La majorité des grands singes sont à un pas de l’extinction. Une disparition qui ne serait pas sans conséquence pour l’homme et l’environnement. Rencontre avec Amandine Renaud, primatologue oeuvrant pour leur conservation.
100 000 orangs-outans de Bornéo (Pongo pygmaeus) ont disparu entre 1999 et 2015. En cause : la déforestation et le braconnage. Une découverte inquiétante révélée par une étude publiée dans Current Biology en février 2018. L’exploitation forestière pour le papier, l’huile de palme et de l’exploitation minière sont largement responsables dans cette disparition. Les chercheurs ont également relevé que la chasse illégale jouait un rôle majeur dans ce phénomène. La population d’orangs-outans de Bornéo a diminué de 53% depuis 1999.
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L’orang-outan est officiellement classé comme espèce en danger critique d’extinction par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN) depuis 2016. Un phénomène inquiétant qui touche également les autres familles de grands singes. Entretien avec Amandine Renaud, primatologue et présidente de la fondation P-WAC qui oeuvre pour la protection de l’environnement et la conservation des primates.
Quelles sont les principales causes de la disparition des orangs-outans et des grands singes de façon générale ? L’activité humaine est-elle responsable ?
Amandine Renaud – En un mot, oui. Le principal facteur de disparition des grands singes est l’activité anthropique. L’homme, qu’il le veuille ou non, est le seul responsable de la disparition de ces primates, par ses différentes actions : La déforestation pour l’exploitation du bois destiné au commerce international, notamment le bois tropical, a pour conséquence de réduire à néant l’habitat naturel de ces animaux, dès lors il n’existe plus d’écosystème, plus de lieu de vie et de reproduction et plus d’alimentation.
La chasse illégale, ou braconnage, est la deuxième cause de disparition des grands singes. En résumé, les adultes sont chassés pour leur viande, et les petits sont récupérés pour être vendus comme animaux de compagnie. Il faut savoir qu’à un bébé singe vendu sur le marché correspond à la mort de la plupart des membres de son groupe. Si la viande de singe est majoritairement consommée par les populations locales, c’est culturel, les bébés primates comme les chimpanzés, sont quant à eux destinés au marché d’animaux exotiques : les expatriés ou les riches personnalités achètent un bébé chimpanzé, sans avoir aucune conscience des conséquences de cet acte. Le marché chinois est également pointé du doigt, ainsi qu’un certain type de tourisme qui permet aux vacanciers de se prendre en photo en train de papouiller ces animaux sans se demander comment ils en sont arrivés là.
Mais ce n’est pas tout. La croissance démographique ne cesse d’exploser et pousse les hommes à aller plus loin dans les forêts pour créer des villages et bien entendu, développer l’agriculture pour leur alimentation. Pour vendre les produits agricoles, on ouvre des routes vers des zones jusqu’alors isolées, facilitant ainsi les déplacements des braconniers, mais également la propagation des maladies affectant drastiquement les populations de primates sauvages. Le tourisme vert non contrôlé, la recherche scientifique et l’insécurité politique présente dans la plupart des pays où vivent les grands singes entrainent également leur disparition.
Des espèces de primates sont-elles plus menacées que d’autres ? Selon l’étude publiée dans Current Biology, 100 000 orangs-outans auraient disparu entre 1999 et 2015 à Bornéo. Les chiffres sont-ils aussi alarmants pour les autres grandes familles de singes ?
Les chiffres sont en effet alarmants : toutes les espèces de primates, et de manière générale, la faune et la flore, sont menacées de disparaitre de la surface de la Terre. Tous sont victimes de la main de l’homme, sans exception. Les chimpanzés, gorilles et bonobos vivent en Afrique. Seul l’orang-outang vit en Asie. Aujourd’hui, il est visé comme un des premiers grands singes à disparaitre du fait de la perte de son habitat. L’huile de palme est largement en cause. Cette huile, issue de la monoculture, bien que nocive pour la santé, est très économique. Des millions d’hectares de forêts ont disparu à coup de napalm pour accélérer les plantations de palmiers à huile, dans le seul et unique but d’enrichir les entreprises les produisant. Les conséquences sont l’appauvrissement des sols, l’absence de nourriture pour les orangs-outans qui sont obligés de parcourir des distances énormes pour espérer trouver de quoi se nourrir, finissant régulièrement chassés par les villageois apeurés. Les villageois, autrefois vivant dans les forêts, se retrouvent également pénalisés par ces monocultures, ne disposant plus des ressources naturelles pour survivre. L’huile de palme est la cause numéro un de disparition des orangs. Et les certificats d’huile de palme certifiée ne sont que de la poudre aux yeux. A part à servir de green-washing pour les entreprises continuant leur exploitation intensive des richesses du monde pour leur profit, ces labels ne permettent en aucun cas de mieux traiter les populations autochtones et les orangs-outans.
Depuis quand le nombre d’individus a-t-il diminué ?
Les recherches en primatologie ont débuté au milieu des années 50 et se sont accentuées par la suite, grâce notamment à des femmes parties sur le terrain pour les étudier (Jane Goodall pour les chimpanzés, Dian Fossey pour les gorilles, et Biruté Galdikas pour les orangs-outans). L’impact de l’homme a toujours été souligné, mais jusqu’à aujourd’hui, le développement économique et l’enrichissement des multinationales restent la priorité. Même les conventions internationales ne suffisent pas à les protéger, du fait de la corruption omniprésente dans les pays abritant ces grands singes, nos plus proches cousins.
A quel point ces espèces sont-elles menacées ? Pourrait-on assister à leur disparition définitive ?
Tant qu’il n’y aura pas d’application des lois, tant que le commerce international d’animaux protégés ne sera pas mieux contrôlé, et sévèrement puni, rien ne changera. Nous pouvons en effet assister à la disparition définitive de nos cousins. D’ailleurs, régulièrement, nous observons des espèces disparaitre, sous nos yeux, sans réaction aucune.
Quelles conséquences peuvent avoir leur disparition sur la biodiversité et les écosystèmes ?
Toutes les espèces animales et végétales ont un rôle écologique, même nous ! La disparition d’une espèce entraine forcément des conséquences sur la biodiversité, même si nous ne le voyons pas. En ce qui concerne les chimpanzés par exemple, ceux-ci sont connus pour être des jardiniers et des gardiens de la forêt. Ces primates passent la majeure partie de leur temps à se déplacer pour trouver de la nourriture. Lors de leurs déplacements, ils sèment, dans leurs selles, les graines des fruits qu’ils ont consommés. Ainsi, ils permettent à la forêt de se régénérer. La disparition du chimpanzé entrainera la diminution et à terme la disparition de certaines espèces forestières.
Si la forêt est impactée c’est tout un écosystème qui l’est également car il faut garder à l’esprit que les chimpanzés partagent leur espace de vie avec d’autres espèces animales, qui seront à leur tour affectées et les hommes sont inclus. La forêt tropicale du Bassin du Congo où vivent de nombreux chimpanzés est le deuxième poumon de la planète après l’Amazonie. On a beau se dire que jamais ces forêts ne disparaitront, il suffit d’être sur place pour constater que cette idée est fausse. Chaque jour les forêts, qui nous permettent de respirer, sont grignotées davantage.
Que peut-il être mis en place pour assurer leur protection ? Quelles sont les actions à mener ? Est-ce déjà trop tard pour parvenir à les sauver ?
Si l’on prend l’exemple du chimpanzé : nous avons un ancêtre commun datant de six à sept millions d’années. Nous partageons plus de 98% de gênes communs ! Nous sommes également, nous, humain, membre à part entière de la grande famille des primates, et plus précisément des grands singes. Comment pouvons-nous rester là sans rien faire ? Depuis des années on entend qu’il faut prendre conscience que la nature est menacée à cause de l’homme, mais il est trop tard pour encore perdre du temps à penser et imaginer des idées pouvant les aider. Ce n’est pas juste parce qu’on aime les singes qu’on doit les protéger. C’est un véritable enjeu socio-éco-environnemental qui est en question et c’est notre devoir d’agir, surtout que des solutions existent.
Dans un premier temps, il faut que les grands de ce monde appliquent ces solutions : lutte contre la corruption, application des lois et des peines pour les acteurs impliqués dans le trafic d’animaux sauvages, du petit chasseur au commanditaire. Ce trafic est parmi le plus important au monde, avec le trafic d’armes et de drogues, ce n’est donc pas à prendre à la légère !
Outre les gouvernements, c’est aussi à nous de réagir, sans attendre que quelque chose se passe. Et cela au quotidien. Les gens pensent qu’ils ne sont pas entendus. Pourtant, ils ont en leur main un pouvoir énorme : celui du choix de la consommation. En arrêtant d’acheter du bois tropical et des produits à base d’huile de palme, nous montrons déjà aux pouvoirs publics et aux multinationales que nous pouvons changer les choses. Si nous choisissons des produits respectueux de l’environnement, les fabricants d’huile de palme n’auront pas d’autres choix que de se recycler et de s’adapter pour rester compétitifs ! Plus personne aujourd’hui ne peut dire qu’il est difficile de trouver des produits peu chers sans huile de palme, car heureusement, de nombreuses entreprises ont eu l’intelligence de faire des efforts.
En attendant ce pas de géant de la part de nos gouverneurs, des petits projets existent sur le terrain pour essayer de changer la donne. C’est ce que nous faisons par exemple à P-WAC. Nous avons une équipe en France qui sensibilise le public à la cause des grands singes, et en République Démocratique du Congo, nous avons mis sur pieds un centre de réhabilitation pour primates victimes du braconnage. C’est-à-dire que nous récupérons des chimpanzés et petits singes orphelins afin de leur réapprendre la vie sauvage, pour un jour, leur rendre leur liberté. Nous travaillons avec les populations locales, afin qu’elles soient les premières à bénéficier de la préservation du chimpanzé : avec elles, nous menons des actions d’information dans les villages par le biais de la radio communautaire, nous avons formé une patrouille anti-braconnage, et nous sommes actuellement en train de mettre en place une aire communautaire protégée, avec l’appui des autorités locales et des chefs traditionnels.
Bien que l’homme soit le principal responsable de la disparition des grands singes, l’homme a aussi le pouvoir de faire en sorte que cette extinction n’arrive pas. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas baisser les bras, et faire confiance à l’homme, afin que les choses changent, maintenant !
Propos recueillis par Louise Hermant
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