Face au rejet et à la fétichisation, des hommes gays asia-descendants utilisent l’art du drag pour dénoncer le racisme et retrouver la fierté de leur culture familiale et de leur identité.
« Pas d’asiat’ ». La formule, violente, est courante sur Grindr. C’est ainsi que Nicolas, 23 ans, découvre le racisme anti-asiatique dans la communauté LGBT, après avoir grandi à Bangkok et Singapour. En 2018, il crée son personnage de drag-queen : Nadine Thailand. Un alter ego scénique lui permet notamment de dénoncer cette discrimination. « Mon personnage de Madame Wasabi me donne de la force en tant qu’homme gay et japonais », abonde Shingo, drag-queen de 33 ans vivant à Paris. La capitale ne compte qu’une dizaine de queens asia-descendantes, dans une scène locale de plusieurs centaines d’artistes. Mais leurs performances adressent un message fort à toute la communauté LGBT.
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La plus politique d’entre elles est sans doute Aaliyah Express, Duy dans le civil. Ce Français de 32 ans, né de parents exilés vietnamiens, est drag-queen depuis 2017. En avril 2019, elle cofonde le spectacle Ze Nice Show, en réponse à une consœur ayant fait une blackface. Et avec la volonté d’un divertissement engagé. Sa première édition s’attaque aux racismes, notamment intra-communautaires. Nadine Thailand s’y produit lors d’une deuxième édition sur le même thème. Dézinguant les clichés en tenue traditionnelle, elle tourne en ridicule les « blagues » racistes du film La tour Montparnasse infernale. Six mois plus tard, Aaliyah Express dénonce, dans une performance pour Le Monde Festival, l’appropriation culturelle, qui puise dans les codes d’une culture tout en rejetant celleux qui en sont issu·es.
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L’imaginaire d’un corps « docile, imberbe et soumis »
L’antre pan de ce racisme intra-communautaire, c’est la fétichisation. Soit l’attirance pour une seule origine. « Quand tu comprends que ton mec est avec toi uniquement pour cela, sans considérer l’individu derrière cette étiquette, c’est très douloureux, se souvient Aaaliyah. Pour lui, tu es interchangeable avec n’importe quel autre asiatique. » Madame Wasabi confie recevoir des « Rentre dans ton pays !« , de la part de prétendants éconduits. « Certains hommes blancs pensent que les hommes asiatiques couchent facilement. Ils acceptent mal le refus ».
Le militant anti-raciste Jean-Victor Rath Vireah réfute l’idée de « simples préférences », dès lors qu’elles se forment sur un critère racial. « Cette attirance s’appuie sur un imaginaire colonial et déshumanisant d’un corps asiatique docile et imberbe, détaille celui qui intervenait en janvier 2020 dans le cadre de la Semaine LGBT chinoise à Paris. Ces fétichistes fantasment un homme asiatique qui serait passif, dans l’activité sexuelle et dans l’attitude. La dynamique de domination est très présente dans ce type de racisme. »
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Rire des dominants et non des dominés
Sur scène, les drag-queens asia-descendantes surjouent la culture qui leur vaut rejet et fétichisation. Rien d’étonnant : sublimer par l’exagération ce pour quoi on vous discrimine est l’essence-même de l’art drag. Nadine s’inspire de démons thaïs, du qipao chinois, de la pop thaï qu’elle écoute avec sa mère. Et, évidemment, de l’émission Drag Race Thailand. Aaliyah récupère des costumes traditionnels de sa mère. Elle puise dans les albums de famille et les films de son enfance. La drag-queen performe en vietnamien, langue parlée à la maison. « Je m’inspire aussi des mangas et des animes que je regardais ado », ajoute-t-elle. « Je m’amuse à ne pas dire d’où vient mon personnage. C’est comme un restaurant ‘sino-japo-viet-thaï-coréen’ du 13ème arrondissement fait pour les Blancs », rigole-t-elle.
Mais à force de mobiliser des clichés pour les dénoncer, Aaliyah s’est posé la question d’entretenir malgré elle les stéréotypes. Elle s’autorise le hanfu chinois et le kimono japonais. « Ces deux pays qui ont colonisé le Vietnam pendant des siècles. » Et s’est défini des limites. Tout comme Nadine Thailand, elle se refuse les performances en japonais. « Pas ma langue », justifient-elles. Pas de geisha, « sauf pour dénoncer l’amalgame des cultures asiatiques ». Pas d’accent : « c’est raciste, point barre ».
« Bien sûr qu’une drag blanche peut se produire sur une chanson japonaise, anticipe Aaliyah. Mais si elle se grime ‘comme une geisha’, se dessine des yeux bridés et fait ‘l’accent asiatique’, qui n’existe pas, ça pose problème. » Face au « On ne peut plus rien dire » qu’on lui oppose régulièrement sur Twitter, elle recadre le débat. Rappelle le sketch de Kev Adams et Gad Elmaleh, le « Geisha blind test » de Vendredi Tout Est Permis, diffusées récemment à la télévision. « A quoi sert ton ‘humour’ s’il n’est pas dirigé vers ceux qui oppriment, s’exaspère-t-elle. Se moquer de celleux que la société rabaisse déjà au quotidien, ça ne me fait pas rire. »
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