Avec les Internettes, la création féminine sur le web est (enfin) valorisée. Rencontre avec ses membres.
« Est-ce que je vous ai montré notre espace membres ? ». Dans une cave de bar du centre parisien, Zoé se faufile entre les tables, ordinateur à la main, à la recherche d’un WiFi capricieux. Le rôle de la jeune bénévole, ce soir-là, c’est de présenter aux invités le nouveau site des Internettes et leur intranet destiné aux créatrices de vidéo. Le dernier projet en date d’une association qui, depuis quatre ans maintenant, valorise la création féminine sur le web et se bat pour trouver sa place dans un milieu toujours difficile d’accès.
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Rendre visible le talent des femmes vidéastes
C’était en 2016. Marie Camier-Théron, co-fondatrice et actuelle présidente de l’association, réalise avec plusieurs amies que ses abonnements YouTube sont principalement composés d’hommes. « On a constaté ça alors qu’on était nous-mêmes féministes, explique Marie aux Inrocks. On s’est alors réunies en se demandant ce qu’on pouvait faire pour aider les femmes vidéastes talentueuses à se faire entendre. C’était déjà très politique comme enjeu, car c’est un problème culturel qui dépassait YouTube. » Après s’être lancée sous forme de collectif en avril 2016, Marie, Lisa Miquet, Léa Bordier, Cy., Amélie Coispel, Amélie Van Waerbeke, Mélanie Toubeau et Jeanne Dufay concrétisent leur projet avec la création de l’association trois mois plus tard. Et moins d’un an après leur lancement, Les Internettes frappent un grand coup quand Lisa et Léa mettent en ligne leur documentaire, où elles donnent la parole à des femmes vidéastes. Une vidéo qui compte aujourd’hui plus de 250.000 vues.
Très active sur les réseaux sociaux, l’équipe multiplie les actions pour valoriser les créatrices talentueuses, comme avec le hashtag #YouTubeusesDay, ou engager un débat sur la place du corps féminin sur la plateforme avec #MonCorpsSurYouTube. Des masterclass sont également régulièrement organisées avec des créatrices chevronnées, tel que Solange Te Parle, soutien de longue date de l’association : « Il faut pouvoir questionner la domination des créateurs masculins, c’est très important d’un point de vue politique, raconte la vidéaste aux Inrocks. Cela me semblait vital de relayer leur travail, j’ai beaucoup d’admiration pour ce qu’elles font, cela demande une persévérance dont on a besoin. »
« J’ai compris que j’avais ma place sur YouTube »
Amélie Van Waerbeke, de son côté, a créé le répertoire Internettes Explorer, où plus de 2000 chaînes de femmes sont référencées, et a passé de longs mois à coder le nouveau site, récemment dévoilé, avec l’aide de deux autres bénévoles. Les membres peuvent désormais accéder plus facilement aux tutos pour se former ou aux replays de masterclass, développer un réseau, et même se prêter du matériel en fonction de sa localisation. « On a bossé dur dessus, et c’est fou de se dire qu’on a réussi à accomplir tout ça, grâce à l’expérience et la diversité de chacun des membres de l’équipe », explique-t-elle aux Inrocks.
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Mais le projet dont elle est la plus fière reste la dernière cérémonie des Pouces d’Or, qui récompense chaque année des femmes vidéastes comptant moins de 10.000 abonnés. « Pour la dernière édition, on a pu faire ça dans une grande salle, on a eu une subvention de l’Etat, on a une personne en service civique qui a travaillé dessus,… YouTube et le CNC étaient présents. J’avais vraiment l’impression qu’on nous écoutait. » Clara Runaway, vidéaste spécialisée dans le cinéma, a fait partie des lauréates en 2017, lors de la première édition. « C’est le concours qui m’a poussé à poster ma première vidéo, Je ne pensais pas gagner un prix, et ça m’a lancé. J’ai pu m’acheter un micro potable, commencer à investir dans du bon matériel, et puis j’ai pu commencer à me faire un petit réseau, n’étant pas de Paris. Et ça m’a permis de comprendre que j’avais ma place sur YouTube, que j’avais le droit de créer ce que je voulais. » Aujourd’hui, grâce à ce prix, elle est éligible pour obtenir une bourse du CNC justement dédié à la création web.
Quelque chose a changé au royaume de YouTube
En 2020, la dynamique de visibilité sur YouTube n’a pas été chamboulée : des hommes dominent encore largement les algorithmes de recommandations et l’entre soi reste la norme. Difficile pour autant de nier qu’il se passe quelque chose au royaume des vidéos. Plusieurs médias traditionnels ont inscrit la valorisation des contenus web dans leur ADN. Un cercle vertueux de recommandations de chaînes se met timidement en place chez certains vidéastes. « Aucune convention ou festival ne peut passer inaperçu s’il ne programme que des hommes, estime également Marie. C’est un signe encourageant, d’autant plus que les nouvelles générations de créatrices, et je pense par exemple à Léna Situations, Maghla sur Twitch, ou des jeunes sur Tik Tok, semblent ne plus s’imposer de frein, ni même se poser la question de la légitimité. » Chez YouTube, il y a désormais une personne à temps plein pour gérer le programme #EllesFontYouTube, dédié justement à l’accompagnement des créatrices. Et une campagne virale comme #MonCorpsSurYouTube, menée par Les Internettes, a pu aider l’équipe de #EllesFontYouTube à faire avancer le sujet au sein de leur maison mère, où les marges de manœuvres restent relativement complexes. YouTube a ainsi décidé de financer un prix lors du dernier concours des Pouces d’Or.
L’association vient également d’obtenir un second financement, pour le prochain concours, de la part du Ministère des Solidarités et de la Santé, qui héberge le Secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes. Et lors d’un récent live sur Twitch, elles ont conclu une levée de fonds d’un montant de 4.000 euros. Une somme dont l’équipe aura bien besoin puisqu’elle planche actuellement sur pas moins de quinze projets différents. Une chance pour Marie, fière du chemin accompli en quatre ans pour les vidéastes, mais aussi pour toute l’équipe des 18 bénévoles : « Des personnes qui n’avaient pas forcément eu l’opportunité et la chance de porter des projets peuvent s’épanouir dans l’association et développer de nouvelles compétences, à la fois personnelles et professionnelles, et je trouve ça très précieux. »
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