La crise couvait depuis septembre. Votée à une très large majorité, une motion de défiance vient de creuser l’écart entre des journalistes attachés à leur indépendance et une direction surtout soucieuse de fournir des contenus à moindre coût.
Les journalistes d’I-Télé font-ils confiance à leur direction « pour maintenir la chaîne sur la voie d’une information de qualité et indépendante » ? La réponse est sans appel : lors d’un vote organisé par la société des journalistes (SDJ), le vendredi 10 juin, la motion de défiance a recueilli 90% des suffrages. Un résultat d’autant plus cinglant que la participation a été de 88%.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une motion de défiance qui vient sanctionner une crise ouverte depuis le mois de septembre, et la nomination de Guillaume Zeller comme directeur de la rédaction et de Virginie Chomicki comme directrice adjointe. Cette nouvelle direction n’est guère familière des chaînes d’info en continu : Guillaume Zeller dit publiquement être « en stage », ayant tout à apprendre. Seulement, rappelle un journaliste, depuis le mois de septembre, « rien n’a été fait ».
Les journalistes ont dû « faire tous seuls sur les bases de ce qu'[ils] savaient faire », face à l’absence du nouveau directeur de la rédaction. Ce manque de décision s’est fait ressentir « y compris pendant les attentats de novembre », lors desquels « l’incompétence totale de la direction a du être compensée par la compétence de la rédaction », estime un journaliste. Neuf mois « en autogestion ».
« Ils trichent sur les chiffres »
Serge Nedjar, un proche de Vincent Bolloré, a été nommé directeur de la chaîne le 24 mai. Aussitôt, il annonce la non-reconduction de 50 postes en CDD, soit un quart des emplois à I-Télé. « S’ils suppriment 50 contrats, l’antenne telle qu’elle existe aujourd’hui est impossible », explique un journaliste. Ces suppressions concernent la régie, les preneurs de son, les caméramen. Autant de postes invisibles, mais essentiels. Ces employés, parfois présents depuis 5 ans sur la chaîne, sont dans l’attente de nouvelles de la part de la direction avant l’échéance de leurs contrats, fin juin.
Serge Nedjar justifie ces suppressions de postes par la situation économique de la chaîne. Elle aurait perdu près de 25 millions d’euros en 2015 selon Vivendi, le groupe propriétaire d’I-Télé. Un membre de la rédaction l’affirme : « Ils trichent sur les chiffres d’I-Télé, ils trichent sur les chiffres de Canal+. » Chaque année, I-Télé fournit les journaux télévisés de D8 et de Canal+. Ce travail, la chaîne le facture 10 millions d’euros. Or, Vivendi ne le prend pas en compte dans ses calculs, en profitant pour faire passer la balance de 15 à 25 millions pour I-Télé. Un tour de passe-passe à 10 millions d’euros, pour motiver les suppressions d’emplois.
« Des conditions humaines déplorables »
« Il n’y a aucun plan, aucune perspective, aucun projet », regrette un journaliste. La nouvelle direction est chargée d’établir les grilles de programme de la chaîne. Lorsque la SDJ demande des précisions sur le sujet, Serge Nedjar s’emporte : « Non, il n’y aura pas de discussions. Et je vais vous dire une chose, il n’y aura rien à discuter parce que vous ferez ce qu’on vous dit de faire. »
A la rédaction, on craint de devenir un nouveau Direct Matin, « voire un sous-Direct Matin« . Vivendi évoque une « intégration verticale« , des logiques de « synergie ». Autrement dit, introduire des contenus Vivendi dans les tuyaux I-Télé. Prenant le cas d’un chanteur d’Universal, Serge Nedjar précise : « Vous le prendrez, il sera invité dans la matinale, et ce sera comme ça. Je compte faire ça sur un maximum de choses. Je vais faire rentrer des annonceurs … S’il faut parfois faire venir des patrons, on le fera« . De la publicité, mais déguisée.
Les journalistes, désabusés, se heurtent au silence de la direction. Suite au vote de la motion de défiance, la direction du groupe Canal+ s’est contentée d’un communiqué dans lequel elle « réaffirme son soutien à la direction de la chaîne ». « Ils ont ajouté à des conditions matérielles déplorables des conditions humaines déplorables », explique un membre de la rédaction. Les journalistes sont vus par le groupe industriel comme « des ouvriers prêts à obéir et interchangeables ». La rédaction tente, elle, de sauvegarder « une information de qualité et indépendante » : depuis janvier 2016, la SDJ demande à la direction de ratifier une charte d’indépendance garantissant ses droits.
{"type":"Banniere-Basse"}