Le cas 11 femmes de ménage des toilettes publiques de la ville de Paris était examiné mardi par le conseil des prud’hommes. Le juge a finalement annoncé qu’il ne délivrerait une décision que dans trois semaines. Reportage.
Au pied du Sacré Cœur à Montmartre, devant les toilettes publiques, ou bien à Châtelet : les rassemblements de protestation se sont multipliés. Tout l’été, la détermination des anciennes employées de STEM Propreté, la société chargée de l’entretien des toilettes publiques de la capitale, n’a pas faibli.
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Autour de 10h, le mardi 8 septembre, une vingtaine de personnes se rassemblent dans le hall du Conseil des prud’hommes de Paris, rue Louis Blanc. Sur les 11 salariées en lutte, 6 sont présentes avec des soutiens, notamment du syndicat Force Ouvrière.
« Ce n’est pas la peine de venir travailler demain »
La lutte commence le 30 juin dernier avec un coup de téléphone de la société néerlandaise 2Theloo, à prononcer « to the loo » (« aux toilettes » en anglais) comme le rapporte Force Ouvrière. Le message aux employées était clair : « ce n’est pas la peine de venir travailler demain, vous avez 24 heures pour récupérer vos affaires, on vous tiendra au courant pour la suite ».
La convention collective de propreté et l’article L1224-1 du code du travail en France obligent un prestataire qui reprend un marché à continuer avec les employées dans les mêmes conditions qu’auparavant. Lorsque la ville de Paris, a cédé le marché de la gestion des toilettes de la capitale à 2theloo, l’entreprise aurait du donc reprendre les salariées de STEM, entreprise sortante. Cependant, 2theloo se défend d’être une société de nettoyage, et se voit comme une entreprise commerciale au « concept innovant et luxueux« , pour qui le profil des salariées ne correspond pas. Le salaire n’est a priori pas un problème: les employées, qui travaillent dans le milieu depuis 30 ans en moyenne, sont payées au smic.
L’affaire est peu à peu arrivée dans les colonnes des journaux, une médiatisation qui n’a pas du tout plus à Eric Fallis, PDG de 2theloo en France: « C’est une affaire très compliquée, certains journalistes n’ont pas réellement saisi [sa] complexité ».
Pour l’homme d’affaire, cette histoire est symptomatique de la France : « On vient d’ouvrir une boutique à Londres, on s’installe dans les capitales Européennes où on accueille des gens avec un certain standard. En France, on ne veut jamais rien changer. Chacun a une place, il faut simplement que je le juge se demande ce qu’est STEM et ce qu’est 2theloo ».
Un « comportement incroyablement inédit »
L’avocat des 11 salariées qui veulent continuer à travailler attaque le premier. A la barre, il demande la réintégration et le rappel des salaires pour les 11 salariées, sans revenus depuis le mois de juillet.
« Tous les éléments sont réunis pour que le conseil juge que la société Saviro [groupe de la société 2theloo] est dans l’illégalité »
Ce n’est pas la première fois que les toilettes changent d’exploitant, relève-t-il: Saviro est le 5ème repreneur et « il n’a jusque-là jamais été question de ne pas poursuivre avec les salariées » lance l’avocat, « c’est un comportement incroyablement inédit ».
L’identité de 2theloo au cœur du procès
L’avocat, avec ironie, entre dans les détails de «l’innovation stupéfiante» de 2theloo et lit à la barre la description de la société sur son propre site internet.
« 2theloo est un concept innovant de service offrant des toilettes publique toujours propres »
« Nous ne sommes pas sur le même marché, je ne paie pas la ville de Paris pour nettoyer les toilettes, ou alors je suis idiot », répond le représentant de 2theloo pendant son plaidoyer.
« Nous avons une boutique de luxe où nous vendons des brosses de toilettes, des cuvettes. Nous n’avons pas d’usagers mais des clients »
A qui la faute ?
L’avocat de 2theloo rappelle que la CFDT, qui défend certaines des salariées, accuse également STEM d’être responsable du sort des salariées. Pour Jean Hedou, secrétaire général de la Fédération Équipement, Environnement, Transports et Services de Force Ouvrière (FEETS FO),la CFDT fait « fausse route » : « l’ancien employeur ne va rien faire, ce n’est légalement pas son problème ». Le syndicaliste qui a calculé qu’actuellement, « 2theloo peut se faire dans les 3000 euros de recette par jour », rappelle que « c’est la seconde fois que 2theloo tente sa manœuvre, ce n’était pas passé avec la SNCF… »
Sans aucune charge contre eux, la Mairie de Paris et la STEM sont présentes au procès. La représentante de la ville de Paris « attire l’attention des candidats sur le respect de la convention collective » et se dit « sensible au sort des demanderesses ». Quant à la STEM, elle affirme que son activité est la même que celle de 2theloo, et critique la « réécrituree de la convention collective » par le groupe Saviro.
« J’étais stressée, je le suis encore plus »
Le juge clôt la séance en annonçant qu’une décision sera rendue publique le 29 septembre. A la sortie du Conseil des prud’hommes de Paris, la déception se fait sentir. L’avocat des 11 femmes prévient: la lutte est loin d’être terminée, « il faut qu’on se prépare à une confrontation sur la durée ».
Françoise travaille depuis 17 ans en tant que femme de ménage dans les toilettes publiques de Paris. Avant le procès, elle était très stressée « mais là je le suis encore plus car je croyais à une décision aujourd’hui! Je ne m’attendais pas à ça », raconte-t-elle énervée. « Je suis une femme seule, sans mon salaire je n’ai pas d’autre rentrée d’argent. C’est long jusqu’au 29 septembre ».
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