Ils toquent à la porte de votre bureau tout en sueur, et filent en danseuse livrer un autre colis. Mais coursier à vélo, ce n’est pas qu’un métier, c’est un style de vie. Rencontre avec communauté urbaine sportive et fêtarde.
Il n’y a pas que le Tour de France dans le monde du cyclisme, il y a aussi les Championnats français et finlandais de coursiers à vélo. Le week-end dernier, pour la première édition de ces rencontres binationales, les fous du guidon filaient entre les entrepôts de la zone industrielle de Bobigny. C’est là que 50 coursiers se sont affrontés lors de la finale de la Mainrace, course principale de toute grand-messe de livreurs à vélo. 2h30 de pédalage à fond, de livraisons de plis fictifs et d’arrosage au Picon.
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L’occasion de découvrir une tribu urbaine internationale avec ses codes, son langage et ses pratiques.
Où les trouver
[attachment id=298]Dans les mégalopoles, surtout européennes. “C’est forcément une activité urbaine, puisque nos clients sont en ville”, fait remarquer Félix, coursier depuis deux ans. A Paris, ils se retrouvent dans les locaux d’Urban Cycle, l’entreprise de coursiers à vélo la plus active dans la capitale, à deux coups de pédale de la place de la République. Les employés d’autres entreprises les y rejoignent pour réparer leurs vélos autour d’un verre, et le plus souvent, ça se finit au bar du coin.
Combien sont-ils ?
“C’est une communauté très soudée et particulière, mais ils ne sont pas si nombreux”, estime Sandrine, rédactrice en chef du site Bike4all, qui suit les coursiers au gré des compétitions. Ce week-end, à Paris, ils étaient une grosse centaine pour les championnats, et environ 400 aux mondiaux de Tokyo, en 2009, selon Raphaël, coursier suisse (et numéro 1 du championnat finlandais). Le milieu est majoritairement masculin.
Le style coursier
[attachment id=298]“On n’est pas très à cheval sur l’élégance”, confesse Félix, tee-shirt de sa boîte sur le dos et petite casquette sur la tête. Hybride entre le style cycliste (maillots fluos et cyclistes) et le streetwear, la tenue du coursier à vélo va au plus pratique : casquette à petite visière, casque, short ou pantalon remonté au mollet, tee-shirt corporate, gros sac de coursier en bandoulière (pour y fourrer tous ses plis), petite sacoche à la taille (pour les outils) et antivol avec sa clé portée autour du poignet (pour repartir fissa). Le tatouage est de bon ton, mais le plus important, c’est quand même le vélo. En service, c’est le modèle de route qui domine, avec ses roues très fines pour frotter le moins possible sur le bitume.
Le métier
« Ton bureau, c’est ton vélo, et c’est aussi Paris », explique Phil, ex-coursier et cofondateur d’Urban Cycle. Avec environ 100 km parcourus chaque jour, il faut tenir la route physiquement et connaître la ville comme sa sacoche à outils. « On est plus rapides que des motos, on se faufile partout », explique Félix. La rédactrice en chef de Bike 4 all rigole : « Ils grillent tous les feux rouges, oui ! » Le but : livrer les plis le plus vite possible, en étant poli avec les clients, malgré le stress de la circulation, la pluie, la neige, etc.
L’esprit coursier
“Etre libre sur ton vélo, suer et faire des bornes, c’est ça l’esprit”, résume Phil. Leur monture sert moins une attitude écolo qu’une envie d’indépendance et de convivialité. « A vélo, on peut parler avec les autres, on peut coopérer sur la route, les voitures ne font pas ça », dit Andy. Un bon esprit dans le travail comme dans la compétition. « On s’héberge les uns les autres pour les événements internationaux, il y a une très bonne ambiance » raconte Raph’. Leur moteur, c’est le vélo. Une mécanique qui carbure à la bière : des 800 canettes achetées pour le championnat, il ne reste plus une goutte au départ de la Mainrace.
D’où viennent-ils ?
Parfois du sport, comme Andy, passé du triathlon et du VTT au métier de coursier à vélo pour arrondir ses fins de mois. Beaucoup d’étudiants ou de jeunes adultes y viennent parce qu’ils ont besoin d’un petit boulot. Les horaires flexibles conviennent aussi à des gens qui travaillent à temps partiel ou en free-lance.
Tribus proches
Les punks. “Ce sont un peu des punks à vélo” dit Sandrine. Félix confirme : “On n’est pas soucieux de notre apparence ni de notre hygiène de vie, on est sale toute la journée et on aime faire la fête.” Mais des punks avec une vie stable, des missions sérieuses, et ceux qui ne sont pas à l’heure au travail ne feront pas long-feu. D’ailleurs, Félix rapproche sa tribu des pompiers, « pour le côté beauf et bon vivant ».
Leurs ennemis
« Les tocards en général, qu’ils soient à vélo ou en bagnole, ceux qui se rendent dangereux sur la route à cause de leur légèreté », explique Phil. Un coursier d’Urban Cycle se fait plus précis : “Les taxis. Ils sont sur la route toute la journée, comme nous, sauf qu’eux ils croient que ça leur donne le droit de faire n’importe quoi”, témoigne-t-il.
Leur vocabulaire
Aux championnats, ça crie « A poil ! » à tout bout de champ. Une expression qui exprime la joie et l’encouragement. Le point sur quelques autres expressions incompréhensibles :
« Chistole » : concept de joie et de fête. Difficile d’identifier l’origine de ce mot d’argot, c’est un cri de ralliement qui sert à s’encourager, au travail et dans des compétitions.
« Alleycat » (chat de gouttière, en anglais) : course d’orientation, souvent nocturne. Les participants reçoivent une liste d’adresses et organisent leur ordre de passage.
« Fakenger » (contraction de « fake », bidon, et « messenger », coursier): « Il a tout du coursier, sauf le job« , plaisante Francis, employé de Coursier.fr et fakenger assumé. “J’ai tout le matériel et je roule toujours en ville à vélo, mais je ne suis pas coursier.”
« Envoyer le bois » : 1) Appliqué à un coursier en action, « rouler très vite ». 2) Dans le cas d’une soirée ou d’un événement, exprime enthousiasme et satisfaction.
Les événements qui les rassemblent
« On en chie toute l’année tout seul sur son vélo, explique Raph’, donc c’est sympa de pouvoir se retrouver tous ensemble dans les championnats internationaux. » Plus régulièrement, au niveau local, les alleycats et autres concours permettent aussi aux coursiers de se réunir. Des événements pas toujours autorisés, qui se déroulent la plupart du temps sans débordements. Il y a un côté libertaire et peu conventionnel chez les coursiers, que ne nie pas Basile. « Est-ce que des gens conventionnels voudraient risquer leur vie sur la route pour livrer des colis ? »
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