La chanteuse, poétesse, musicienne d’origine franco-malgache Nirina Lune dévoile son clip « Femme Fontaine « , qui met en scène les personnages de son premier EP, dont chaque titre s’écoute comme le chapitre d’une histoire. Les Inrocks lui ont parlé de cette fiction musicale qui met en scène les femmes, de façon poétique et engagée.
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Peux-tu me parler de ton parcours?
Je suis avant tout une performeuse formée à l’école du freestyle sur les scènes des open mics hip hop franciliens. C’est dans cette arène presque exclusivement masculine que je découvre le plaisir de déstabiliser mon auditoire en kickant des punchlines érotiques et en injectant mes thèmes de prédilection : féminisme, sexualité et sacré, désir et plaisir féminin. Mon prénom, Nirina, signifie « Desirée » en malgache : le désir, c’est ma botte secrète.
Je mets mon talent de conteuse au service des gens qui m’écoutent car je crois en la force guérisseuse des contes. Les conteurs Hira Gasy (opéra malgache), la lecture de Clarissa Pinkola Estes (Femmes qui courent avec les loups) et Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées) m’ont beaucoup influencée en ce sens.
Qu’as-tu voulu raconter sur les femmes?
Tout d’abord il est important de préciser que je ne prétends pas parler pour toutes les femmes. En tant que conteuse, ce qui m’intéresse c’est de jouer avec des archétypes (la sorcière, la mère, la putain…) de me les approprier sur scène, dans mes textes et visuels et ensuite de proposer des archétypes qui me font du bien et qui pourraient faire du bien à ceux et celles qui m’écoutent. La chanson Femme Fontaine part d’abord d’une expérience personnelle : je l’ai écrite dans un moment de renaissance, après une rupture douloureuse. Ce genre de moment illuminé où tu est enfin au bout de tout ce que tu as traversé : tu ne peux que pleurer de joie et de gratitude. Quand le deuil se transmute en joie, quand les larmes se mêlent au rire et au plaisir, c’est un sentiment incroyable. C’est ce feeling-là que j’ai d’abord voulu transmettre : la renaissance.
Le mot « Femme Fontaine » est venu couronner ce moment en m’inspirant une vision d’une super-héroïne à la fois supersensible et superpuissante qui renaîtrai des eaux de ses larmes. Cette « Femme Fontaine » est aussi supersensuelle, supersexuelle et superspirituelle! Et si le chant érotico-mélancolique de cette héroïne peut donner de la force à des femmes, j’ai fait mon job.
Quel lien de continuité vois-tu entre elles et la nature?
Il y a quelques années, pour des raisons de santé, je me suis intéressée aux cycles lunaires, leur impact sur les règles. J’ai découvert des mouvements super intéressants (tentes rouges, symptothermie…) autour de la gynécologie naturelle. Biologiquement, j’ai vu un lien évident : les femmes sont cycliques, hormonalement, émotionnellement. Ca m’a beaucoup appris et donné des outils pour connaitre mon corps et le lien entre mes cycles menstruels et mes émotions. Spirituellement, ça m’a aussi beaucoup apporté de sentir mon corps connecté à un astre. Avec un groupe d’amies, dès qu’on a une baisse de moral, on s’appelle direct pour se parler de l’état de la lune et de l’état de notre cycle menstruel. « C’est la pleine lune et j’ai mes règles les meufs, c’est horrible. » On en blague mais en même temps on prend ça super au sérieux. Ca nous connecte et ça nous amène à des discussions très profondes sur nous.
Le lien femme – nature, je le vois comme ça : à la fois sacré et léger. Il faut en jouer. Je prends ce sujet avec du recul car parler de lien femme – nature peut être explosif et enfermer les femmes dans un cliché qui les disqualifie. D’ailleurs, avec le temps je me suis aussi aussi progressivement écartée des mouvement de gynécologie naturelle car certains forums de discussion, obsédés par le retour au « tout naturel », pouvaient mettre de côté les femmes sans utérus ou avec des pathologies gynéco qui étaient obligées de prendre la pilule. Je me méfie des mouvements qui commencent à avoir des doctrines du style « le sang des règles nous permet de nous purifier chaque mois ». Donc quand tu n’as pas tes règles tu es « impure »? Ok bye !
Pour ma part, je dirais que les femmes sont appelées à être plus près du cycle de vie-mort-vie depuis la nuit des temps. Que l’on ait un utérus ou pas. Que l’on soit mère ou pas. Je ne veux pas rejeter cet héritage. C’est notre force, et c’est ce lien vie-mort-vie qui me touche. Le clip Femme Fontaine s’ouvre sur un plan qui est une référence aux pleureuses des enterrements. Cette fonction sociale me fascine.
Donc ma réponse, c’est de jouer avec les clichés, les archétypes. Je joue avec l’archétype de la « Femme de la Nature », la « Femme Sauvage ». On peut aimer la nature, vouloir la protéger sans être obligée de marcher pieds nus dans l’herbe avec un tambourin et des plumes sur la tête ! On peut aussi être un vanupied et être très sérieux, avoir des choses à dire ! Mon Esmeralda à moi est une hackeuse, une anarchiste, une résistante. Le clip Femme Fontaine met en scène les personnages de mon premier EP (sorti avant l’été 2019 ), qui est une fiction musicale dont chaque titre s’écoute comme le chapitre d’une histoire. Ces femmes que l’on voit danser à l’écran, font partie de la « Water Resistance », une communauté de femmes qui lutte pour sa survie dans un monde où l’eau est contrôlée par les gouvernements. Le pouvoir de ces Esmeralda : hacker les ondes météorologiques grâce aux ondes émises par leurs chants et leur danse.
Penses tu que l’affaire Me Too crée une nouvelle solidarité ?
Je pense que la solidarité féminine est ancestrale, qu’elle est aussi ancienne que l’oppression du patriarcat sur les femmes. Question de survie ! Donc, à mon sens, Me Too n’a rien créé de nouveau à ce niveau-là mais a sûrement permis de réveiller cette fibre à un niveau plus mainstream, oui. Et c’est tant mieux !
“Femme Fontaine” a une connotation sexuelle. Pourquoi ce choix de titre ?
On parlait des femmes fontaines avec mon amie Nelly Zagury, artiste poétesse érotique et illustratrice, qui travaille aussi sur le sujet, et le mot m’a immédiatement inspiré cette vision de super-héroïne des fluides dont je vous parle plus haut.
Au même moment je faisais des recherches entre sexualité et sacré. Je cherchais à exprimer quelque chose qui pourrait relier, réconcilier les deux, c’était vital pour moi ! J’ai vraiment ressenti une puissance poétique dans le mot. « Femme Fontaine » pour moi ça sonne comme un orgasme cosmique !
J’ai réalisé ensuite que ce mot faisait réagir : dès que j’annonçais le titre de cette chanson en concert, j’entendais des rires, des silences gênés. Certains mecs ont déjà fait leur lourd : « Et toi t’es femme fontaine ? ». Je voyais bien que ce mot était entouré de moqueries et de honte. Ca m’a encore plus donné envie de l’entourer de beauté et de divin.
En me réappropriant ce mot, mon intention est triple : d’une part renverser le stigmate associé à ce mot pour lui donner une dimension poétique, d’autre part, injecter l’idée que la jouissance féminine est belle, et enfin amener le plaisir sexuel dans une dimension sacrée.
Pourquoi le thème de la transe? Qu’as-tu voulu raconter?
« Femme Fontaine » c’est l’orgasme cosmique d’une femme. C’est son moment d’illumination, de renaissance après un deuil. J’ai voulu qu’on plonge dans son extase, qu’on voit son corps prendre plaisir à être connecté au divin. Et ce, pas nécessairement dans un moment « sexuel » au sens strict du terme.
La danse des 5 rythmes, dont j’ai eu une expérience personnelle très forte, m’est apparue comme la meilleure manière d’exprimer cet état de « transe », d’illumination. Il y a un rythme que l’on travaille dans ce stage : « stillness », où les mouvements sont extrêmement lents et où le temps s’arrête littéralement. Ce n’est pas évident de retraduire en mot ce que j’ai ressenti pendant ces longues heures de danse libre et méditative, et les visions que j’ai eues, mais ce que je peux dire c’est que la méthode de danse que Gabrielle Roth a mise au point est puissante car elle est simple et accessible à tous. Ce que cette danse a réussi à reconnecter en moi à ce moment-là, et je remercie la maitresse de stage Amélie Schweiger, c’est de réconcilier mon corps, mon plaisir, et le divin. C’est une danse qui soigne, c’est une danse joyeuse, légère et en même temps c’est très sérieux.
Une des phrases-clés de Gabrielle Roth que j’adore c’est « Sweat Your Prayers ». Il faut lire ses mots, donc je la cite : « Transpirer, c’est prier, c’est faire offrande de son soi le plus intérieur. La transpiration, c’est de l’eau bénite, des perles de prière, des perles liquides qui nous délivrent de notre passé et soignent toutes les parties de notre être dans un baptême de feu. La transpiration brûle le karma, purifie le corps et l’âme. La transpiration est une forme ancienne et universelle d’auto-guérison, qu’elle soit produite dans la salle de musculation, le sauna ou la hutte de sudation. Moi, je produis sur la piste de danse. Plus on danse, plus on transpire. Plus on transpire, plus on prie. Plus on prie, plus on s’approche de l’extase. » Je crois que l’énergie sexuelle est la clef vers l’extase. Pour moi il est donc capital que les femmes soient en pleine possession de cette énergie et c’est le message que je veux transmettre aujourd’hui avec « Femme Fontaine ». J’aime aussi cette phrase d’Emma Goldman : « If I can’t dance in your revolution I’m not coming ». Ca illustre totalement ce que je veux dire avec ce film : même dans un contexte apocalyptique et d’effondrement du monde, on ne doit pas oublier que le corps joyeux, libre, qui prend du plaisir, c’est la clef ! Je veux décadenasser ce corps et qu’on soit WILD !
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