En Suède comme au Danemark, de plus en plus de femmes portent plainte pour viol ou agression sexuelle après des festivals de musique. Des chiffres en augmentation dans une société où la parole se libère.
Pour certaines, cela s’est passé au milieu de la foule. Pour d’autres, c’est arrivé à l’écart, dans un coin mal éclairé, ou dans leur tente. Une fois les festivités terminées, il n’est en tout cas pas rare pour les organisateurs de festivals suédois de recenser le nombre d’agressions sexuelles, voire de viols. Cette année, après le festival Sweden Rock début juin, une plainte pour viol et quatre pour agressions sexuelles ont été déposées. Idem quelques jours plus tard lors du Summerburst à Stockholm. Mais c’est pour le festival Bråvalla que les chiffres sont encore plus effrayants. L’édition 2017 s’est déroulée du 28 juin au 1er juillet à Norrköping, au sud-ouest de Stockholm: quatre plaintes pour viol et 23 pour agressions sexuelles ont été dénombrées.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’année précédente déjà, les festivités avaient été entachées par des chiffres similaires. Un fléau persistant malgré les mesures de prévention mises en place, qui a poussé les organisateurs à annuler l’édition de l’année prochaine. « La violence tue l’expérience du festival et l’amour de la musique. Et, surtout, des gens sont blessés », a déclaré le fondateur dans un communiqué.
« Malmö, capitale européenne du viol »
En 2016, 6720 plaintes pour viol ont été déposées en Suède, dont environ 2% sont arrivés pendant des festivals de musique. Plus globalement, le nombre de viols et d’agressions sexuelles y a été multiplié par deux depuis le début des années 2000, d’après les statistiques du Conseil national de la prévention des crimes suédois, le Bra. Comment expliquer alors des chiffres aussi importants dans une société où l’égalité femmes-hommes est souvent érigée en modèle à suivre par ses pays voisins ?
« Un pas vers l’égalité des sexes » ?
Une des villes du royaume, Malmö, a même été qualifiée de « capitale européenne du viol » par le britannique Nigel Farage, le chef de file de l’UKIP. Une allégation qu’il est toutefois nécessaire de nuancer pour plusieurs raisons. Pour Elisabeth Morin-Chartier, députée européenne et présidente de l’European Union of Women (EUX), cette augmentation du nombre de plaintes constitue davantage « un pas vers l’égalité des sexes ». « C’est un marqueur de la non-admission de ces viols », insiste-t-elle. S’ajoute à cela des conceptions et des protections différentes :
« La définition du viol n’est pas la même partout. Elle est beaucoup plus large dans les pays scandinaves contrairement au pays du sud de l’Europe où elle est réduite à une pénétration non-consentie », nous explique l’eurodéputée.
Ainsi, la loi sur le viol a vu son champ d’application élargi à deux reprises en Suède. Est considéré comme viol tout rapport sexuel non consenti, y compris si la personne n’est pas en état d’exprimer un consentement (endormie, handicapée ou encore ivre). Ici, la pénétration n’est pas essentielle pour que le crime soit, dans certains cas, catégorisé comme viol.
« La parole y est aussi davantage libérée dans la mesure où les femmes sont bien mieux informées sur ce que constitue une violence, et parce qu’elles savent que leur témoignage sera protégé », souligne Elisabeth Morin-Chartier. Une justification confirmée par Lisen Adreasson Florman, fondatrice de Nattskiftet, une association suédoise qui intervient dans les festivals pour prévenir les violences sexuelles.
« Ce n’est pas le nombre de crimes qui a augmenté, mais au contraire une véritable prise de conscience qui s’est développée, insiste-t-elle. Nous mettons de plus en plus en lumière ce problème, ce qui donne le courage aux femmes de porter plainte ».
Des taux d’inculpations faibles
En 2014, une étude de l’Agence européenne des droits fondamentaux révélait que 18% des Suédoises avaient déjà été victimes de violences sexuelles et expliquait ainsi :
« L’égalité des genres pourrait conduire à un signalement plus important des incidents de violences à l’égard des femmes. Ceux-ci ont plus de chances d’être abordés ouvertement et d’être traités dans les sociétés plus égalitaires »
Si de plus en plus de femmes osent porter plainte, le nombre de personnes inculpées reste relativement faible (environ 12% en 2016).
Voisin de la Suède, le Danemark semble connaître le même problème. A une trentaine de kilomètres de Copenhague, le Roskilde festival, très probablement le plus gros événement de musique du pays, accueille près de 130 000 personnes chaque année pendant huit jours. L’édition 2017 s’est tenue du 24 juin au 1er juillet, à la suite de quoi six plaintes pour viols ont été déposées. C’est une de plus que l’année précédente. Un chiffre encore loin de la réalité, selon Hanne Baden Nielsen qui dirige le Centre pour les victimes d’agressions sexuelles du Rigshospitalet, à Copenhague et qui prend chaque année en charge des victimes du Roskilde festival. « Peu de femmes encore victimes d’agressions sexuelles ou de viols portent plainte », explique-t-elle au Politiken.
Pour briser les tabous, le quotidien danois a récemment publié une série d’articles intitulée « Roskilde sans consentement », qui regroupe des témoignages de femmes victimes de viols durant le festival à différentes époques allant de 2008 à 2016.
« Tu es sûre que tu ne cherches pas simplement à faire ton intéressante ? »
Agées d’une vingtaine d’années à l’époque des faits, elles sont cinq à mettre des mots sur ces crimes. L’une d’entre elles raconte comment un homme s’est introduit et a mis ses doigts dans son vagin alors qu’elle dormait dans sa tente. Il y a aussi le cas de Sarah, violée à 21 ans par un homme avec qui elle avait rapidement flirté quelques semaines plus tôt. Deux autres encore témoignent de viols en réunion. Certaines racontent aussi avoir été très mal reçues par la police. « Tu es sûre que tu ne cherches pas simplement à faire ton intéressante ? », aurait demandé un agent à une femme qui avait trouvé le courage de venir porter plainte. Et comme en Suède, au Danemark les taux d’inculpations sont faibles. Le festival Roskilde sera lui maintenu l’année prochaine.
Les festivals non-mixtes
A l’annonce de l’annulation de l’édition 2018 de Bråvalla l’actrice suédoise, Emma Knyckare a pris la polémique à bras le corps et a décidé d’organiser un nouveau festival de rock, à la différence qu’il sera réservé exclusivement aux femmes.
« Que pensez-vous de mettre en place un festival vraiment sympa où seuls les ‘non-hommes’ sont les bienvenus, et que nous allons continuer jusqu’à ce que TOUS les hommes aient appris à se comporter ? », a-t-elle lancé sur Twitter.
https://twitter.com/Knyckare/status/881563265414955008
L’initiative a été largement soutenue, à tel point qu’elle a assuré que l’événement aurait bien lieu. « Le premier festival de rock sans homme de Suède verra le jour l’été prochain », assure-t-elle sur Instagram. Dans les jours qui viennent, je rassemblerai un groupe solide d’organisateurs talentueux et de chefs de projet pour former l’équipe du festival. »
Mais les agressions sexuelles pendant des festival ne sont pas inhérents aux pays scandinaves. En 2016, le festival de Glastonbury avait mis en place un espace uniquement réservé aux femmes, « The Sisterhood ». De même, le 8 mai dernier, 28 festivals britanniques ont tout simplement fermé leurs sites internet. Pendant 24 heures, on pouvait lire le message suivant : « #saferspacesatfestivals » (« des lieux plus sûrs dans les festivals »). « Je ne pense pas que ce soit une solution sur le long terme, mais au moins ça a le mérite de mettre ce fléau en lumière », conclut la militante Lisen Andreasson Florman.
{"type":"Banniere-Basse"}