La journaliste et blogueuse féministe Sophie Gourion compile des articles de presse sur le tumblr « Les mots tuent » afin de dénoncer le traitement médiatique des violences faites aux femmes.
On les voit passer et plus rien ne nous choque : « Viol en cellule de dégrisement, le policier évoque « un bon feeling« , « Drame familial à Cognac: une femme est morte poignardée », « A Saint-Raphaël, le crime passionnel était prémédité« … Autant de titres qui font partie de notre paysage médiatique. Pas pour Sophie Gourion. La journaliste et blogueuse féminise (Tout à l’égo) a décidé de dénoncer ces articles journalistiques qui traitent des violences faites aux femmes de façon drôle, légère, ou dédramatisante, en les épinglant sur son nouveau Tumblr, « Les mots tuent » :
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« Pour beaucoup, ces « perles » sont amusantes et sans gravité, nous explique-t-elle. Je voulais montrer en compilant leur récurrence que ces expressions sont loin d’être anodines et isolées. Elles constituent une véritable « guerre du langage ». » Une « guerre » qui se livre à coups d’expressions passés dans le langage journalistique courant, comme “drame familial », « dérapage », « pétage de plombs » ou encore « crime passionnel », qui »ne font que romantiser ou minimiser l’acte » rappelle-t-elle:
« L’expression « drame familial » est issue du champ lexical du théâtre: le drame n’est pas une expression neutre, il fait appel à l’affect et à l’émotion. Il a pour but de romantiser l’horreur du crime. Le meurtrier n’est plus un homme violent mais presque un héros de roman, pris dans les turpitudes de la passion ou de la jalousie. Il tue malgré lui. Par ailleurs, l’expression « drame familial » laisse entendre que la cellule familiale, la conjointe, ont une part de responsabilité dans ces violences. Je cherche à mettre en évidence la récurrence de ces éléments de langage qui déforment la réalité en se mettant du côté de l’agresseur, du meurtrier et finissent par structurer la pensée, explique la blogueuse. Je souhaite que les médias prennent conscience de leur part de responsabilité et fassent bouger les choses. »
Une légèreté dans le traitement qui ne traduit pas la réalité des violences. Selon des données récoltées par la Banque mondiale et présentée en novembre 2015, le viol et la violence conjugale représentent pour une femme âgée de 15 à 44 ans un risque plus grand que le cancer, les accidents de la route, la guerre et le paludisme réunis. Par ailleurs, une femme sur cinq sera victime de viol ou de tentative de viol au cours de sa vie.
« Le fait divers ne vaut d’être raconté que s’il est contextualisé »
Ce n’est pas la première fois que cette question agite la sphère journalistique et féministe. En mars 2014, le collectif de femmes journalistes « Prenons la Une » assurait dans une tribune publiée dans Libération que « le crime passionnel n’existe pas » :
« Et pourtant, les médias en abusent et contribuent à minimiser d’emblée la responsabilité du meurtrier présumé, voire à l’effacer, écrivaient-elles notamment. La passion, c’est ce qui nous dépasse. Le drame évoque l’accident, et occulte la violence. (…) Le fait divers ne vaut d’être raconté que s’il est contextualisé, pour ce qu’il dit de notre société, et ce qu’il nous permet de ne plus reproduire. »
L’Espagne a, elle, un train d’avance. En 2008, des médias publics et des organes privés adoptaient conjointement une charte journalistique visant à encadrer le traitement des violences faites aux femmes dans la presse. Là encore, c’est le langage qui était avant tout ciblé: traduite par la blogueuse française Crêpe Georgette, la charte exhortait à utiliser les termes de « violence de guerre », « violence machiste », « violence sexiste » et « violence masculine contre les femmes », et à rejeter les expressions de « violence domestique », « violence au sein du couple » et « violence intrafamiliale », rappelant au passage que « la violence de genre n’est pas un fait divers, mais un problème de société. »
Sophie Gourion, qui dénonce également le fait que ces affaires se retrouvent bien souvent remisées dans la rubrique « fait divers » « souvent entre deux chiens écrasés« , conclut par une très juste citation du penseur Brice Parain (et non d’Albert Camus) : “Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde.”
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