En butte à des difficultés dans les pays du Maghreb, les islamistes déplacent leurs luttes du champ politique aux questions sociétales. Ont-ils pour autant renoncé à conquérir le pouvoir ?
Le 9 mai, une étudiante algéroise a été interdite d’examen parce que sa jupe était trop courte (au-dessus du genou). Elle a été éconduite par un agent de sécurité qui s’est cru obligé de jouer les gardiens de la morale islamique.
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Sa mésaventure a rapidement enflammé les réseaux sociaux algériens. Des centaines de femmes ont posté sur le net des photos de leurs jupes “trop courtes” en soutien à la jeune étudiante.Le camp adverse, celui des islamistes, s’est aussi mobilisé en lançant une campagne haineuse enjoignant aux hommes “de couvrir décemment leurs épouses, filles et sœurs” avant le ramadan.
Front du refus
Au même moment, le gouvernement tunisien autorisait l’association Shams de défense des gays et lesbiennes. Une première dans un pays arabe. Immédiatement, s’est levé en Tunisie un véritable front du refus allant du grand mufti du pays jusqu’au parti islamiste Ennahdha en passant par des intellectuels conservateurs – mais pas seulement – qui ont “tonné contre”, comme le conseillait Flaubert.
Au Maroc, c’est après une défaite (relative) sur le front de l’avortement – le roi ayant décidé de l’autoriser pour les cas les plus graves – que les islamistes se sont réveillés. Leur cible ? Le film sur la prostitution Much Loved du Franco-Marocain Nabil Ayouch.
Interdit d’écran
Dans les trois pays, les méthodes des islamistes sont les mêmes : réseaux sociaux, interpellation des officiels sur le web, échos dans la presse, éditoriaux et finalement condamnation religieuse et politique. Quand ils en arrivent là, la partie est gagnée. Il n’y a guère qu’au Maroc que cette séquence est allée à son terme. Much Loved, fiction qui aborde la prostitution dans ce pays, a été interdit d’écran avant même qu’il ne soit présenté. En Algérie et en Tunisie, les autorités ont, certes, vacillé mais elles ont tenu bon.
Il y a aussi une façon positive d’analyser ces trois kulturkampf à la maghrébine : lorsqu’un mouvement de nature religieuse perd la partie sur le terrain politique, il se réfugie toujours sur son terrain de prédilection, à savoir la morale et la “liberté”. C’est le cas des évangéliques aux Etats-Unis à propos du mariage gay. La partie est quasiment perdue, trente-sept Etats américains ayant légalisé l’union entre personnes de même sexe. Du coup, ils se réfugient dans un combat pour la “liberté religieuse”.
Combat moral
Peut-on refuser de vendre un gâteau de mariage à un couple gay parce que ses convictions religieuses s’y opposent ? Un officier d’état civil pieux peut-il refuser de marier deux femmes ? Ce combat-là peut durer des années et son issue est incertaine. La question est donc de savoir si les islamistes du Maghreb se sont “réfugiés” dans le combat moral parce qu’ils ont perdu politiquement. La réponse est malaisée. Il ne fait aucun doute que dans les trois pays, l’islam politique est à la peine.
J’entends par islam politique la volonté d’imposer une islamisation complète. Cette option a été durablement repoussée par les sociétés (Tunisie, Maroc) et les Etats (Algérie). Elle est aujourd’hui un choix parmi d’autres et pas le plus enviable. Mais, à l’inverse des évangéliques américains ou des catholiques européens, les islamistes maghrébins considèrent qu’ils n’ont pas perdu la guerre politique, juste une ou deux batailles. Leur retraite sur le terrain “moral” est tactique et non stratégique.
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