Comme tous les ans depuis 2000, au 1er juillet, les Pays–Bas commémorent l’abolition de l’esclavage perpétré dans leurs anciennes colonies du Surinam et des Antilles néerlandaises.
Dans une ambiance festive, une parade rythmée par les chants des marcheurs, vêtus pour la plupart des costumes traditionnels, célèbre le « Keti Koti » (« chaînes brisées » en surinamien). Mais en 2013, 150 ans après la fin des traites négrières, la cérémonie est teintée d’une atmosphère particulière. Si les habituels discours prononcés à l’issue de la marche n’ont toujours pas exprimé les excuses que beaucoup attendent, la présence du couple royal, bien que silencieuse, marquait un nouveau pas vers la reconnaissance de cette histoire restée longtemps taboue.
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Au delà du folklore ou du discours officiel, les sentiments des Néerlandais à l’égard de cette célébration restent plus que mitigés. Ainsi de nombreux participants aux festivités arboraient un badge « 1863 ». Parmi eux l’entrepreneure Jennifer Tosch :
« 1863, c’est l’abolition légale mais cela n’a pas mis fin à l’esclavage. Le gouvernement de l’époque a imposé par la violence une ‘période d’apprentissage’ de dix ans prétextant que les esclaves n’étaient pas prêts pour la liberté ».
Celle qui se définit comme Surinamienne-Américaine se souvient: « Je suis venue il y a un an pour faire des recherches sur ma famille qui a vécu ici avant de migrer vers les Etats-Unis ». Déçue par l’absence de reconnaissance de la mémoire des Noirs, la dynamique californienne crée alors le Black Heritage Amsterdam Tour, une visite guidée alternative axée sur la contribution des Noirs – dont la présence remonte au XVIe siècle – au patrimoine de la ville : « Aux Etats-Unis, le même sujet est bien plus débattu ; ici, le passé des descendants d’esclaves reste une histoire cachée. »
« Une cheminée ne rendrait pas un visage totalement noir ! »
L’héritage colonial n’est pourtant pas totalement invisible. Depuis plusieurs années, les antiracistes combattent une figure incontournable de la plus grande fête populaire du pays : « Zwarte Piet » (Piet le Noir), le « serviteur » de Sinterklaas (Saint-Nicolas). Chaque 5 décembre des Hollandais grimés en Zwarte Piet apparaissent dans les rues, le visage recouvert de peinture noire pour incarner ce personnage stupide et gaffeur. Certains assurent que sa couleur n’est due qu’à un malencontreux « passage par la cheminée ». « Une cheminée ne rendrait pas un visage totalement noir ! réfute Jennifer Tosch, et ça n’explique ni les lèvres rouges, ni la coiffure afro, ni les bijoux d’inspiration coloniale. » En réalité, Zwarte Piet est né en 1845 de l’imagination de l’auteur pour enfants Jan Schenkman.
En 2011, le jeune poète et présentateur radio noir Quinsy Gario se rend aux festivités officielles armé d’une simple banderole « Zwarte Piet c’est du racisme ». Le débat national provoqué par la vidéo de sa violente arrestation montre que les Pays-Bas ne sont pas prêts à remettre en cause ce qu’ils considèrent comme une « tradition » au point d’avoir demandé en 2012 à l’UNESCO d’inclure les célébrations de Sinterklaas – Zwarte Piet compris – au patrimoine immatériel de l’humanité…
« Ils rentrent de l’école en pleurs »
Quinsy Gario évoque pourtant la souffrance de ces enfants noirs surnommés « Zwarte Piet » par leurs camarades: « ils rentrent de l’école en pleurs, et essaient de ‘nettoyer’ leur peau parce qu’ils ne veulent plus être noirs ». Il voit de plus en plus de parents blancs ou noirs se rebeller : « le jour du déguisement, ils gardent leurs enfants à la maison. Il y a aussi des écoles qui ont créé des célébrations alternatives ».
L’activiste Kirsten van den Hul, qui fut représentante des Pays–Bas aux Nations Unies, est désormais engagée auprès des contestataires et porte un regard sévère sur son pays :
« C’est la honte qui m’a conduite à m’engager. Zwarte Piet symbolise notre incapacité à dépasser notre passé colonial. Les Pays-Bas sont victimes de leur propre marketing. Nous avons promu, avec succès, l’image de nation progressiste, ce que nous sommes dans bien des domaines, mais pas sur cette question. »
Elle précise : « Admettre qu’il y a du racisme est très douloureux pour des Hollandais élevés dans l’idée qu’ils sont tolérants et ouverts d’esprit. »
« Beaucoup se sont enrichis grâce à la colonisation »
Elle est convaincue qu’il y a là une véritable « ignorance de l’Histoire ». Ce que Jennifer Tosch confirme : « Quand ils parlent de l’esclavage, les Hollandais évoquent la fin d’un sombre chapitre, la « Zwarte Bladzijde » – page noire –, sans préciser que ce fut aussi une période d’expansion économique. Beaucoup se sont enrichis grâce à la colonisation ».
Kirsten van den Hul le rappelle comme une évidence : « Le seul mot de notre langue qui soit connu partout dans le monde est le mot apartheid. Il est temps d’enseigner notre passé dans les écoles. »
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