti-austérité même si on peut considérer aussi que cela pourrait le relégitimer et produire de l’unité à gauche.
Cette primaire “des gauches et des écologistes” pourrait-elle au final déboucher sur une primaire des partis à la gauche du PS ?
C’est probable, ce scénario plus restreint peut lever les craintes de Mélenchon. De plus, s’il y a un candidat unique de la gauche, qu’il y a une dynamique derrière lui, il pourrait être soutenu par des frondeurs – même s’ils sont emprisonnés au PS pour des raisons électorales. Ce candidat représenterait alors une menace sérieuse. Mais pour l’instant les signataires veulent une primaire de toute la gauche. Le risque FN va aussi beaucoup peser pour construire et forcer l’unité à gauche au premier tour.
Cette primaire pourrait-elle insuffler une nouvelle dynamique à gauche, ce qui est son but fondamental ?
Je suis critique sur le fond, mais dans la situation actuelle d’atomisation de la gauche, de conflits d’appareils et de personnalités, de divergences idéologiques, de démobilisation générale des militants, il faut se raccrocher aux branches. Il y a un principe de réalité. Les primaires sont un levier pour contester la politique du gouvernement, alors qu’Hollande joue sur l’automaticité de sa candidature et de sa réélection. C’est un levier, mais on se situe toujours dans le système.
La gauche devrait penser à sa stratégie hors du système institutionnel en place. Le risque des primaires à long terme réside dans la dépolitisation, la personnalisation et la dramatisation artificielle de la vie politique qu’elles impliquent. Cela créé une dynamique démocratique ponctuellement, mais d’un autre côté cela créé un climat de campagne permanente, où les sondages ont beaucoup d’importance – on le voit avec Juppé.
Les signataires disent ne pas vouloir laisser à la droite le monopole de l’ouverture démocratique – car la droite va organiser des primaires en 2016 -, ils ont raison. Je suis critique, mais je suis prêt à être pragmatique : mais utilisons la force du système pour le remettre en cause. La gauche en est réduite au point de devoir utiliser les armes de ses adversaires : faisons le contre le système, en évitant d’en amplifier ses travers.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
Les primaires socialistes. La fin du parti militant, de Rémi Lefèbvre, Raisons d’agir, 2011, 174 p.
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