« Madame ou Mademoiselle ? » est une question que ne veulent plus entendre les militantes d’Osez le Féminisme et des Chiennes de Garde, qui lancent aujourd’hui une campagne pour la suppression de la civilité « Mademoiselle » des formulaires administratifs. Une revendication qui ne date pas d’hier mais qui divise.
Ce n’est pas la première fois que des femmes le demandent : l’abolition du terme « Mademoiselle » a déjà fait l’objet de plusieurs appels ou pétitions par le passé. Aujourd’hui, ce sont les Chiennes de Garde, le célèbre collectif contre le sexisme, et Osez le Féminisme, la jeune association qui monte et a beaucoup fait parler d’elle récemment (avec sa campagne « Osez le clito » et ses prises de positions lors de l’affaire DSK), qui lancent leur campagne : « Mademoiselle : la case en trop ».
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Il y a dix jours, également, des enseignantes-chercheuses adressaient une lettre ouverte, assortie d’une pétition, au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, s’opposant « à la publication sur les listes officielles de candidature des informations privées, telles celles apparaissant dans la distinction Madame/Mademoiselle et Nom de jeune fille/ Nom d’épouse » pour les candidates aux élections du Conseil national des universités.
Pour elles (et eux, de nombreux hommes figurant dans la liste des signataires), « cette publication constitue une intrusion dans la vie privée des candidates et une inégalité de traitement entre les candidats et les candidates. »
Une distinction « pénible et ridicule »
Laurence Waki, « simple citoyenne française » qui ne se revendique pas comme féministe, a écrit un ouvrage « pro-abolition » sur le sujet, Madame ou Mademoiselle ? (éditions Max Milo, 2006).
« Je trouvais cette distinction de plus en plus pénible et ridicule. En plus, ce n’est pas quelque chose que l’on choisit : on vous l’impose. Et on fait croire aux femmes que c’est une formule de politesse… »
« Mademoiselle S. », du blog féministe Les Entrailles de Mademoiselle, pourtant « pas fan » d’Osez le Féminisme, trouve la campagne « pas complètement idiote ». « Madame ou Mademoiselle : la question revient à ‘tu appartiens à ton père ou ton mari ?’ En France, le fait que les femmes s’approprient ce terme (pour diverses raisons) sans le critiquer, prouve qu’on est à la ramasse. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir les réactions lors de l’affaire DSK… »
Pour Laurence Waki, le terme « mademoiselle » ne sert à rien. « Si je prends un abonnement aux Inrocks, à quoi ça sert de savoir que je suis mariée ou non ? En France, nous sommes particulièrement rétrogrades. En Allemagne, en Suisse, on n’utilise pas ce mot. Au Canada, c’est même une insulte ! »
La civilité « Mademoiselle » n’a aucune base légale, comme le rappelle Laurence Waki. La réponse ministérielle n° 5128 du 3 mars 1983 le dit clairement : « L’existence des deux termes différents pour désigner les femmes mariées et celles qui ne le sont pas constitue une discrimination à l’égard des femmes puisqu’une telle différenciation n’existe pas pour les hommes. »
Un problème de « connaissance du sujet »
Donc, si les hommes non mariés ne reçoivent pas leur courrier au nom de « Damoiseau Untel », pourquoi les femmes célibataires y ont-elles droit ? « C’est une habitude des administrations. La difficulté est de faire supprimer quelque chose qui n’existe pas dans la loi », avance Laurence Waki, amère. « Car ‘Mademoiselle’ est une formule qui n’a pas plus de valeur légale que ‘cordialement’. La plupart des gens ne le savent pas« , dit-elle, rappelant que de nombreux systèmes informatiques ne permettent pas de faire appeler « Madame » une célibataire – comme le raconte de manière cocasse Roxane, jeune militante féministe, sur son blog. Elle précise :
« Quand j’ai décidé de faire ce basculement Mademoiselle/Madame, ce sont les administrations d’Etat avec lesquelles j’ai eu le plus de mal. Certaines m’ont même demandé une copie de mon certificat de mariage ou de compléter des formulaires en mentionnant bien le nom de mon mari ! Pour le secteur privé, c’est plus un problème de connaissance du sujet. Etant informaticienne dans un groupe de banque/assurance, j’ai pu le constater par moi-même. Avant mon arrivée, il n’y avait aucune dissociation entre le régime marital et la civilité dans les programmes que je devais refaire. »
Mais la question divise, y compris chez les femmes : une partie des jeunes célibataires ne souhaite pas se faire appeler « Madame ». Pour Mademoiselle S., « C’est désespérant, mais c’est compliqué. Déjà, il faut savoir pourquoi : est-ce par coquetterie ; pour affirmer son indépendance en disant ‘J’ai 28 ans, je ne suis pas mariée et je vous emmerde’ ; ou au contraire pour dire qu’on cherche à se marier ? De toute façon, les femmes font ce qu’elles veulent et peuvent se faire appeler Madame ou Mademoiselle : le féminisme n’a pas à être donneur de leçons. »
Une idée que rejoint Laurence Waki : « C’est bien de vouloir supprimer cette case, et ça n’empêchera pas les femmes qui le souhaitent de se faire appeler ‘Mademoiselle’ si elles le préfèrent. »
Alors que des voix s’étaient déjà élevées dans le passé pour réclamer l’abandon de l’usage de « Mademoiselle » (comme cette pétition des Chiennes de Garde, en 2006), la campagne d’aujourd’hui va-t-elle porter ses fruits ? En tout cas, en matière d’agitprop, Osez le Féminisme sait y faire.
Eléonore Quesnel
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