Un document de l’université de médecine de Lyon-Sud préconise d’apprendre aux internes à pratiquer des touchers vaginaux sur des patientes endormies au bloc opératoire. Alors qu’il a été prestement retiré, la doyenne de l’université, Carole Burillon, ne nie pas catégoriquement l’existence d’une telle pratique.
Tout est parti d’un tweet. Celui envoyé le 28 janvier par @KarimIBZT, un pharmacien en industrie ayant suivi une spécialisation en droit de la santé, renvoyant vers un document déniché dans la rubrique « formation » du site de l’université de médecine de Lyon-Sud:
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Comment obtient-on le consentement pour un TV sur patiente endormie par étudiants? cc @ordre_medecins et @UnivLyon1http://t.co/zLMlCqKHLh
— Karim (@KarimIBZT) 28 Janvier 2015
Il y est indiqué que « l’examen clinique de l’utérus et des annexes par le toucher vaginal et le palper abdominal » peut se faire « en apprentissage au bloc sur patiente endormie”.
En 2015 l’Université Lyon 1 conseille tjs à ses étudiants l’examen vaginal non consenti lors des AG RT @ClaradeBortpic.twitter.com/S6oJX6icUl
— Mme Déjantée (@MmeDejantee) 28 Janvier 2015
Joint par téléphone, @KarimIBTZ explique avoir mis la main sur ce document « par hasard », alors qu’il cherchait sur Internet des témoignages concernant des touchers vaginaux pratiqués sans consentement, ce qui venait d’arriver à son épouse enceinte. Il s’est empressé de partager ce document pour « soulever des questions” : « Qu’en est-il du consentement? Pourquoi le faire sur des patientes endormies? »
Si le document a depuis disparu du site de l’université, la polémique, elle, ne cesse d’enfler. D’autant plus depuis que la doyenne de l’université Carole Burillon a commenté l’affaire dans la presse. Au Progrès, elle qualifie le document de « négligence« , assure qu’« Il faut éviter d’avoir des expressions comme cela dans nos carnets de stage » et que les touchers vaginaux au bloc opératoire se font « dans la transparence avec nos patientes ». Pourtant, si elle a effectivement déclaré à MetroNews que « les médecins n’abusent pas de la personne qui est endormie. On travaille ensemble, et à l’occasion de la chirurgie, l’interne et l’externe vont apprendre”, elle a également admis:
« On pourrait effectivement demander à chaque personne l’accord pour avoir un toucher vaginal de plus mais j’ai peur qu’à ce moment-là, les patientes refusent. »
Un sujet de discussion hébergé sur e-carabin, forum des étudiants en médecine, datant de 2005, a alors refait surface. Un membre surnommé “La Mouche » y raconte avoir pratiqué un toucher vaginal en deuxième année sur une patiente sous anesthésie. « ça ne me choque pas vraiment…. on est étudiants et faut bien qu’on apprenne à un moment donné » commente-t-il, « Façon je vois pas en quoi ça dérange les patients, parce qu’ils ne le savent pas … et si on découvrait une tumeur maligne , elle serait bien contente la dame qu’on lui ait fait le TV en douce …. non ? » Un autre internaute, « Galeo », raconte qu’un jour, au bloc, « le chirurgien |lui] a donné la possibilité de pratiquer des gestes qu’on apprend dans les bouquins sur un cas concret. » Pour lui, le toucher vaginal sans le consentement de la patiente se justifie si la personne se trouve au bloc pour une opération d’ordre gynécologique : « Il est évident que si une femme vient se faire opérer de la thyroïde tu vas pas profiter de l’ag pour lui faire un tV…. mais au bloc de gynéco, si on me le propose je dirais pas non. »
Un viol ?
En 2011, le blog Sous la blouse, qui croque des anecdotes médicales en BD, racontait comment les internes se voient proposer par leurs chefs de pratiquer des touchers vaginaux sur des patientes endormies au bloc opératoire. En cause: le fait que la plupart des patientes refusent de se laisser examiner deux fois (une fois par leur médecin, une autre fois par l’interne) lors d’une consultation classique.
Le sujet avait également été abordé en février 2014 par le médecin Martin Winckler, connu pour sa critique du système médical, sur son blog:
« En faculté de médecine, en France, il a longtemps été – et il est encore – d’usage que les étudiants « apprennent » à faire des examens gynécologiques sur des patientes endormies, en salle d’opération. Je parle d’interventions non gynécologiques, mais s’il s’agit d’interventions gynécologiques c’est pareil car ces patientes n’ont pas été prévenues. Je vous vois grimacer à cette idée. Et ça se comprend. Vous n’avez pas envie qu’on vous touche ainsi (ou qu’on touche votre sœur, votre mère, votre fille, votre compagne) pour des buts« pédagogiques ». L’idée, à elle seule, est insupportable. De même,celle qu’on pourrait « dans un but pédagogique », proposer à des étudiants d’examiner la prostate des hommes endormis. (Curieusement, pendant mes études, on m’a souvent proposé de faire des examens gynécologiques, mais jamais de faire un examen de la prostate…) »
Pour lui, le fait de « faire ce geste pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’intérêt du/de la patient.e et sans son consentement » mais « dans le seul intérêt du médecin- qu’il soit « pédagogique » ou purement et simplement pervers » en fait clairement un viol. Et de dresser un parallèle avec les universités de médecine au Québec, où « les examens gynécologiques systématiques (et les frottis) sont faits par des étudiants, supervisés par leurs aînés, sur des patientes volontaires, dont la participation à l’enseignement est encadrée par un contrat très précis. Les patientes qui ne sont pas volontaires sont examinées seulement par des médecins (résidents ou diplômés) en exercice. Les étudiants apprennent, mais ils n’apprennent jamais sur des patients qui ne veulent pas ou qui ne sont pas prévenus. »
Rappelons ici que le viol est défini par le code pénal comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise« .
Contacté par Les Inrocks, le Dr Faroudja, membre du Conseil national de l’ordre des médecins qui n’a pas été saisi de l’affaire, est catégorique: « Le médecin doit obtenir le consentement éclairé du ou de la patient(e). Il doit exposer clairement ce qu’il va faire. Le/la patient(e) doit être prévenu(e)« .
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