Nicolas Becqueret, chercheur en sciences de l’information, et ses étudiants ont analysé les techniques des stars de l’interview politique pendant la présidentielle.
Dans quel cadre votre étude s’inscrit-t-elle ?
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Nicolas Becqueret – Je donne des cours d’analyse des discours médiatiques et des sciences du langage à des étudiants en master communication à l’Université Paris-III. Nous avons choisi pour notre étude des figures emblématiques omniprésentes dans l’espace médiatique, qui font de la radio filmée : Arlette Chabot (Europe 1 et I-Télé), Jean-Michel Aphatie (RTL.fr) et Jean-Jacques Bourdin (RMC et BFM TV). Nous nous intéressons à la mise en forme de la rencontre et aux différents niveaux du discours. Nous voulons voir comment les journalistes contrarient ou non les stratégies des politiques, qui eux-mêmes réagissent à un espace de contraintes.
Quelles sont pour vous les différentes formes de l’interview politique ?
Nous en avons relevé trois. La controverse, qui s’attache plutôt aux idées, aux paroles. C’est ce qu’essaie de faire Jean-Jacques Bourdin. La polémique, qui s’attaque plus à la personne et essaie de la pousser dans ses retranchements. Plutôt le domaine d’Aphatie. Et le tapis rouge, qui permet aux candidats de dérouler tranquillement leur argumentaire.
C’est ce rôle qu’endosse Arlette Chabot ?
Oui. Avec elle, nous sommes plus du côté de la communication politique que de la recherche de l’info citoyenne. Arlette Chabot va plutôt chercher ce qui ne dérange pas. Elle donne la parole aux candidats, ou plutôt elle leur laisse et laisse faire. Elle leur demande de répéter ce qu’ils ont déjà dit ailleurs et d’approfondir leurs propos. Elle est surtout dans la demande de validation. En fait, elle s’efface. Elle a par exemple laissé le pouvoir à Marine Le Pen, laquelle posait les questions.
Aphatie est plus offensif…
Il a tendance à provoquer sans avoir l’air de le faire. Il pose ses questions comme s’il fallait que ses invités confirment, mais ceux-là sont en fait obligés de se défendre, d’infirmer les propos du journaliste. Ils sont poussés à contre-argumenter, ce qui crée une forme de tension. C’est une visée de spectacularisation. Il tente de parler à la place des politiques. Il va les relancer jusqu’à ce qu’ils acceptent de reconnaître qu’il a raison. Bref, Aphatie leur a dit ce qu’il fallait qu’ils disent.
Bourdin a-t-il été cet opposant systématique qu’il avait promis ?
Non. Il y a quelques années, il répétait que les politiques n’osaient pas venir chez lui, donnant l’impression que se frotter à lui était dangereux. Il est exact qu’il ne se laisse pas embarquer ailleurs. Il garde toujours une position haute, dirige le débat et ouvre les thématiques. Il n’aime pas les changements de focalisation : c’est lui qui pose les questions, il le répète sans relâche. Mais il est resté pendant la présidentielle assez peu dérangeant, voire cordial avec Bayrou. En fait, il est insaisissable.
Il ressort de votre étude que François Hollande été le candidat le moins bousculé.
Exact. Ses temps de parole sans coupure ont été relativement longs. Hollande a une stratégie discursive qui consiste à dire toujours la même chose, pendant toute la campagne. Répéter son programme et ne pas dévier. De plus, il répond aux questions assez rapidement et sans grand détour. Pour chaque question, il a une réponse. Claire et précise. Les joutes verbales sont donc difficiles avec lui. Peut-être applique-t-il ce qu’on appelle en stratégie de communication la technique de l’oreiller : quand on tape dans quelque chose d’un peu mou qui ne vous renvoie rien, on n’a plus envie de taper. Ça apaise les tensions.
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