A la frontière austro-hongroise, près de 11.000 migrants –un record depuis début juillet- ont séjourné entre jeudi et aujourd’hui sur une plate-forme bétonnée. Dans des conditions apocalyptiques et dans l’attente d’un transfert vers l’Allemagne.
Ils pensaient avoir fait le plus dur. Des jours, des semaines, voire des mois de périple depuis la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan. Même le passage douloureux pour beaucoup par la Hongrie (brimades, emprisonnement temporaire, racontent-ils) de Viktor Orban, le président conservateur hongrois qui veut fermer ses frontières, commençait à s’effacer. « Il n’y a plus qu’un train à prendre, ou un bus », s’enthousiasme Selim, jeune ingénieur électronique syrien, parti depuis quinze jours de Syrie, -sans ses parents « trop vieux pour (l)’accompagner » – « avec l’Allemagne à quelques kilomètres, on va pouvoir inscrire le mot Fin à notre histoire, trouver un nouveau travail, commencer une nouvelle vie ».
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La tension monte
Des bus, on en recense à Nickelsdorf une quarantaine, prêts à partir, le long de cette plate-forme habituellement dédiée au fret routier, et limitrophe avec la Hongrie. Mais la police fait barrage. « Ils vont être conduits à la gare de Vienne, pas directement en Allemagne », glisse un policier autrichien, « pour l’instant, ça se passe plutôt bien, ces gens sont calmes ». Ce « kolossal » sous-officier a du flair : « ça arrive par vague, mais, là, je crois qu’on va atteindre un pic ». La tension monte. Une interprète en uniforme se mêle à la foule pour expliquer en arabe : « Les trains sont pleins, vous prendrez des bus, mais patience ».
L’Autriche tente de faire face, humainement, à cette crise migratoire sans précédent, quand son voisin hongrois use plus facilement de la violence, et de l’intimidation pour faire sortir au plus vite de ses frontières les milliers de réfugiés recensés encore cette semaine. Mais les autorités autrichiennes n’avaient pas anticipé une telle marée humaine. En une seule journée, jeudi, 11.500 personnes –un record depuis juillet- sont passées de Hegyeshalom (Hongrie) à Nickelsdorf, distant de quelques kilomètres effectués à pied, le long de terres agricoles et au milieu de centaines d’impressionnantes éoliennes. Etonnant contraste entre ce décor rural presque bucolique, avec côté hongrois à quelques bornes Mosonmagyarovar, destination très prisée des retraités allemands en Birkenstock et réputée pour refaire des dentitions ultra-brite, et ce drame humain dont personne ne perçoit la fin.
« les policiers hongrois nous ont tapés dans les os, et volé notre argent »
Sous un porche du camp, la distribution des pains et de l’eau vire à la cohue. Les esprits s’échauffent. Kozhen, lui, est hagard. « Je suis seul, mon meilleur ami a été emprisonné en Hongrie, je ne sais pas où il se trouve », lâche ce mécanicien kurde de 22 ans, qui a traversé la Bulgarie et la Serbie avant de traverser la Hongrie, « les policiers hongrois nous ont tapés dans les os, et volé notre argent ». Il souhaite rejoindre sa sœur en Angleterre « via Calais ». Alors que la nuit tombe, les bus n’ont toujours pas bougé.
Les services sanitaires autrichiens semblent dépassés, l’alimentation commence à manquer. Les odeurs deviennent difficilement supportables. Les dizaines de policiers organisent des files d’attente, avec une sélection que personne ne comprend. « Quand va-t-on enfin partir ? », s’inquiète Saba, un Irakien sunnite qui a laissé ses quatre enfants et sa femme près d’Erbil et fuit après avoir aidé les Américains. Les bousculades et les mouvements de panique s’enchaînent contre les barrières, des enfants pleurent. D’autres, comme Saba, ont choisi de patienter, alors que le froid tombe, et que de très nombreuses familles ont trouvé refuge dans des hangars sous des couvertures.
Des milliers de réfugiés sur le carreau
Dans la nuit, quelques bus prendront effectivement le départ, mais c’était sans compter sur, ceux à nouveau, qui déferlaient sur le camp, lampe frontale pour trouver leurs repères dans la nuit noire. Vendredi matin, la police hongroise interdisait cette fois l’accès au camp de Nickelsdorf depuis Hegyeshalom, gare où arrivent les trains de Budapest. Combien restaient-ils de réfugiés à attendre un bus ? Des milliers. Sans solution en vue au petit matin, ils ont décidé de marcher sur l’autoroute M1, comme certains –les mêmes ?- l’avaient fait en Hongrie la semaine dernière. L’autoroute reliant Budapest à Vienne a été provisoirement coupée. Des particuliers autrichiens se sont alors organisés, en voiture, pour les transporter jusqu’à Vienne. Comme si l’Europe leur ouvrait enfin les bras pour une première valse.
Photographie : Louis Preiss, à Hegyeshalom (Hongrie) et Nickelstock (Autriche)
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