La bataille de la primaire est lancée à gauche. Les militants du PS se laisseront-ils tenter une deuxième fois par une candidature de Ségolène Royal ?
Ségolène Royal a fait un joli coup en annonçant sa candidature à la primaire du PS. L’ex-candidate à la présidentielle se remet au coeur du jeu, donnant l’impression que le choix pour le candidat du PS ne se ferait plus entre Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry mais entre DSK et Royal. Aussitôt, on a vu éclore des réactions sur les forums de Désirs d’avenir appelant à raviver les réseaux de Ségolène Royal, comme celle-ci : « Je suis un royaliste dormant, je suis de retour. »
Martine Aubry a appelé à respecter le calendrier de la primaire avec des candidatures déposées officiellement en juin :
« J’observe que la patience ne pousse pas dans tous les jardins, a-t-elle grondé dans le JDD. Quand on a vocation à diriger le pays, on se doit d’être serein et responsable. »
Que pensent les militants du PS de la candidature Royal ? Peut-elle encore compter sur leur soutien, elle qui avait été choisie par eux en 2006 face à Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius ? Eléments de réponses avec des témoignages de militants, recueillis dans la section PS du XIe arrondissement à Paris, au 177, rue de Charonne, ce jeudi 2 décembre. Ils étaient invités à voter le texte sur l’égalité réelle et les listes pour les sénatoriales. Sur 16 militants interrogés, 11 ont pris leurs distances avec l’ex-candidate à la présidentielle et 5 la soutiennent toujours. Il y a quatre ans, à la primaire de 2006, dans cette section du PS, les militants avaient majoritairement voté pour Ségolène Royal (à 49% contre 40 % pour DSK et 11% pour Laurent Fabius).
Paroles de militants
Jean-Pierre, 69 ans, est retraité. Pour lui, c’est décidé. Fini de voter pour Ségolène Royal :
“Il faudrait vraiment qu’il n‘y ait personne pour que je vote pour elle ! Sa personnalité m’insupporte. Ce n‘est pas avec la démocratie participative que l‘on construit une politique.”
Jean-Marie, 47 ans, chercheur, a lui aussi pris ses distances “sur le fond et sur la forme”. “Elle avait une vision très solitaire des choses et n‘affichait pas de cohérence dans les idées.” Même constat pour Eric, 55 ans, sans profession : “Elle l‘a joué un peu solo.” Geoffroy, comédien, 47 ans, lui aussi se dit “un peu échaudé” : “Ses gaffes, son côté égocentrique… le soufflé est un peu retombé.” Pour Régis, 32 ans, comptable, c’est le lendemain de la campagne présidentielle qui l’a refroidi :
“Elle a fait des propositions et ensuite elle a dit que ça ne tenait pas la route comme le Smic à 1500 euros. Ça, tout le monde l’a retenu !”
Un exemple qui vaut pour lui un “manque de crédibilité”. “Sa campagne était pleine de promesses, renchérit Cécile, 35 ans, mais elle ne s‘est pas révélée à la hauteur.” Quant à sa communication, pour certains, elle laisse franchement à désirer… Avec un dernier exemple en date. “Royal est déroutante. Parler de DSK comme Premier ministre, ça ne le fait pas”, juge Liliane, 66 ans, retraitée. Pour Solange, 76 ans, qui se dit “très déçue”, le constat est le même :
“Elle a un côté enfantin comme quand elle dit qu‘elle prendrait DSK comme Premier ministre et elle est très impulsive. Son appel aux lycéens pendant les grèves, c’était grave !”
Kocou, 58 ans, enseignant, a définitivement tourné la page, jetant le bébé avec l’eau du bain : “Quand elle s‘est présentée, je me suis dit qu‘il fallait la soutenir. Mais maintenant je me dis que les Français ne sont pas prêts à élire une femme…” Dans ce contexte, Marie-Christine et son mari Yves, 73 et 76 ans, s’interrogent : “On avait voté pour elle car elle avait de réelles chances de l’emporter. Peut-être qu’aujourd’hui la donne a changé…”
Parmi les militants rencontrés, certains penchent toujours en faveur de Ségolène Royal, comme Christophe, 36 ans, éducateur : “Elle porte des thématiques qui me tiennent à coeur.” Aux yeux de Julien, 25 ans, cadre administratif, “elle a un lien particulier avec les Français et les jeunes. » Pour certains, c’est Royal toute.
“Il n’y a qu’une seule personne : Ségolène Royal, affirme David, 40 ans, gérant de restaurant. Je suis de sa région, je sais ce qu’elle y fait. Et puis 17 millions de personnes ont voté pour elle à la présidentielle, c’est pour moi une reconnaissance valable. Elle a l’expérience de la campagne.”
Quant à Cécile, 40 ans, enseignante, une inconditionnelle, militante de Désirs d‘avenir, pas d’hésitation, elle la soutient toujours. “Il y a eu des cafouillages en 2007 mais là elle a su s’organiser, elle a travaillé. D’ailleurs, le PS a repris pas mal de ses idées. Elle a des chances, j’y crois !”
Gaëtan Gorce, député PS de la Nièvre :
“Je me suis rapproché de Ségolène Royal au moment où beaucoup d’autres s‘éloignaient, à l’été 2009, parce que j’estimais que la gauche avait besoin d‘elle. On a tort de la sous-estimer. Elle peut apporter un vrai plus à la gauche par le soutien qu’elle a dans les milieux populaires et que la gauche a de plus en plus de mal à toucher. Elle attire ceux qui ont envie de se lancer plus vite dans la bataille face à Nicolas Sarkozy. D’autant plus qu‘elle a pris la précaution de dire qu’elle se présentait dans le respect des autres candidatures.
Il faudra voir ensuite quelle dynamique elle pourra engager, c‘est le défi qu’elle s‘est lancé de rassembler au-delà de ceux qui la soutiennent aujourd‘hui. On verra bien dans quelques mois. Les candidats seront jugés sur leur crédibilité à avancer des propositions face à Sarkozy et sur leur énergie. Et pour le coup, Ségolène Royal en a.”
Gérard Grunberg, directeur de recherches au CNRS, spécialiste du PS
“Ségolène Royal a largement touché en 2006 les classes populaires. Aujourd‘hui, selon les dernières enquêtes d‘opinion, il semble qu‘elle ait perdu cet avantage. Et chose nouvelle, elle fait moins bien que DSK chez les ouvriers. C‘est donc un électorat qu’il lui faut reconquérir, comme les couches moyennes et les cadres supérieurs, l’électorat dit “bobo“. Elle a aussi perdu des points dans l’opinion, en particulier auprès des personnes âgées. Aujourd‘ hui, elle part de bas, elle n‘a pas enclenché de dynamique mobilisatrice dans l‘opinion, ce qui ne veut pas dire qu‘elle ne peut pas récupérer cet électorat. C‘est trop tôt pour le dire. Mais ça peut expliquer qu’elle se soit déclarée candidate pour essayer de combler son retard face à DSK ou Martine Aubry.”
Marion Mourgue