A New York, pas besoin d’être végétarien pour rester eco-friendly. Les “neo-butchers”, des amoureux de la viande bien faite et bien servie, réconcilient bidoche et environnement.
On vient au Meat Hook pour acheter de la viande mais aussi des ustensiles de cuisine, des céréales ou des condiments bio. Ou pour profiter des cours du soir. Il faut venir à 17 heures voir le magasin se remplir d’apprentis cuisiniers. A vue d’oeil, la moyenne d’âge est inférieure à 30 ans. Une nouvelle génération repart de zéro, ou presque, et l’Amérique se réinvente une gastronomie : consciente, écologique, équilibrée mais pas chiante.
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« La bouffe, ça doit être marrant, assure Tom Mylan. A New York, les locavores et les adeptes du DIY (« Do It Yourself », tout faire soi-même, un mouvement anticonsumériste – ndlr) sont devenus des intégristes. Ces gens-là se perdent en querelles byzantines pour savoir si la nourriture est encore locale au-delà de 70 kilomètres de New York. C’est de la bêtise idéologique qui ne durera qu’un temps. Moi, ce que je prône au Meat Hook, c’est tout simplement d’avoir un peu de bon sens. Bien sûr, cela va coûter plus cher et on ne pourra pas produire autant de viande. Mais faisons comme nos grandsparents, mangeons moins mais de la meilleure viande, et on s’en portera mieux ! De toute manière, on n’a guère le choix : la viande de grande consommation est produite avec des céréales subventionnées et très gourmandes en pétrole à cause des engrais et de la mécanisation de l’agriculture. Or, du pétrole, il y en a de moins en moins ! »
« Du trèfle et de l’herbe pour que les bovins engraissent mieux »
Pour aller voir où le Meat Hook se fournit en viande à l’herbe, il faut prendre une voiture, quitter Brooklyn et rouler vers le nord, le long du fleuve Hudson. Un paysage vallonné et boisé dans ce qui fut autrefois la Nouvelle-Hollande, une région à forte vocation agricole transformée depuis en zone de villégiature pour New-Yorkais fortunés.
Bienvenue à la ferme de Kinderhook, où officie l’un des meilleurs spécialistes du boeuf 100% à l’herbe, Lee Ranney. Chapeau de cow-boy sur la tête, accent traînant du sud des Etats-Unis, Lee ne fait pas vraiment couleur locale. « Je suis arrivé il y a huit ans de Virginie-Occidentale. Là-bas, je faisais déjà de la viande à l’herbe. Mais à New York, il y a un marché extraordinaire pour ce genre de production : toute la ville s’est mise à réfléchir sur l’alimentation depuis quelques années. Et les gens veulent de plus en plus des produits naturels. » La ferme de Kinderhook a tout de la carte postale rurale américaine. Des granges en bois peintes en rouge, des allées proprettes, pas une trace de boue, et de l’herbe taillée comme si c’était du gazon.
« Ici, les vaches passent régulièrement d’une prairie à l’autre. J’ai mis au point un mélange très précis de trèfle et d’herbe pour que les bovins engraissent au mieux. »
Il y a tout de même un petit hic : le prix des terrains. Si près de New York, le foncier atteint des sommets. Impossible de rentabiliser une exploitation agricole dans ces conditions.
D’ailleurs, Lee n’est pas propriétaire de sa ferme. Kinderhook n’existe que par le bon plaisir d’un autre. Steve Clearmann, le vrai boss, déboule à Kinderhook en faisant voler les graviers du chemin rural en Porsche 356 Roadster, une décapotable modèle 1960, dans un gris clair métallisé impeccable. Un patron très cool, T-shirt et queue de cheval, qui a fait fortune à Wall Street dans les technologies de l’information.
« J’ai toujours eu envie d’investir dans la terre, explique Steve. J’ai une maison secondaire en haut de la route. Dès que j’ai entendu dire que cette ferme était à vendre, j’ai sauté sur l’occasion. C’est un investissement éthique et écologique. Tant pis si ce n’est pas immédiatement rentable, la viande à l’herbe, c’est mieux pour la santé, pour la planète. »
Avant, les riches de la côte Est investissaient dans l’art contemporain. Aujourd’hui c’est dans l’élevage durable.
Concours de découpe
Retour au Meat Hook. Une soixantaine de personnes se pressent au labo numéro 1, la grande cuisine du magasin. Parmi eux, quelques chefs, venus de Brooklyn ou de Manhattan, comme Andrew Carmellini de la Locanda Verde, le restaurant du Greenwich Hotel, propriété de Robert De Niro. Beaucoup de foodies sont là aussi, ces gastronomes blogueurs qui chroniquent la vie culinaire new-yorkaise. L’événement ? Un concours de découpe entre Tom Mylan et son alter ego français Yves-Marie Le Bourdonnec, esthète de la viande haut de gamme. Le boucher d’Asnières a traversé l’Atlantique avec toute son équipe pour faire une démonstration du savoir-faire français.
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Devant l’assistance, Tom Mylan nous refait le coup des steaks géants tranchés à la scie. « La découpe américaine, c’est ça, explique-t-il : grossier, rapide, efficace. Pas de fioritures, time is money ! » A côté, Yves-Marie Le Bourdonnec pratique un style opposé : le couteau, manié tout en finesse, déjointe os par os les vertèbres de la colonne de l’animal. Pas question de laisser le moindre bout de viande accroché. Du travail d’orfèvre.
« Les méthodes de travail s’expliquent d’abord par la différence entre les élevages français et anglo-saxons, explique Yves-Marie. En France, nous avons de belles races de terroir, très variées, mais qui arrivent à maturité très tard, à quarante mois. Contre vingt-six pour une black angus américaine à l’herbe, et dix-huit en feedlot ! La viande française est donc extrêmement chère. Le seul moyen de la valoriser, c’est la découpe, le travail du boucher. »
« Je tue les animaux pour leur bien-être »
Dans l’assistance, un jeune homme au regard bleu perçant suit méticuleusement la découpe. Il a tout l’uniforme du neo-butcher : chemise à carreaux, casquette de base-ball et une barbe à la place de la moustache. L’homme s’appelle Adam Danforth, il n’est pas exactement boucher. « Je suis un tueur », répond-il. Pardon ? « Je me déplace dans tout le nord-est des Etats-Unis pour encourager les éleveurs à faire abattre leurs animaux à la ferme plutôt que de les envoyer à l’abattoir. »
L’abattage sur place, c’est la dernière tendance aux Etats-Unis. Une question de bien-être animal avant tout : tués à domicile, les animaux meurent moins stressés, dans un pays où la centralisation des abattoirs nécessite d’acheminer les bêtes sur de longues distances. Et ça rapporte ?
« Je fais ça gratuitement. Parfois on me paie en viande. Pour moi, tuer sur place, c’est un devoir éthique. Vous ne pouvez avoir du respect pour un animal mort que si vous l’avez tué vous-même. Sinon, la boucherie c’est de la rigolade : découper une carcasse, c’est du style, de la finesse. Il n’y a rien de tout cela quand vous tuez l’animal. »
Pourquoi le faire alors ? « Parce que je prends mes responsabilités. Je veux éduquer les gens pour qu’ils mangent moins de viande, mais s’ils ne peuvent pas s’en passer, qu’ils sachent au moins d’où vient leur nourriture, comment elle a été créée. Je veux que les animaux meurent avec dignité, pas dans l’angoisse des gros abattoirs. J’ai mon propre pistolet à tige perforante pour assommer les bêtes. J’utilise ensuite le tracteur de l’éleveur pour lever la bête et la saigner, le plus souvent dans une grange. Je suis au coeur d’un paradoxe moral : je tue les animaux pour leur bien-être. Et pour le nôtre. »
Anthony Orliange
A voir : Global steak, demain nos enfants mangeront des criquets documentaire de l’agence Capa réalisé par Anthony Orliange, première diffusion
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