Entre satire et contre-pouvoir, histoire d’un phénomène de société, rapporteur et parfois acteur de l’actu.
« Putain, 20 ans !”. Tout à sa joie, Canal+ en oublierait presque l’ancêtre des Guignols : Les Arènes de l’info, émission brouillonne où PPD gigotait avec un noeud papillon pailleté de meneur de revue.
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Car les débuts ne furent pas évidents (“marchera pas”, aurait pu dire la marionnette de Philippe Séguin) pour le bébé d’Alain de Greef, qui cherchait à imiter Spitting Image (le modèle anglais de l’émission) plutôt que le bistrot (et son humour de chansonniers de comptoir) du Bébête Show. La formule gagne en maturité sous la plume du classique trio Benoît Delépine/Jean-François Halin/Bruno Gaccio et fait effet dès 1991, pendant la première guerre du Golfe. Face à un conflit sans images, virtuel, les Guignols sont le contrechamp de bataille d’autant plus idéal que leur dispositif en faux journal TV moque la censure, la propagande US de l’époque, au travers de l’inénarrable commandant Sylvestre, plus tard décliné en avatar du pouvoir – celui de la World Company et de l’Eglise catholique.
Depuis, avec des hauts et quelques coups de mou, les Guignols se sont érigés en satire institutionnelle, contre-pouvoir fédérateur puisqu’on en parle de la cantine scolaire au resto d’entreprise. Leur force ? Une capacité à capter un phénomène, un personnage en une réplique, un tic, un concept. La marionnette est surtout un médium parfait, hyperréaliste et enfantin à la fois, un soft power qui permet les attaques les plus violentes tout en les adoucissant – même si le CSA s’était offusqué de la caricature d’Amélie Mauresmo en homme.
La soirée du 16 mars les célébrant présente un faux making-of (Les Coulisses des Guignols), où la préparation de la quotidienne est envisagée sous l’angle d’une conférence de rédaction entre Guignols, puis un documentaire de quatre heures (Il était une fois les Guignols) sur “l’histoire de l’humanité, du Big Bang à 2008” à travers leur prisme.
C’est là leur autre talent : créer un monde distinct du nôtre où les marionnettes gagnent leur autonomie. Sylvestre, Johnny Hallyday, PPD, Ben Laden (il fallait oser), et, bien sûr, Jacques Chirac, toutes ont une vie propre par rapport à leur modèle. Au risque de semer la confusion entre réel et Guignols, comme lors de la campagne présidentielle de 1995, où ils furent accusés d’avoir fait gagner Chirac. Un cas de storytelling parfait, avec un scénario de loser trahi qui remonte la pente. Rodolphe Belmer, le directeur général de Canal+, en parlant de “l’empathie créée par l’émission avec le public” ne croit pas si bien dire.
Mais la surprise de cette commémoration sera le traditionnel journal des Guignols, où ceux-ci seront remplacés par leurs originaux de chair et d’os. Patrick Poivre d’Arvor, forcément, est le premier confirmé parmi une dizaine de personnalités s’étant prêtées au jeu. Un adoubement de plus par les acteurs du théâtre médiatique et politique, qui aiment se mirer dans le latex, devenu la mesure de leur célébrité.
Les noces avec le public et l’actualité ont beau être de porcelaine, elles n’attendent que bronze et perle tant l’émission est faite pour durer (“Nous sommes les seuls survivants de Canal+… avec Michel Denisot”, plaisante, à moitié, Yves Le Rolland, producteur de l’émission). La chaîne le veut par attachement et intérêt, puisque Les Guignols incarnent “les valeurs potaches, rebelles et un peu libertaires” (Rodolphe Belmer) – ou supposées telles – de Canal+. Quoi de plus parfait que ce cadre moderne – où il s’agit d’organiser le chaos journalier d’informations – et classique – les Guignols échappent au débat de la convergence des médias, se fichent d’internet pour rester inamovibles dans leur case TV, et puis c’est tout. Ils moquent le cynisme de la droite, les tergiversations à gauche, sans oublier leur propre chaîne (les attaques contre Messier, le Nulle part ailleurs de Guillaume Durand). On reste pourtant perplexe lorsque les actuels auteurs, Julien Hervé et Lionel Dutemple, déclarent que “en vieillissant, le personnage de Sarkozy va gagner en profondeur, sympathie et vécu”. En espérant qu’ils n’oublient pas que la prochaine présidentielle aura lieu en 2012.
Putain, 20 ans !
Programmation spéciale. Lundi 16 mars à 20 h 45 sur Canal+
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