Une entreprise d’élevage de dindes, soutenue par le gouvernement américain, a abusé pendant plus de 30 ans d’hommes souffrant de handicap mental sous prétexte de leur donner une vie « meilleure que dans des institutions médicales ».
On a souvent besoin de sous-titres pour les comprendre. Au sens figuré comme au sens propre : le journaliste du New York Times a choisi de sous-titrer une partie des témoignages de ceux qu’on appelait « les garçons de Henry » et dont il a retracé la vie dans un documentaire poignant de 35 minutes. Une articulation difficile, des mots qui ne viennent pas : les « garçons de Henry » souffrent d’importants retards mentaux.
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A la fin des années 1960, l’entrepreneur Kenneth Henry obtient l’autorisation du gouvernement américain de développer un programme à but lucratif dans lequel il emploie des hommes handicapés mentalement, qui vivaient auparavant dans des institutions spécialisées. Le but de son entreprise : élever des dindes à très grande échelle – ce qui veut dire louer des ranchs dans plusieurs Etats – mais aussi les inséminer artificiellement pour les aider à se reproduire, car ces animaux y arrivent très mal à l’état « naturel ».
Un travail fastidieux, que les nouvelles recrues effectuaient souvent « de 5 heures du matin à 15 heures » comme ils le confient aujourd’hui. De quoi développer, au bout de vingt ans, des maladies graves comme des déformations de leurs mains, devenues fourchues et recroquevillées à force d’arracher les gosiers des dindes fraîchement tuées. Un jour normal, les hommes en éviscéraient jusqu’à 20 000. Aujourd’hui, lorsqu’ils annoncent ce chiffre, on peut encore lire un mélange d’épuisement et de fierté dans leurs yeux.
Un salaire de 65 dollars par mois
Du Texas, où le programme controversé a été créé, a ensuite émigré une douzaine d’hommes jusqu’à Atalissa dans l’Iowa. C’est dans cette petite ville qu’ils ont passé trente ans, regroupés dans une ancienne école transformée en dortoir de fortune. Ce n’est qu’en 2009 que l’assistante sociale Denise Gonzales a constaté l’horreur de leurs conditions de vie.
Toilettes ouvertes, toits béants, fissures et moisissures sur les murs : l’ancienne école ressemblait plus à un bâtiment abandonné qu’à un logement destiné à des hommes qui souffrent d’un handicap mental. D’autant plus que sur leur salaire de 750 dollars par mois prévu contractuellement, 90% étaient prélevés directement par l’entreprise de Kenneth Henry pour payer ledit logement. A la fin du mois, ils touchaient la modique somme de 65 dollars.
Des dommages et intérêts qui n’ont pas encore été touchés
65 dollars par mois pour être abusé « physiquement et mentalement » par des employés de l’entreprise d’élevage de dinde Henry’s Turkey Service, récemment poursuivie devant la justice par un Comité du travail égalitaire. A l’été 2013, le jury a imposé à l’entreprise de payer 7,5 millions de dollars à chaque homme. Mais à cause d’une loi qui plafonne les amendes données aux petites et moyennes entreprises, ce montant a été réduit à 50 000 dollars par tête.
Une somme qu’ils n’ont pas encore touchée, quatre ans après avoir été aidés par les services sociaux à quitter Atlalissa et commencer une nouvelle vie, pour la plupart aujourd’hui à la retraite. De son côté, Kenneth Henry continuer de les accuser d’avoir menti sur les abus :
« Je vais vous dire quelque chose à propos de ces garçons. Ils sont honnêtes, mais… Si un des garçons en venait à inventer une histoire, et qu’il la racontait à un autre de ces garçons, cet autre garçon le croirait aussi. Et je pense que c’est un peu ce qu’il s’est passé. »
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