Sur France 24, Les Observateurs est une émission conçue à partir d’images et de sons fournis par des non-journalistes. Une information au plus près de la réalité brute qui a aussi sa déclinaison internet.
Homs, en mai dernier. Un jour de bombardement plus intense, trois jeunes cameramen repérés par des soldats, des roquettes qui fusent. L’assassinat du journaliste Bassel al-Sahade par l’armée syrienne n’a en France pas déclenché d’écho particulier. Une mort de plus, couverte par le fracas de la guerre civile. Un seul média, pourtant, a su rendre hommage au reporter : l’émission Les Observateurs sur France 24. Un texte sur son site déroule la biographie du jeune homme. L’article est assez précis, témoignant d’une proximité avec son sujet que n’aurait sans doute pas obtenu un envoyé spécial occidental – pour peu qu’il en reste. Alors qui pour le rédiger ? Pas un journaliste, mais un ami du défunt, collaborateur des Observateurs depuis 2011.
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L’info ne passe plus par les pros assermentés
Pas tout à fait un hasard : l’idée de suppléer au travail des reporters classiques sans prétendre les remplacer est au coeur du projet. Mais pour combler les angles morts de l’actualité internationale, Julien Pain, animateur-fondateur de l’émission, et son équipe ont changé de perspective. Le local n’est plus seulement vu comme un réel à investiguer, mais comme un foyer de forces vives, un potentiel inépuisable d’acteurs témoins. Le regard sur le local se délocalise, en somme. Chaque numéro des Observateurs provoque donc un court-circuit : l’info ne passe plus par les pros assermentés, correspondants ou envoyés spéciaux. Désormais verticale ascendante, remontant d’amateurs connectés vers un desk parisien prenant la responsabilité de la polir et de la mettre en forme.
Hebdomadaire, l’émission s’appuie sur un réseau mondial de 3 000 collaborateurs réguliers, réputés fiables, et d’un vivier de 40 000 sympathisants prêts à aider, mais non encore « validés » par leur pratique. Guide touristique malien, instituteur tunisien ou jeunes hyperactifs technophiles sud-américains : des profils hétéroclites pour une armée de l’ombre, flanquée de portables 3G, de webcams et de connexions Skype. Tous prêts à témoigner non d’un quotidien exotique mais des secousses politiques et sociales (émeutes, abus de pouvoirs) ou d’effets pervers de la mondialisation. Exemple : en Guinée, certains villages sont saturés de poussière par le passage en trombe des camions de sociétés minières (étrangères) sans aucun égard pour la santé des habitants. Une séquence apocalyptique.
Omnivoyant
Par son titre et son pitch orwellien (« Vos yeux aux quatre coins du monde »), on pourrait hâtivement classer Les Observateurs dans le flux d’une idéologie du tout-visible, d’un regard « omnivoyant » démocratisé par la technologie. Un avatar de la Full TV (tous filmés, tous filmant dans un monde transparent) décrit par le psychanalyste Gérard Wajcman dans L’OEil absolu.
L’émission fait pourtant oeuvre d’information et non de surveillance. Malgré un format court (cinq minutes, adapté au rythme d’une chaîne de news en continu) et son effet un peu zapping, ces séquences s’avèrent d’utilité publique. Le concept au coeur d’un questionnement plus spécifique aux médias : le journalisme participatif et l’usage d’images amateurs. Si la radio a depuis longtemps intégré la parole de ses auditeurs, si le net ne se conçoit pas sans ses nombreux dispositifs d’expression libre, la télévision persiste à bloquer sur les images non professionnelles, toujours plus ou moins taboues.
Leur donnant une légitimité, Les Observateurs changent la donne et brouillent les frontières.
« Les journalistes doivent accepter d’avoir perdu le monopole de la captation, assure Julien Pain. A partir de là, les amateurs ont deux qualités essentielles : ils ont accès à des lieux interdits aux journalistes, comme en Chine. Et ils peuvent faire face à l’imprévu, comme à Fukushima. »
Ne cachant pas la défiance voire le mépris que son concept rencontrait à l’origine, Julien Pain semble en passe de remporter son pari. Mais il lui a fallu d’abord rassurer par ses méthodes de recoupement scrupuleuses. « Quand je reçois un document, j’appelle mes contacts, les autres ‘observateurs’, les autorités locales ou les reporters de France 24, s’il y en a sur place. De plus, aujourd’hui, grâce à Google Images, aux métadonnées ou au logiciels de localisation, tracer l’origine d’une image est facile. Idem pour celles que nous sélectionnons sur le web. » Cet ancien spécialiste des cyberdissidents pour Reporters sans frontières a ensuite dû prouver qu’il allait dans le sens de l’histoire.
Un flux mondial qui alimente les JT
Heureusement, la révolution iranienne de 2009 et ses milliers de portables filmeurs déjouant la censure l’ont aidé. Le Printemps arabe a fini de convaincre les plus sceptiques. Les Observateurs fut le premier à diffuser des images de l’émeute fondatrice de Sidi Bouzid (Tunisie) grâce à un syndicaliste local, déjà membre de la communauté.
Aujourd’hui, ces séquences alternatives irriguent près d’un JT sur deux à France 24 et sont reprises sur France Ô dans Echôs du monde. Les chaînes historiques n’hésitent plus à piocher dans ce flux mondial. Dont la nature risque de se complexifier pour devenir un enjeu de pouvoir. » En Syrie, les porte-parole de la révolution savent maintenant fournir leur propre communication, alerte Julien Pain. Ils ont compris que le langage et l’image peuvent servir n’importe quel objectif politique. »
Pascal Mouneyres
Les Observateurs Le samedi à 8h10 sur France 24, puis multirediffusions et sur observateurs.france24.com Echôs du monde Le samedi à 18h45 sur France Ô
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