Amoureux des femmes, de l’argent et de l’aventure, Roger Auque, père biologique de Marion Maréchal-Le Pen, foudroyé par un cancer en 2014, raconte ses combines dans “Au service secret de la République”. Retour sur les tribulations d’un journaliste vicié.
“Quand un homme sait qu’il va mourir, il ne triche pas, il ne triche plus.” Roger Auque a cessé de tricher en décembre 2011. A ce moment-là, l’ancien journaliste globe-trotteur, rangé depuis deux ans des alliances politico-médiatiques fructueuses dont il avait fait sa spécialité, se trouve à son bureau d’ambassadeur français d’Erythrée. C’est un vendredi calme, paisible, ensoleillé – si l’on oublie un instant que l’Erythrée est une dictature. Roger Auque se retrouve soudain dans l’incapacité d’écrire, penser, boire, manger. “Le crabe est là, insidieux et insatiable […] qui continue de croquer mon cortex, de dévorer ma vie. Comme un générique de fin avant la fin d’un film.” Quelques semaines plus tard, il devine qu’il ne pourra plus jamais travailler. “Pourtant tout avait si bien commencé.”
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Ainsi commence la biographie du diplomate et journaliste Roger Auque, “Au service secret de la République”, publié cinq mois après son décès d’une tumeur au cerveau en septembre 2014 et rédigé par son ami Jean-Michel Verne, arrière-arrière-petit-fils du célèbre écrivain nantais. Tout au long d’une vie tumultueuse – il est tour à tour journaliste de guerre, correspondant à Rome, Bagdad, Beyrouth, ambassadeur de France en Erythrée… –, celui que l’on connaît aussi comme le père biologique de Marion Maréchal-Le Pen revient sur les secrets diplomatiques qui ont rythmé son parcours. Et sur certains arcanes savoureux du monde politique.
Petite liste non exhaustive de quelques facilités que lui ont accordées (ou pas) les plus grands.
Le jour où Sarkozy l’a nommé ambassadeur en cinq minutes
Au fil d’une écriture dépouillée, frugale et qui laisse percevoir le côté séducteur de son personnage, Roger Auque finit par se révéler. Ce n’était pas un homme qui trichait. Mais un simple homme qui s’ennuyait. Le journalisme fatigue, surtout après vingt ans de précarité et de répétitions.
“Quand tu as vécu l’enfer de Beyrouth, Paris et ses grands boulevards paraissent parfois bien trop calmes. Je n’ai jamais aimé la vie parisienne, ses faux-semblants, ces relations superficielles, cette ambition qui tenaille tout le monde, les brillants et les médiocres. Paris fait rêver, mais pour combien de temps ?”
Il croise alors la route de Nicolas Sarkozy. Non plus lors des footings qui rythmaient leurs semaines (“Ce n’était pas un très bon coureur de fond, il ne tient pas longtemps la distance […] : il mange trop de chocolat” confie l’auteur), mais lors d’un rendez-vous à l’Elysée, en 2009. Dans le bureau de Sarkozy, ça fonctionne ainsi : si vous lui plaisez, il continue l’entretien dans une petite alcôve attenante, si le président ne se lève pas, c’est mauvais signe. Pour Roger Auque, gaulliste convaincu dont Sarkozy partage les idées, il se lève. Téléphone. “Il faut que Roger soit ambassadeur” ordonne-t-il à Jean-David Levitte, son conseiller diplomatique.
En cinq minutes, montre en main, Auque vient de changer de métier. Sarkozy coiffe au poteau le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, qui désire aussi caser un ami à lui à ce poste. “A chacun ses copains. Sarkozy aura le dernier mot.” Ainsi vont les relations de pouvoir en France en 2009, et comment Nicolas Sarkozy soigne votre ennui latent.
Le jour où Mouammar Kadhafi a payé sa rançon d’otage
1987, Beyrouth. Roger Auque est pris en otage dans la capitale libanaise, où il est correspondant de guerre.
“Un matin, je suis enlevé à la sortie de mon immeuble de la rue Azar. […] Deux hommes armés bondissent d’un véhicule qui bouche la rue. J’atterris sur le plancher d’une Volvo avec un canon de kalachnikov pointé sur la tempe. Le Hezbollah pro-iranien continue ses actions destinées à mettre la pression sur les Occidentaux impliqués au Liban, principalement des Américains, des Français et des Anglais. Leur stratégie est de nous contraindre à partir du pays.”
S’ensuivent les semaines, puis les mois, passés dans une cellule de moins de 2 mètres, sans fenêtre. L’un des passe-temps des preneurs d’otage marquera Roger Auque à vie.
“Mes geôliers n’hésitaient pas à claquer à vide la culasse de leur fusil en me faisant croire qu’ils allaient m’abattre. Ils riaient devant mon regard terrorisé. […] Il faut bien comprendre : chaque jour je me suis demandé si j’allais mourir ou pas.”
Libéré par le Hezbollah dix mois plus tard, Roger Auque divulgue, entre deux confidences, le nom de son libérateur : il ne s’agit pas de la France, mais bien du leader libyen Kadhafi. Cet “échange de services” vise à rembourser l’Iran islamique de plusieurs millions d’euros, suite à l’avortement d’un projet nucléaire conclu du temps du shah. Fini Beyrouth. Place à la dolce vita pour le journaliste de 31 ans, qui devient correspondant à Rome.
Le jour où le Mossad l’emploie comme agent
Saisissant chaque opportunité, cumulant les bonnes amitiés, Roger Auque enfonce les portes. “La franc-maçonnerie, c’est une très bonne solution quand on cherche des protections. A droite, je peux affirmer que des gens comme Michèle Alliot-Marie, Charles Pasqua ou son bras droit Jean-Charles Marchiani, sont francs-maçons” glisse l’auteur, toujours sur un ton léger, fier et désinvolte, qui incite presque à gracier ses péchés.
Las, le journaliste baroudeur trouve un deuxième métier : celui de mercenaire pour les services secrets internationaux. Sous couvert de reportage, il est rémunéré par les services secrets israéliens pour effectuer des opérations en Syrie. Puis la CIA l’approche, lors de la seconde guerre d’Irak.
“Je n’étais pas le seul à prendre de l’argent, raconte-t-il, à mener cette sorte de double vie. Des politiques de premier plan, à droite comme à gauche, ont eux aussi touché beaucoup d’argent […] Les personnes concernées sont fort connues du grand public. Mais je n’en dirai pas plus sur cette corruption banalisée. Sauf que ce sont tous de grands dévoreurs de fric.”
Grâce à ses relations avec Jean-Charles Marchiani ou l’homme d’affaires Iskandar Safa, Roger Auque infiltre la mécanique des prises d’otages. Sauve des vies. En perd d’autres (“je le regrette profondément”).
Le jour où la famille Le Pen l’exclut, après la naissance de Marion
Invité à une fête où il rencontre pour la première fois Jean-Marie Le Pen, Roger Auque finit par croiser sa fille, Yann, “séduisante, les yeux très clairs”. Coup de foudre, une nuit de passion qui se termine dans la luxueuse propriété des Le Pen. La romance s’étiole rapidement, et pour Auque elle appartient au passé, quand dix mois plus tard il reçoit un coup de téléphone de Yann qui annonce à son amant la naissance de Marion.
“J’ai compris que les Le Pen ne souhaitaient pas que je reconnaisse l’enfant. Il me fallait demeurer à l’écart […] jusqu’au jour où Yann s’est mariée. Le nouvel arrivant a reconnu l’enfant. J’étais de fait exclu de la famille, car devenu encombrant.”
L’affaire ne sera révélée qu’en septembre 2013, dans les pages de L’Express, juste après que Marion Maréchal-Le Pen, 23 ans, a été élue députée.
“N’est pas Capa qui veut !”
C’est fier et sans regrets que cet homme aux multiples casquettes décrit dans son livre la jungle du journalisme parisien, où l’on joue des coudes et d’un carnet d’adresses en béton armé pour parvenir à gagner à peu près correctement sa vie. Avant 50 ans, il faut prendre de vrais risques, aller sur le terrain. Passés 50 ans, l’avenir du journaliste est au contact des hommes politiques. Pas de quoi faire rêver le journaliste néophyte.
“Les journalistes sont souvent considérés comme des crétins par le milieu politique. Contrairement à mes confrères, je jouis d’une grande considération qui tient à ma qualité de correspondant de guerre”, résume Roger Auque. Selon lui, les castes et les élites sont indissociables d’un métier qui cherche à redorer son éthique. C’est l’éternel combat du carriérisme contre la déontologie. De l’arrivisme contre l’honnêteté. Un combat lors duquel Roger Auque a mis un pied dans chaque camp.
« Au service secret de la République » (Fayard), Roger Auque et Jean-Michel Verne.
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