Ils sont les futurs Will Ferrell, Louis C.K. ou Kristen Wiig : tour d’horizon des nouveaux humoristes américains, dont l’humour transgressif redéfinit la comédie US.
Avec le Nouveau Festival, le Centre Pompidou a décidé de faire entrer la comédie américaine au musée. Les Will Ferrell, Kristen Wiig, Louis C.K. ou Jerry Seinfeld aux côtés de Matisse ou Jackson Pollock ? Le stand-up et par extension la comédie américaine semblent être rentrés dans les rangs de l’art contemporain. Estampillée “nouvelle comédie américaine” le cycle de films présenté au Centre Pompidou vise à présenter les délires de cette génération des années 90 et 2000 avec ses héros extravagants d’immaturité. Mais qu’en est-il des années 2010, de la nouvelle “nouvelle comédie américaine” ?
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Elle commence déjà à pousser les portes d’Hollywood. Et rien de moins que celles de la Maison Blanche aussi. Le 26 avril dernier, lors du dîner des correspondants, Barack Obama a fait monter son “anger translator” (« traducteur de colère » en VF) Luther, pour le traditionnel moment d’humour face à la presse. Un sketch de quatre minutes durant lesquels Luther traduit ce qu’Obama dirait s’il n’avait pas autant de self-control.
Barack Obama & Anger Translator (VOSTFR) par Spi0n
Derrière le personnage de Luther, le comédien Keegan Michael Key. Valeur montante de la nouvelle comédie US, il opère avec son comparse Jordan Peele sur la chaîne Comedy Central, la fameuse maison mère de South Park ou du Daily Show. Key&Peele, qui va connaître sa cinquième saison en juillet, est un programme désormais chéri des comedy nerds, ceux qui écoutent des podcasts de comédie à longueur de journée et se bidonnent devant tous les programmes de stand-up d’HBO.
Car si Barack Obama connaît Key & Peele pour en être une des cibles préférées depuis les débuts du show, le reste du public les identifie un peu moins. Ils seront bientôt au cinéma, avec un film adapté d’un de leurs sketchs, ont un deal avec Apatow pour un autre projet… Mais ils font pour le moment encore partie de cette nouvelle vague de la comédie US.
C’est celle des “weirdos” qui pratiquent l’humour absurde, parfois engagé, parfois malsain, souvent percutant. Ils viennent de troupes comiques réputées, officient pour l’instant dans une ombre relative, sur des chaînes mal connues comme Adult Swim ou FX, ou sont des seconds rôles dans des séries qui ne font pas un million de téléspectateurs. Ce sont encore les comiques alternatifs d’aujourd’hui mais qui seront les têtes d’affiche de demain. On fait les présentations.
Amy Schumer, la future reine
La troisième saison de sa série à succès Inside Amy Schumer vient à peine de commencer sur Comedy Central. Pourtant, Amy Schumer est déjà sur le point d’intégrer la cour des reines de la comédie US, des Tina Fey, Amy Poehler ou Kristen Wiig. Le succès de son show s’explique certainement par son féminisme coup-de-poing : le sexe, les critères de beauté, le plafond de verre, tout est abordé avec une sorte d’humour militant et d’absurdité maîtrisée. Et comme tout bon humoriste, elle est en constante réinvention.
Dans le troisième épisode de la troisième saison, fini l’enchaînement de sketchs courts, voici un remake de vingt minutes de Douze hommes en colère plus vrai que nature. Mais au lieu de juger de la culpabilité d’un adolescent présumé meurtrier comme dans l’original, les douze hommes vont trancher une question cruciale : Amy Schumer est-elle assez sexy pour passer à la télévision ? L’épisode entier est une critique acerbe et fine du diktat masculin par rapport aux actrices.
Amy Schumer n’a pas le corps de la girlfriend idéale des séries aseptisées, mais elle a l’humour pour contrecarrer les haters. Un humour longtemps pratiqué sur Comedy Central et son émission Last Comic Standing, sorte de tremplin pour humoristes en devenir. C’est surtout en 2011 qu’elle éclate aux yeux d’un plus grand public en participant au roast de Charlie Sheen, cette émission de Comedy Central où des personnes sont invitées à méchamment vanner une célébrité en sa présence.
Et deux ans plus tard, en 2013, on pariait sur elle. Deux autres années ont passé, et elle sera enfin à l’affiche de Trainwreck, le cinquième film de Judd Apatow, rebaptisé Crazy Amy pour la France. Sa sortie sur nos terres est programmée pour le 4 novembre. Un film qui devrait enfin la faire passer de next big thing à nouvelle reine de la comédie américaine.
Eric Andre, le surexcité sans limites
L’émission qui porte son nom sur Adult Swim, The Eric Andre Show, commence toujours sur le même mode : le comédien déboule à travers son plateau – une reconstitution très cheap d’un plateau de late night show des années 80 – saute au-dessus de son bureau, détruit tout sur son passage, se crashe sur le batteur du groupe qui joue le générique, découpe son bureau à la tronçonneuse, l’enflamme, se fait mordre par un berger allemand, avant d’aller s’asseoir sur sa chaise et qu’un nouveau bureau glisse jusqu’à lui. Les dix minutes qui suivent jouent dans le même registre : Eric Andre est un jazzman de l’humour bizarre, constamment en roue libre pour trouver une vanne plus absurde que la précédente.
Depuis 2012, The Eric Andre Show est un objet télévisuel à part. Il y a dans ses dix épisodes par saisons des interviews remplies de malaise de vedettes has-been ou de stars d’Hollywood mal préparées. Il y a aussi les performances dada des groupes invités à jouer en fin d’épisode, les caméras cachées osées, son side-kick apathique Hannibal Buress, le montage MTV sous ecsta… Eric Andre a résumé son programme parodique comme un “late night show qui tournerait le plus mal possible”.
S’il décrit son processus comique comme “trouver à chaque fois les trucs les plus débiles auxquels je peux penser”, l’humour d’Eric Andre n’est pas aussi con qu’il en a l’air. Son flux continu d’absurdité hystérique questionne à chaque fois les limites du “jusqu’où peut-on aller pour faire rire ?” Dans un de ses sketchs les plus drôles (et les plus politiquement engagés), l’humoriste d’origine haïtienne, accompagné de deux autres figurants noirs, s’incruste dans une reconstitution en costume de la période de la guerre de Sécession:
The Eric Andre Show vient d’achever sa quatrième saison et reste pour le moment une émission encore assez méconnue, reléguée dans les nuits de la chaîne aux programmes chelous Adult Swim. Elle a pour réputation d’être surtout appréciée par les comedy nerds et les mecs de fraternité qui la regardent en faisant tourner leur bong. Eric Andre, lui, en a fini des années galère à faire du stand-up sans trop y croire. Après des seconds rôles au cinéma (dans la comédie Les Stagiaires), ou dans des séries assez éloignées de son ADN (les fadasses Don’t trust the b—- in Apartment 23 et 2 Broke Girls), il est l’un des rôles récurrents de la nouvelle série de FXX Man Seeking Woman, très surréaliste autopsie de la vie amoureuse de la génération Y. Renouvelée pour une saison 2, elle devrait permettre à Eric Andre d’être un peu plus identifié.
Hannibal Buress, le stand-up nonchalant
L’Amérique l’a découvert presque grâce à une seule vanne. En octobre 2014 à Philadelphie, Hannibal Buress se lançait dans une diatribe contre Bill Cosby :
“Il va sur les plateaux télé, ‘Remontez vos pantalons, mes frères, j’étais populaire dans les années 80 ! Je peux vous prendre de haut parce que j’avais une sitcom populaire !’ Ouais, mais tu violes des femmes, Bill Cosby, alors fais un peu profil bas, s’il te plaît. Tout le monde me dit que j’invente des trucs. Mais quand vous rentrerez chez vous, googlez ‘Bill Cosby Viol’, ce truc a plus de résultats que si vous tapez ‘Hannibal Buress’”
En faisant rouvrir le dossier des accusations de viol autour de Bill Cosby, apparemment connues du tout-Hollywood mais tues depuis des années, Hannibal Buress s’est rapidement fait un nom. Un coup de boost inattendu dans une trajectoire qui allait l’amener dans tous les cas à côtoyer les grands.
Ecumant les scènes new-yorkaises à la fin des années 2000, scénariste pour le Saturday Night Live puis pour la série de Tina Fey 30 Rock, Hannibal Buress s’est aussi fait connaître en jouant ses sketchs dans les late night de Jimmy Fallon, David Letterman ou Conan O’Brien. Longtemps, il a été vendu comme la future star du stand-up par les pointures actuelles du genre, Aziz Ansari ou Louis CK. Désormais, après son explosion suite au scandale Cosby, il fait la une de magazines – comme celle du très branché The Fader en avril – et était l’invité fin mars du roast de Justin Bieber sur Comedy Central. Comedy Central, une chaîne qui l’emploie d’habitude comme second rôle dans la sitcom hype-féministe Broad City. Buress est aussi l’hôte flegmatique et hilarant du Eric Andre Show, où il est le ying nonchalant du yang hystérique Eric Andre. Bref, il est partout.
Détaché et marmonnant, le style de stand-up d’Hannibal Buress rappelle pour le fond Louis CK, pour le côté confessionnal des pires horreurs intimes en public. Cela va de ses habitudes masturbatoires (“Quand je me branle, je mets une capuche pour me sentir encore plus glauque”) à ses habitudes alimentaires (il a un sketch entier sur le fait qu’il saupoudre ses sandwichs de jus de cornichon). En somme, raconter l’insignifiant en accordant une attention raffinée au détail. Ce qui va un peu à l’encontre de la majorité des comiques afro-américains, vu que peu de ses sketchs tournent autour de la question raciale.
Après ses rôles récurrents dans The Eric André Show et Broad City, Hannibal Buress a ajouté une ligne à son CV avec une apparition remarquée en flic désabusé et de mauvaise foi dans Nos pires voisins. Il sera aussi un second rôle dans le prochain Will Ferrell, Daddy’s Home, prévu pour 2016. Mais c’est surtout son propre show, Why? with Hannibal Buress, qui est attendu. Prévu pour débuter le 8 juillet sur Comedy Central, il s’agira de huit épisodes d’une demi-heure chacun durant lesquels le comédien s’attaquera à un sujet qui l’a questionné durant la semaine, avec des morceaux de stand-up, des micro-trottoirs, et des invités en studio.
Ilana Glazer & Abbi Jacobson, les féministes décomplexées
Avec leur série Broad City diffusée sur Comedy Central, elles semblent avoir inventé un néo-féminisme des années 2010. Leur duo d’héroïnes fonctionne sur l’antinomie, l’une tchatcheuse et hyper décomplexée, l’autre plutôt timide et pataude. Ilana, 23 ans, est une slacker sans aucun filtre, qui a un job alimentaire dans une boîte commerciale anonyme et qui cherche constamment à vivre de nouvelles expériences. Abbi, 26 ans, est sa sidekick un peu plus casanière mais tout aussi volontaire, qui tente de faire son trou dans le club de fitness où elle travaille. En filigrane se dessine entre les deux une womance (bromance au féminin, apparemment ça existe), qui vire parfois à la relation plus si platonique.
Broad City est d’abord née sur Internet, entre 2009 et 2011. En websérie de 25 épisodes à l’esthétique fauchée, on pouvait déjà voir la folie des deux interprètes s’ébaucher. Les deux font leurs armes dans ces vidéos de cinq minutes postées sur Youtube, tout en étant des membres d’Upright Citizen Brigade, une troupe d’impro réputée à New York. UCB, une troupe dont a fait partie Amy Poehler (Parks & Recreation), qui les conseille à leurs débuts et va jusqu’à prendre le rôle de productrice exécutive lorsqu’en 2011 leur série démarre sur Comedy Central. Après deux saisons, Abbi Jacobson & Ilana Glazer sont les héroïnes comiques les plus hip de la télévision américaine, que ce soit grâce à l’esthétique new-yorkaise léchée de leur série ou grâce à leur humour ravageur.
Broad City flotte en effet sur une ligne constante entre réalisme de la vie post-ado des vingtenaires urbains et des bulles de surréalisme qui viennent s’intégrer dans le récit. Les épisodes tournent généralement autour de préoccupations bien ancrées dans cette fameuse “génération Y” : les relations amoureuses, le sexe, la beuh, la fête, les petits boulots… Sans essayer de chercher la vanne à tout prix, le programme joue plutôt sur un sens de la scène qui n’est pas sans rappeler Louie, la série de Louis C.K. sur FX. Comme par exemple, dans cette scène de la saison 1, où Abbi effectue une quête lynchienne jusque dans un entrepôt désaffecté pour aller récupérer un colis pour son voisin :
La saison 2 de Broad City s’est terminée mi-mars, mais le programme a déjà été renouvelé pour une troisième saison qui devrait être diffusée en janvier 2016. Les deux humoristes n’ont pour le moment aucune incursion au cinéma de prévue. Tout juste Ilana Glazer a déjà connu un premier rôle dans un petit film indépendant new-yorkais (How to Follow Strangers, en 2013). Toutes deux devraient cependant sans aucun doute éclater aux yeux du grand public dans peu de temps. On prend les paris.
Nathan Fielder, l’humoriste-commercial embarrassant
En deux saisons, Nathan for You s’est imposé comme un objet télévisuel bizarre, à la fois politique et absurde, critique et naïf sur les rouages du business, du marketing et de la télévision. Le premier épisode de Nathan For You pose les bases. Un marchand de crème glacée mal en point financièrement fait appel aux services de Nathan Fielder, qu’il pense présentateur d’une émission de coaching comme il en existe des centaines à la télévision américaine. Ce dernier lui trouve alors une idée pour remettre à flot son business : proposer une nouvelle saveur de glace, aromatisée aux excréments. Face aux caméras, l’entrepreneur est incrédule mais accepte de tenter l’idée. L’émission suit alors Nathan Fielder dans le processus de fabrication de cette glace goût caca : les phases de test, la publicité, jusqu’à arriver à la mise en vente, qui est un succès. Le commerçant choisira de retirer la glace de la vente, mais les clients sont revenus.
Voilà le fonctionnement des deux saisons et seize épisodes de Nathan For You : proposer des idées de marketing absurdes à des commerçants lambdas et observer leurs réactions. Un concept qui ne fonctionnerait pas aussi bien sans son hôte. Pince-sans-rire au point qu’on puisse légitimement s’inquiéter pour sa santé mentale, Nathan Fielder joue le rôle d’un présentateur constamment mal à l’aise mais aussi sans aucune morale, juste l’ambition du profit.
Au fil des deux saisons se dessine une certaine continuité entre les vrai-faux canulars montés par Nathan Fielder : la recherche constante du présentateur à se faire des amis et trouver l’amour malgré le malaise immédiat dans lequel il met à chaque fois ses interlocuteurs. Ce qui désarçonne aussi le téléspectateur : faut-il rire ou pas de ces gens répondant au premier degré à ce canular ambulant qui les embarrasse ? Nathan Fielder avait la réponse adéquate lors d’une interview à Vice en 2013 : “Ce qui me plaît avec Nathan For You, c’est que cela montre souvent la gentillesse des gens. C’est quelque chose que l’on ne voit pas beaucoup à la télévision. Les personnes que l’on voit dans l’émission vont faire des choses simplement pour ne pas heurter mes sentiments.”
Le Canadien a débuté sa carrière d’humoriste dans son pays natal, dans une troupe d’improvisation où il côtoie un jeune Seth Rogen puis en jouant les correspondants pour l’émission This Hour Has 22 Minutes, sorte de Daily Show au pays de la poutine. C’est là qu’il teste pour la première fois son personnage de présentateur embarrassant, avant de travailler comme scénariste sur plusieurs émissions de la chaîne Comedy Central. Celle-ci lui laissera faire Nathan For You en 2013. Les deux saisons sont un succès critique, et, si l’audience des épisodes n’est pas faramineuse, les vidéos des sketchs sur Youtube font un carton. Tout en continuant sa carrière dans le stand-up, Nathan Fielder continue l’émission qui l’a fait connaître : une troisième saison sera diffusée dès juillet 2015.
Andy Daly, le quadragénaire propre sur lui
C’est une sorte de méta-crise de la quarantaine qu’offre Review, l’un des programmes les plus innovants et drôle de la télévision américaine en 2014. Le show – une adaptation d’un succès australien – est une émission de critique. Mais il ne s’agit pas de critique littéraire, cinéma ou même culinaire mais une critique de la vie, elle-même. Le présentateur, Forrest MacNeil (Andy Daly dans une incarnation de père de famille intello et coincé) va donc vivre des expériences de la vie, et les noter. Qu’est-ce que cela fait de voler les biens d’autrui ? Combien d’étoiles pour le racisme ? Forrest MacNeil va en faire l’expérience et vous la rapporter.
Dans le premier épisode de la saison 1 de Review (diffusée l’an dernier), un téléspectateur lui demande de noter l’addiction. Forrest MacNeil, qui prend son job à cœur, va donc tenter le tabac et l’alcool avant d’opter pour la cocaïne. Après avoir pratiquement succombé à une overdose, et être parti en cure de désintox, Forrest MacNeil tranche : l’addiction, une demi-étoile. Testant par la suite les orgies, le divorce ou les voyages dans l’espace, il y a une certaine fascination à observer ce personnage de bon père de famille partir en vrille tout au long des neuf épisodes de la première saison de Review.
Derrière Forrest MacNeil, il y a donc Andy Daly, éternel second rôle de séries comiques américaines, vu notamment dans la série HBO Eastbound & Down. A 44 ans, il trouve pour la première fois un premier rôle qui colle à ses allures de quadragénaire de banlieue américaine. Avec son air toujours au bord de la crise de nerfs, il est réputé pour se mettre à fond dans la peau de ses personnages. Son rôle sur mesure de Forrest MacNeil, il le reprendra dans la nouvelle saison de Review, prévue pour cet été sur Comedy Central.
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