Drôle de paradoxe. Alors que l’Europe du Sud est soumise à un régime drastique d’austérité depuis 2009, c’est le Royaume-Uni, le Danemark, l’Autriche ou encore la France qui ont porté les partis eurosceptiques au Parlement européen dimanche 25 juin. Soit des pays dont le PIB vole bien plus haut que celui de leurs voisins méditerranéens.
Pourtant les Portugais avaient de quoi pester. Sous tutelle de la Troïka – Commission européenne, la Banque centrale et le FMI – jusque début mai, le petit pays est dans une situation critique, malgré les rumeurs de reprise économique. Un chômage à 15 % (35 % chez les jeunes), le départ chaque année d’environ 100 000 personnes depuis le début de la crise, une mortalité en hausse…
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En Espagne ou en Grèce, même chose. Fin mai, les agences de notation ont relevé les notes de la dette à long terme de Madrid (de “BBB –” à “BBB” selon Standard & Poor’s), sortie de la tutelle de la troïka en janvier, et d’Athènes (“B–” à “B” selon Fitch). Une embellie économique loin d’être ressentie par les habitants. Après deux ans de récession en Espagne et six en Grèce, plus d’un quart de la population active est au chômage, plus de la moitié des jeunes (61 % à Athènes) sans emploi, et le taux de pauvreté tourne aux alentours de 23 %.
Mais les scrutins de ces pays du Sud ont donné gagnants les partis traditionnels ou la gauche radicale. Au Portugal, c’est le Parti socialiste (31%). En Espagne comme à Chypre, encore sous perfusion européenne, c’est la droite populaire qui est arrivée en tête. En Grèce, la coalition d’extrême gauche Syriza a raflé la mise (27 %), le parti néo-nazi Aube dorée s’octroyant quand même 10 % des voix. Pourquoi?
Hypothèse n° 1 : un profond attachement à l’Union européenne
“Les pays qui à l’heure actuelle sont en crise doivent souvent leur liberté à l’Europe”, commente Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale. Le Portugal, comme l’Espagne ou la Grèce, ont été sous régime dictatorial jusqu’au mitan des années 1970. Ces pays enracinent dès lors leur transition démocratique dans l’Union européenne : Madrid et Lisbonne demandent à adhérer à l’UE dès 1977, avant de devenir des Etats-membres en 1986.
Par ailleurs, ces pays, en voie de sortie de crise, attribuent en partie cette embellie économique à l’Union européenne. “Malgré la rudesse des plans d’austérité, les électeurs ont pu considérer que l’Union a participé à améliorer leurs économies nationales”, analyse Magali Balent, spécialiste des extrémismes européens à l’IRIS. “Une forme de reconnaissance” qui les aurait empêchés de voter pour les partis anti-UE.
Hypothèse n° 2 : l’euroscepticisme dilué dans les partis traditionnels
“Au Portugal, il n’y a pas d’offre électorale pour les extrêmes”, explique Ana Navarro-Pedro, correspondante à Paris pour l’hebdomadaire portugais Visao, sur Europe 1. En dehors de la Grèce, avec le parti Aube dorée réactivé en 2007, ni l’Espagne, ni le Portugal, ni Chypre n’ont d’extrême droite. Une particularité liée à leur histoire dictatoriale. “Le salazarisme n’a pas laissé de parti néo-salazariste” [du nom du dictateur António Oliveira Salazar qui tint le Portugal pendant 37 ans], note le politologue Antonio Costa Pinto, chercheur à l’ICS de Lisbonne, dans les pages de l’hebdomadaire Expresso. Ainsi même si “15 à 20 % des Portugais expriment des valeurs telles que l’euroscepticisme et le souci de la souveraineté nationale”, il manque “des hommes politiques pour incarner cette tendance”.
“En fait l’euroscepticisme est dilué dans les partis au pouvoir, note Magali Balent. Le Parti populaire espagnol a absorbé l’extrême droite franquiste. On la retrouve dans les tendances nationalistes du PP. Idem au Portugal où le CDS-PP a absorbé toutes les potentialités eurosceptiques.” Ana Navarro-Pedro corrobore cette analyse : “[Le CDS] se dit social-démocrate mais c’est en fait un parti populaire comme en Espagne, assez à droite.” Antonio Costa Pinto résume : “le CDS a permis de contenir l’expansion de la droite”, en se chargeant de la défense de la cause souverainiste ou des anciens combattants des guerres coloniales.
Hypothèse n° 3 : le rejet européen exprimé par des petits partis de circonstance
L’exemple grec suppose une autre hypothèse : la crise économique et, surtout, l’austérité imposée par l’UE, ont fait apparaître des partis anti-Bruxelles ad hoc. “Syriza a clairement surfé sur la crise et ses répercussions, note ainsi Magali Balent. Le parti des indignés espagnols, Podemos, le Mouvement 5 étoiles en Italie, ou encore l’AfD allemand sont des purs produits de la crise économique mais aussi politique que traversent ces pays.”
Aux partis de gouvernement embourbés dans les scandales de corruption, les citoyens préfèrent des formations alternatives nés du ras-le-bol de l’austérité. Mais si Podemos a déjà affirmé vouloir se rapprocher de Syriza pour défendre l’Europe du Sud face à la Troïka, l’embellie économique pourrait avoir raison à terme de ces partis. À charge désormais à ces nouveaux venus sur la scène politique de s’enraciner.
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