Alors que les résultats des dernières élections italiennes donnent franchement le tournis, faut-il encore chercher à comprendre nos cousins transalpins ? Tentatives d’explications.
Pendant de longues années, les Européens ont tenté de saisir les raisons du succès de Silvio Berlusconi. Adepte de (trop) jeunes filles et de blagues salaces, l’homme le plus riche d’Italie a souvent fait figure d’animal politique incompris au-delà de la péninsule. Pourtant, en novembre 2011, les Italiens semblaient revenus à la raison, en acceptant la nomination de Mario Monti à la présidence du conseil. C’était sans compter les élections des 24 et 25 février.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Mardi 26 février au matin, les commentateurs s’affolent sur les ondes européennes. L’Italie, troisième puissance de la zone euro, ne bénéficie pas à l’issue des élections d’une majorité stable dans les deux chambres. Et tout cela au bénéfice de qui ? De Beppe Grillo, un populiste, un clown, un blogueur populaire, inconnu au-delà des Alpes il y a encore trois ans ? L’inquiétude secoue les dirigeants européens et Bruxelles. À travers le succès de Beppe Grillo, les électeurs confirmeraient leur penchant « déraisonnable ». A la rigueur bruxelloise incarnée par Mario Monti, bon père de famille sachant serrer les cordons de la bourse quand il le faut, ils ont préféré un barbu gueulard, sorte de Pierre Poujade italien aux propositions souvent démagogiques.
Les marchés, toujours prompts à condamner la moindre incartade, se sont affolés un temps, et le spread, ce fameux différentiel entre les taux d’emprunt italiens et allemands – s’est envolé. Pourtant, à bien des égards, les résultats italiens n’auraient pas du nous étonner. Ils révèlent, comme ailleurs en Europe, un refus des politiques d’austérité, incarnées par le gouvernement technique du « Professore Monti« . Et confirment le décalage entre les attentes des citoyens et les réponses proposées par la classe politique traditionnelle.
« Le succès de Beppe Grillo, un échec de la sociale démocratie ? »
Ainsi, selon le professeur Piergiorgio Corbetta, coauteur du livre Le Parti de Grillo et directeur de l’institut Cattaneo à Bologne (un important centre de recherche en politique) l’émergence du populisme en Italie n’est pas un fait surprenant :
« Le succès de Beppe Grillo n’est pas une nouveauté en Italie. C’est un fleuve souterrain qui traverse le pays et les générations, et qui resurgit toujours. »
L’universitaire développe son raisonnement. Le mouvement de Beppe Grillo ne serait qu’une nouvelle version d’autres mouvements populistes, comme le fut l’émergence de la Lega Nord d’Umberto Bossi, qui fit trembler l’Italie en 1992. Répondant au slogan de « Roma ladrona » (« Rome la voleuse »), elle aussi dénonçait à l’époque les avantages de la classe politique italienne et la corruption. Piergiorgio Corbetta affirme : « Les mouvements populistes ont besoin de trois facteurs pour se développer : un vide politique, une crise économique et une crise morale. Aujourd’hui, ces trois éléments sont réunis. Beppe Grillo a réussi à incarner le mécontentement« .
La crise n’explique pas tout, c’est également l’avis de la sénatrice PS de Paris Marie-Noëlle Linemann, peu surprise à l’annonce des résultats italiens. L’ancienne députée européenne y voit une défaite de toute la gauche européenne : « Bersani, en dépit des primaires, était tellement proche de Monti ! C’est l’échec de la sociale-démocratie, gangrénée par le libéralisme ! Rien ne sert désormais de verser des larmes de crocodile. » Les Italiens auraient ainsi saisi l’opportunité de dénoncer les politiques d’austérité, la spirale de récession, en démontrant « un besoin de rupture ».
« On n’en peut plus du comportement de nos politiques !«
Un sentiment que partage Luca Bignotti, électeur de vingt-cinq ans et originaire de Novara. Pas franchement convaincu par le mouvement Cinq Etoiles, il s’est prononcé en faveur du Pdl de Silvio Berlusconi pour sa capacité, dit-il, à « favoriser les petites et moyennes entreprises » :
« Le vote Grillo, c’est simplement le témoin du fait que tous les italiens n’en peuvent plus du comportement de la caste politique en général. Que ce soit la gauche, la droite ou le centre-droit ! »
Une situation que confirme les plus récents sondages : en 2012, seulement 9.5% des italiens concédaient une grande ou relative confiance aux parlementaires, selon un sondage Eurispes. Dubitatif, il ne cache pas ses doutes à l’égard du nouveau venu en politique : « En dehors des grands shows qu’il fait sur les places, il faut voir s’il est en mesure de gouverner ! Tout le monde est capable de gueuler les insatisfactions, mais ça devient plus difficile quand il s’agit de faire quelque chose pour changer la situation « .
Une chose est certaine, Grillo a su « gueuler » et se faire entendre du plus grand nombre, estime Piergiorgio Corbetta : « Mario Monti plaît aux intellectuels bien pensants, il rassure, il parle aux cerveaux. Mais Beppe Grillo parle aux ventres, il joue sur l’émotion. Et le peuple vote en fonction de ça. »
{"type":"Banniere-Basse"}