Dans un essai éclairé, le gourou des médias Douglas Rushkoff explique comment appréhender positivement les nouvelles technologies.
Affilié au mouvement cyberpunk, théoricien de la cyberculture et des médias, Douglas Rushkoff est un homme éclairé. Journaliste au New York Times et à la NPR, la radio publique américaine, prof à la New York University, un temps clavier du groupe Psychic TV, il fut encensé par le pape de la contre-culture Timothy Leary. Il est aussi l’auteur du documentaire The Persuaders sur les méthodes de marketing, et de nombreux livres, dont Coercion, essai sur le pouvoir des techniques d’influence sur le consommateur récompensé par le prix Marshall-McLuhan. Récemment, on l’a vu en soutien chaleureux du mouvement Occupy Wall Street.
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Dans son dernier essai, stimulant malgré son titre légèrement effrayant (Program or Be Programmed, « programmer ou être programmé »), Douglas Rushkoff s’interroge sur la façon dont on devrait appréhender les nouvelles technologies. Il part du constat implacable que ces outils inédits sont là, bien présents dans nos vies, qu’on le veuille ou non, qu’on les admire ou qu’on les craigne et qu’on ne reviendra pas en arrière. Et il balaie les griefs les plus courants à propos du net (perte de concentration, conformation au profil dominant sur les réseaux sociaux, piratage, règne du sensationnel, abêtissement, paupérisation de la création…), en se montrant résolument positif. Plutôt qu’une résistance « vaine », il estime que les choses peuvent changer si on se montre actif face à la technologie, si on cherche à la questionner au lieu de l’accepter telle qu’on nous la présente.
Pour Rushkoff, « les environnements dans lesquels on passe tellement de temps aujourd’hui ne sont pas naturels. Ils ont été construits par des gens (…) qui ont des idées derrière la tête », c’est-à-dire qui cherchent à modeler le monde selon leur intérêt.
Prendre le contrôle de la machine
Par exemple, Facebook n’existe pas pour que nous nous fassions des amis, mais pour que d’autres puissent monétiser nos relations. Pour ne pas être « programmé » par la technologie, il est donc important d’apprendre à en connaître les biais. Vigilant sans être réactionnaire, Douglas Rushkoff passe ainsi en revue dix tendances vers lesquelles la technologie nous entraîne à notre insu et dix attitudes à adopter pour les infléchir afin que ce soit l’individu qui maîtrise la machine et non l’inverse : « Ne pas toujours être là », « On n’a jamais entièrement raison », « Etre soi-même », « Ne pas vendre ses amis », « Dire la vérité »…
Il s’agit par exemple de ne plus subir la temporalité asynchrone de la machine, mais d’en prendre le contrôle, en refusant d’être en permanence connecté. Ou bien d’avoir conscience que le net favorise les interactions à distance et donc qu’il est bon de se réapproprier ce qui est local pour retrouver de la proximité. Douglas Rushkoff recommande également de résister aux choix forcés comme les recommandations automatiques, de ne pas confondre la réalité avec la représentation simplifiée du monde que donne la technologie (tout en reconnaissant l’intérêt de la simplification dans la diffusion des connaissances) ou d’abandonner l’anonymat, pour être plus à même d’insuffler de l’humanité dans le numérique.
Gare au monopole technique
Derrière ces préceptes simples sans être simplistes, Rushkoff développe une vision avertie, globale et militante. Il plaide ainsi pour la création de nouvelles monnaies d’échange, pour l’open source, pour les créations collaboratives, pour une interactivité qui demande implication et réflexion. Il s’intéresse aux nouvelles normes du droit d’auteur (Creative Commons). Il met l’accent sur l’éducation, regrettant que l’on n’encourage pas les élèves à aller au-delà de la simple utilisation des machines.
En filigrane, il s’attaque aux menaces que font peser les grandes entreprises sur tout ce qui pourrait menacer leur monopole technique, à commencer par les nerds et les hackers, ghettoïsés. Il déplore l’appropriation du net par les multinationales qui en font un lieu bien plus fermé qu’à ses débuts, mais se réjouit qu’internet permette de révéler leurs mensonges et de déconstruire le storytelling.
Dans ce rafraîchissant plaidoyer pour l’ouverture – du net et de l’esprit -, il délivre un message optimiste et proactif, ne cessant de croire qu' » il y a une place pour l’humanité dans le nouvel ordre cybernétique ».
Anne-Claire Norot
Program or Be Programmed (Soft Skull Press), 156 pages, environ 12 euros
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