Rencontre avec Michel Pastoureau, qui vient de publier au Seuil l’ouvrage “Jaune”. L’historien médiéviste spécialiste des couleurs décortique pour “les Inrocks” les teintes vestimentaires de cette saison, tout en s’interrogeant sur les pièces intemporelles.
Au fil des années, Michel Pastoureau s’est largement imposé comme le spécialiste français des couleurs et de leur symbolique. Ainsi, le bleu, le noir, le vert et le rouge ont déjà fait l’objet de livres enrichissants de la part de l’historien médiéviste. Il vient par ailleurs de publier au Seuil Jaune – Histoire d’une couleur. S’intéressant à la mode – “à ma grande surprise, l’historien du Moyen Age que je suis a été reçu dans ce milieu” -, se rendant parfois sur les catwalks – il fut invité d’honneur du défilé Dior en 2018 -, voire travaillant avec certaines de ses figures – il a collaboré sur un manuscrit avec “l’excentrique” Jean-Charles de Castelbajac -, il revient avec générosité pour les Inrocks sur son nouvel ouvrage et sur les teintes vestimentaires de la saison. Entretien.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
D’après vous, “tout le monde a des curiosités pour les couleurs”. Comment est née la vôtre ?
Je viens d’une famille de peintres. Mes oncles étant artistes, j’ai grandi dans leurs ateliers. Quel terrain de jeu exquis pour un petit garçon ! Mon père était proche d’André Breton. J’avoue qu’il me faisait peur, mais il m’apportait des crayons de couleur. Il a été mon premier professeur. Enfant, j’aimais déjà intensément le vert. Insaisissables, les coloris touchent au culturel, au poétique, à l’affectif ou à l’onirique.
Il y a selon vous régulièrement dans la mode “un rejet des teintes vives, et une priorité au blanc, au noir, au gris et au brun”. Pourquoi ?
Lorsqu’Adam et Eve ont été chassés du paradis, ils ont dû mettre des vêtements, symbole du péché originel. Le mot latin « celare » [de la même famille que le terme « color », ndlr] signifie « dissimuler » : la couleur est donc ce qui cache, ce qui habille. Sa première fonction ? Révéler le sexe, l’âge ou le milieu social des individus. Or, nous sommes plus libres aujourd’hui, et, en occident, la mode collective privilégie la discrétion, même si cela dépend des personnes.
Les couleurs foncées ont par ailleurs la cote, car elles sont « amincissantes ». On note aussi un retour du blanc, qui évoque une sobriété intemporelle et pure. Les pastels, eux, expriment une envie de douceur dans un monde violent. Concernant le noir, c’est le Duc de Bourgogne qui avait lancé cette mode, après l’assassinat de son père. Cette teinte, si difficile à obtenir, était élitiste – elle reste d’ailleurs aujourd’hui associée au luxe et au chic : il n’y a jamais de faute de goût lorsque l’on arbore une petite robe noire. Enfin, une dernière alternative : les nuances de gris.
Votre nouveau livre est consacré au jaune. En quoi cette couleur est-elle paradoxale et impopulaire ?
Si à l’Antiquité, le jaune incarnait la lumière, la chaleur, la joie et la prospérité, à partir du Moyen Age, il prend une connotation négative, et devient synonyme de maladie, de vieillissement, d’avarie ou de trahison. Mal aimé en occident, il est difficile à porter : comme le jaune change en fonction de la lumière, il ne sied pas à l’ensemble des teints ou des chevelures – même si les blondes enflamment l’imaginaire depuis l’époque féodale.
Ceci dit, l’orangé, qui est un dérivé du jaune, apparaît désormais par petites touches dans la mode ou la déco, de même que les accents moutarde ou jaunâtre (voir le limoncello). Le jaune est également apprécié sous son aspect doré, même s’il est concurrencé par l’argenté. Par ailleurs, cet hiver, l’usage des paillettes reflète l’envie d’éclairer son teint et d’attirer la lumière. Par exemple, l’impératrice Eugénie en mettait plein dans ses cheveux et ses robes.
>> A lire aussi : Michel Pastoureau : “Choisir le jaune comme emblème, c’est à la fois courageux et dangereux”
En quoi le beige, qui est une teinte “récente”, est-il plus attirant ?
Il existe six couleurs de base, et cinq tonalités de second rang. S’il fallait en ajouter une, ce serait le beige, qui est un dérivé plus admissible que le jaune, dans le sens où il a des accents bruns. Il va aussi bien aux femmes qu’aux hommes.
Le bleu denim ou “tatouage” reste un must…
Si pendant des millénaires, c’est le rouge qui était surtout plébiscité, depuis le Moyen Age, c’est le bleu qui est apprécié par 50 % des Français, tous milieux et sexes confondus. Malgré de nouvelles matières, lumières et modes, il reste le favori, parce que cette couleur incarne le rêve. Son côté pacifique et neutre plaît en occident, et tous les bleus se marient entre eux. Le jean contribue par ailleurs à son succès.
Comment imaginez-vous la mode de demain ?
J’admire l’inventivité ou le génie chromatique des créateurs et des peintres, mais la mode évolue lentement. L’arrivée de nouveaux textiles fera parler les couleurs différemment. L’occident ne gardera pas le leadership. Par ailleurs, une chape morale pèse encore sur le vêtement, et il n’est pas évident de s’en affranchir. Si j’étais styliste, j’investirais dans le jaune car il attire l’œil. Il a de l’avenir !
Si vous étiez une couleur…
Mes filles se moquent de mon côté “peintre du dimanche”, tant ma palette se compose de gris. Mais au fond, je suis arc-en-ciel.
Propos recueillis par Kerenn Elkaïm
Jaune – Histoire d’une couleur, de Michel Pastoureau, éd. du Seuil, 240 p., 39 €
{"type":"Banniere-Basse"}