Laurent Sciamma, Joseph Roussin, Aziz Ansari… Loin de déplorer une “crise de la virilité”, une nouvelle génération d’humoristes à la sensibilité exacerbée s’épanouit dans des œuvres progressistes.
Le cahier des charges de l’humoriste, qui consiste à rire de soi pour susciter l’empathie, demande un certain panache. Ces prérogatives épousent un changement de paradigme : la mise en scène de la fragilité figure désormais au cœur du projet artistique d’une nouvelle génération incarnée aux Etats-Unis par Aziz Ansari, en France par les stand-uppers Laurent Sciamma ou Joseph Roussin.
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Dans sa série Master of None, qui déconstruit les rapports amoureux à l’heure de Tinder, Aziz Ansari se montre volontiers émotif et vulnérable. Dans son spectacle, le comédien d’origine indienne évoque une femme harcelée dans la rue par un passant qui la suit. Non seulement cette situation lui est insupportable, mais lui-même confie être terrorisé à l’idée d’un affrontement. “(Dans la rue) les hommes n’ont jamais à s’inquiéter des femmes louches. ça n’existe pas.”
Chétifs ou mal aimés, ces nouveaux mâles défaillants s’inscrivent dans une longue tradition de corps masculins inadéquats face à des figures plus désirables socialement, de Buster Keaton à Woody Allen en passant, chez nous, par Gad Elmaleh et Jamel Debbouze à leurs débuts. La comédie offre ainsi un large éventail de contre-modèles marginalisés.
Des films de Judd Apatow ont en effet révélé une galerie d’hommes-enfants non conformes aux injonctions virilistes. Dans son essai Masculinity in the Contemporary Romantic Comedy: Gender as Genre, John Alberti décrit l’émergence dans certaines comédies romantiques d’un héros “mélodramatique”, “qui s’approprie des traits stéréotypés et vus comme féminins, en rupture avec les représentations plus traditionnelles de l’homme qui réprime ses sentiments”. Cependant, cette évolution n’est pas sans ambiguïté. En effet, certains antihéros geek comme ceux de la série The Big Bang Theory n’échappent pas à la reproduction des attitudes patriarcales.
Des spectacles de stand-up sans blagues sexistes
La fragilité constitue le cœur d’une écriture subversive, voire un argument de vente pour une nouvelle génération de comédiens progressistes. Elevé auprès de deux sœurs, dont la cinéaste Céline Sciamma (Tomboy), Laurent Sciamma, 32 ans, déploie dans son spectacle 1 heure debout une autodérision féministe qui prend à rebours les codes genrés plutôt que de renforcer la différence entre les sexes. Il résume : “Je suis du côté des meufs. Dans la salle, tout le monde sait ce qu’est une bifle mais personne ne connaît la définition de la misandrie.”
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De son côté, Joseph Roussin, 25 ans, préfère se soustraire à la facilité des blagues sexistes qui demeurent le fonds de commerce de certains humoristes : “J’essaie de ne pas offenser les gens, ce n’est pas si compliqué.” Dans son spectacle Les Aventures de Joseph Roussin, il reconnaît avoir parfois peur de rentrer chez lui, le soir : un aveu d’impuissance désarmant qui met le public de son côté. Il détaille : “Notre génération s’est rendu compte que ce n’était pas grave de ne pas être viril. Il y a une prise de conscience, de plus en plus de gens réfléchissent à ces questions-là.”
Jusqu’à faire de cette hypersensibilité un atout : “Avant, on disait ‘Je ne suis pas viril, c’est relou”, remarque Sciamma. Après le registre de la plainte et l’angoisse de la castration, le discours a changé. La fragilité comme moteur comique n’est plus une tare dès lors qu’elle est assumée et revendiquée. “D’ailleurs, Aziz Ansari est bien dans sa peau et il en tire une certaine malice”, décrypte Sciamma. Une bonne nouvelle pour tout le monde.
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