Un rapport remis à la ministre de la Culture propose de développer “l’entrepreunariat” dans le secteur culturel en France. Des pistes sont proposées pour que les multiples projets culturels puissent mieux se structurer et se pérenniser.
Confrontée à la diminution de ses ressources budgétaires et aux divers blocages de ses modes d’organisation, comme l’illustre depuis plusieurs semaines le conflit des intermittents, une politique culturelle digne de son nom est aujourd’hui tenue de remodeler ses règles figées dans le formol d’une grandeur (dé)passée.
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Convaincue depuis son arrivée rue de Valois qu’il « n’y aura pas de redressement productif sans redressement créatif » et qu’il faut « valoriser pleinement les externalités positives de la culture », la ministre Aurélie Filippetti s’intéresse notamment à la question de « l’entrepreunariat » dans le secteur culturel, au point d’avoir commandé avec la ministre du redressement productif et du numérique Fleur Pellerin un rapport sur le sujet.
Comme nous le rappelle Steven Hearn, l’auteur du rapport remis aux deux ministres en juin dernier, « la professionnalisation du secteur culturel a renouvelé depuis une vingtaine d’années la figure de ses entrepreneurs ». Beaucoup de ces entreprises sont jeunes (moins de 3 ans d’existence), faiblement capitalisées, pilotées par des gens âgés entre 35 et 40 ans pour la majorité. Steven Hearn, 42 ans, incarne à lui seul cette figure de l’entrepreneur culturel, mobilisé sur plusieurs fronts à la fois depuis qu’il a créé en 2000 une agence d’ingénierie culturelle « le troisième pôle ».
En 2008, il réunit l’ensemble de ses participations dans une structure holding, « Scintillo » et développe la résidence « Créatis », incubateur dédié aux entrepreneurs de la culture. Aujourd’hui en charge de la délégation de service public de La Gaîté Lyrique, il gère aussi l’exploitation du Trabendo, salle de concert, du Saint-André-des-Arts, salle d’art et d’essai, et s’intéresse aussi au développement des revues (Tsugi, Reggae Vibes, Mouvement, disparue en mai dernier)…
Au plus près des réalités de ce champ d’activité, il en saisit parfaitement les enjeux et les limites, parfaitement identifiées dans le rapport. Ces entreprises culturelles, rappelle-t-il, commercialisent un produit ou un service culturel, en étant immatriculées au registre du commerce et des sociétés. Parmi elles – environ 200 000 réparties sur tout le territoire –, on compte essentiellement des sociétés de production et de distribution, des agences d’ingénierie culturelle, des sociétés de presse, des exploitants de salles, des tourneurs, des sociétés d’agents, des galeries d’art, des agences de relations publiques, des sociétés de portage… « Elles ne rassemblent pas tous les acteurs du secteur, et notamment pas les associations, certaines compagnies, scènes nationales, centres dramatiques ou établissements culturels » précise Steven Hearn.
Et de rajouter : « une entreprise culturelle est une société comme une autre qui ne requiert pas de régime spécial ». Mais, le vrai souci tient au fait que ces entreprises culturelles restent souvent « discriminées » et « insuffisamment identifiées comme vecteur de création, d’emploi et d’innovation ».
« Les pouvoirs publics n’ont, par exemple, pas inscrit les entrepreneurs du secteur culturel au sein de leurs réflexions sur l’entrepeunariat (pacte national de croissance…) » regrette Steven Hear.
« Peu compris et mal accompagnés, les entrepreneurs culturels ne sont pas pris au sérieux, ni soutenus par les pouvoirs publics et les acteurs de la vie économique » insiste le rapport conçu à partir d’une centaine d’entretiens avec des entrepreneurs culturels, mais aussi des investisseurs, banques et élus. Au fil de ces entretiens, Steven Hearn a été frappé de mesurer combien les entrepreneurs culturels n’avaient pas les connaissances ou les moyens de mettre en œuvre leur projet, « surtout au stade de l’amorçage ». La structuration de ces sociétés est souvent hasardeuse et commence par la constitution d’une association. Comment permettre alors le déploiement d’une activité structurée et pérenne ?
C’est à partir de cet enjeu primordial que le rapport propose huit recommandations techniques précises, visant à « sortir de la spirale antiéconomique ». L’idée qui s’impose et traverse la plupart d’entre elles insiste sur la nécessité que l’entreprise du secteur culturel soit reconnue comme « un acteur économique à part entière qui galvanise la création artistique, l’innovation, l’emploi et l’attractivité du territoire ».
Pour Steven Hearn, « la France, pionnière pour la densité territoriale de ses équipements et acteurs culturels, pourrait être un laboratoire propice à l’épanouissement de l’entrepreunariat culturel ». Les recommandations reposent sur cette invitation à favoriser ces initiatives diversifiées qui créent des emplois et génèrent des revenus (200 000 entreprises qui emploient l’équivalent de 1,4 million de personnes). La puissance publique doit en particulier accompagner la structuration du secteur en créant « des outils d’accompagnement et de financement avant que les acteurs privés prennent le relais » : les Régions et Bpifrance pourront être les opérateurs publics de ce soutien, qui passerait notamment par la création d’un fonds consacré à l’amorçage dans le secteur culturel à hauteur de 200 millions d’euros sur cinq ans. Conscient de l’ambiguïté potentielle de l’expression « entrepreunariat culturel » et des malentendus possibles qu’elle serait censée générer auprès des critiques du capitalisme néo-libéral, Steven Hearn défend une vision pragmatique et déconnectée d’un éloge aveugle des lois du marché.
« Ne pas s’exonérer des logiques entrepreunariales ne veut pas dire se soumettre à des logiques capitalistes exacerbées », précise-t-il.
C’est pour cela qu’il insiste la nécessité d’engager un « changement de mentalités et de paradigme » en soutenant la réflexion sur le rôle de l’entrepreneur dans la promotion de la culture. Ouvertement intéressée et réceptive, la ministre de la culture a déclaré « souhaiter, sur les bases des recommandations, apporter les outils indispensables pour encourager l’entrepreneuriat culturel au profit de la création artistique et culturelle. »
Un chantier à suivre pour le redéploiement du secteur culturel en France, à la fois très vif dans ses intentions et trop fébrile dans ses applications.
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