Le journaliste Gaspard Glanz a été placé en garde à vue et déféré devant le juge, après son interpellation le 20 avril lors de l’acte XXIII des Gilets jaunes. D’autres confrères ont aussi été arrêtés ou blessés. Nous avons interrogé à ce sujet la spécialiste de la répression Vanessa Codaccioni, auteure de “Répression – L’Etat face aux contestations politiques” (éd. Textuel).
Le journaliste indépendant Gaspard Glanz a subi 48 heures de garde à vue suite à son interpellation samedi 20 avril à Paris, pendant sa couverture de la manifestation des Gilets jaunes, pour “participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations”, et “outrage sur personnes dépositaires de l’autorité publique”. Le fait qu’il soit bien connu de la police pour sa couverture des mouvements sociaux en tant que journaliste indépendant était-il un facteur aggravant dans son arrestation ?
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Vanessa Codaccioni – A mon avis son arrestation s’inscrit dans la volonté de réprimer toute personne manifestant aujourd’hui dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes. Ce dont est accusé Gaspard Glanz fait partie des délits majoritairement mobilisés contre les manifestantes et manifestants du mouvement. Aucune personne n’est donc à l’abri de ce type d’inculpation. Il y a une généralisation des cibles de la répression. Mais il est certain que les journalistes, depuis plusieurs mois, sont particulièrement visés par les policiers, mais aussi par la justice.
Il n’est pas le seul en effet à avoir subi la répression ce jour-là : le journaliste Alexis Kraland a lui aussi été arrêté, et plusieurs autres ont été blessés. Comment l’expliquer ? Rendre visible les opérations de maintien de l’ordre est-il incriminant aux yeux du pouvoir ?
On observe un ciblage des journalistes depuis au moins la ZAD (Zone à défendre, ndlr) de Notre-Dame-des-Landes en 2014, où de très nombreux journalistes avaient déjà été blessés. Depuis ce moment, beaucoup de journalistes sont victimes de la répression : soit ils sont blessés, soit leur matériel est saisi, soit ils sont inculpés et parfois jugés, comme dans le cas de Gaspard Glanz. Cela témoigne d’une volonté de cibler les journalistes qui sont sur le terrain et qui rendent visible la brutalité de la police et de l’Etat. C’est une manière de démoraliser, et d’empêcher.
On a aussi l’impression qu’ils sont assimilés par la police à la frange la plus radicale des manifestants, ceux qui participent aux black blocs. Cela fait-il partie d’une manière de discréditer leur travail ?
Oui, les journalistes qui dénoncent les violences de l’Etat ont toujours été assimilés aux plus extrêmes des manifestants ou des activistes. Ça a été le cas pendant la Guerre froide et la guerre d’Indochine, où tout journaliste qui dénonçait la répression militaire, et en particulier les tortures, était inculpé de diffamation, d’outrage ou de délit de fausse nouvelle. Le grand moment en la matière, c’est la guerre d’Algérie : des dizaines de journalistes – qu’ils soient communistes, de gauche, chrétiens, etc. – ont été perquisitionnés, saisis, inculpés, voire parfois torturés, comme Henri Alleg (journaliste communiste auteur de La Question, dénonçant la tirture en Algérie, ndlr). C’est une manière de discréditer leurs propos, leurs articles, et de les empêcher de faire leur travail. Ce phénomène s’amplifie dans le cadre de la répression des mouvements sociaux depuis quelques années. Une journaliste a par exemple été placée en garde à vue et son matériel a été saisi au moment de l’occupation du lycée Arago, en mai 2018, où des dizaines de lycéens mineurs avaient été embarqués. Les journalistes sont mis dans le même sac que les opposants, dont les actes sont criminalisés, et ils sont une cible spéciale, car ils visibilisent la violence policière.
Vous distinguez dans votre livre une répression visible et une répression cachée. De quoi s’agit-il ?
Les journalistes ont un double lien avec cette seconde catégorie. Premièrement ils sont un frein à l’invisibilisation de la répression. Tout un pan de l’activité répressive de l’Etat ne serait pas connu si les journalistes n’étaient pas là. C’est le cas des violences policières, à Sivens ou à la ZAD… Mais les journalistes eux-mêmes peuvent faire l’objet d’une répression invisible : Gaspard Glanz a été fiché S. Il y a une assimilation des journalistes aux manifestants, auxquels on applique des logiques antiterroristes.
La fiche S est en effet associée dans l’imaginaire collectif aux terroristes…
La fiche S est pensée et vue par l’opinion publique comme la fiche des djihadistes. Si vous êtes fiché S, vous êtes assimilé à un terroriste. C’est la force du stigmate de cette fiche. Dire de Gaspard Glanz qu’il était fiché S est une manière de le discréditer et légitimer la répression à son encontre. Ça montre la palette des formes de répression que peut subir tout un chacun, et que peut subir un journaliste : violences physiques, violences judiciaires, violences policières, et violences intrusives des services de renseignement.
Y a-t-il un aspect nouveau dans ce qui est en train de se passer vis-à-vis des journalistes ?
Ce qui est nouveau, c’est que la répression concerne des journalistes de terrain. Historiquement c’étaient plutôt les articles qui étaient visés. Maintenant ce sont ceux qui suivent les manifestants au plus près, qui vivent avec eux, qui sont leurs yeux : c’est insupportable pour le pouvoir, qui voudrait invisibiliser les opérations de maintien de l’ordre. D’autant plus dans un contexte où il y a eu énormément de blessés, de mutilés, de bavures. On veut cacher ça, alors que les journalistes ont pout but de visibiliser les choses.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
Répression – L’Etat face aux contestations politiques, de Vanessa Codaccioni, éd. Textuel, 96 p., 12,90 €
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