Même dans les quartiers Nord, les élus de la diversité doivent faire allégeance à des dynasties politiques qui délaissent les cités populaires. Plongée dans une impasse.
Quartiers Nord de Marseille. Les XIIIe, XIVe, XVe et XVIe arrondissements n’ont jamais été riches. Depuis cinquante ans, les migrants viennent s’installer dans cette zone de la ville, coupée du centre sans en être éloignée – à peine dix minutes du Vieux-Port.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Comoriens, Maghrébins, natifs de l’ouest et du centre de l’Afrique, cette immigration a succédé aux vagues espagnole, italienne et polonaise. Sans qu’en émerge à ce jour un grand nom de la politique locale. Dans le XIVe arrondissement, une Austin Mini flambant neuve sillonne les rues. Petit coup de klaxon pour alerter les gamins qui traînent, appel de phares en guise de salut. Les passants qui posent plus d’une seconde leur regard sur le véhicule rendent le bonjour. Un peu las, un brin amusés.
Sur le coup de 20 heures, entrée dans une grande copropriété, Les Rosiers. En mars 2010, un tireur isolé s’était amusé à balancer du plomb sur ses habitants. Le GIPN s’était alors baladé dans le quartier. En février, les flics sont revenus dans le cadre de l’opération Brennus. Après de nombreux règlements de comptes sur fond de trafics de drogue dans les cités, l’Etat avait décidé, fin 2010, de multiplier les descentes dans les quartiers chauds pour frapper le business au coeur. Sans succès autre que dans la presse. La loupe médiatique s’était alors posée sur la cité, ses tours défraîchies, ses huit cents appartements surpeuplés, classés depuis 2007 au patrimoine architectural du XXe siècle – classement empêchant toute possibilité de démolition.
La Mini fait halte devant un local à la lumière pâle. Sa conductrice la gare en vrac, après avoir reçu l’assurance de deux habitants de la cité qu’elle ne risquait rien là. Elle bondit hors du véhicule : “Alors, toi, toujours aussi beau ? Et toi, comment vont les enfants ?” “Bien, madame la députée, et vous ?” Scène de campagne ordinaire pour Sylvie Andrieux.
Deux politiques blancs face à une assemblée noire
Sur ses terres, la blonde quinqua est venue soutenir Michel Pezet, candidat au poste de conseiller général sur le canton. Dans le local exigu, des représentants de l’importante communauté comorienne, qui appellent Pezet, ancien adjoint (et quasi-opposant) de Gaston Defferre, “Papa”. Discours sur les moyens d’améliorer le quotidien, soucis de copropriété, manque de transports en commun.
Une réunion électorale et une image saisissante. Deux politiques blancs face à une assemblée noire, qui les assure de son soutien à la veille du second tour des cantonales. Pas d’encarté socialiste comorien venu faire la promo des élus, encore moins de candidat en position éligible. Lors des dernières cantonales, aucun homme politique issu de la diversité n’a été élu. Rébia Benarioua et Henri Jibrayel, élus lors du scrutin de 2008, sont les deux seuls conseillers issus de la diversité à siéger (sur un total de cinquante-sept) au conseil général.
Le socialiste Henri Jibrayel, né à Marseille de parents libanais, s’était déjà distingué l’année précédente en étant élu député dans la quatrième circonscription des Bouches-du-Rhône. Les scrutins uninominaux ne sourient guère aux personnes d’origine algérienne, marocaine et comorienne, à l’inverse des scrutins municipaux et régionaux. La différence tient essentiellement au mode d’élection.
Lors des municipales ou des régionales, ce sont des listes qu’on présente derrière une tête d’affiche. Difficile donc pour les élus de la diversité de se faire un nom dans une ville, certes métissée, mais où le manque de renouvellement de la classe politique est un fait : président du conseil général, et patron du PS local, Jean-Noël Guérini a hérité du fauteuil de son oncle et travaillé pour le maire historique, le socialiste Gaston Defferre. Le père de Sylvie Andrieux était également l’un des bras droits de Defferre. Quant au député socialiste, Christophe Masse, il a hérité du siège de son père Marius à l’Assemblée nationale, auparavant détenu par son grand-père Jean Masse…
« Vingt-six ethnies cohabitent »
Enfin, élu en 1965 sur la liste socialo-centriste menée par Gaston Defferre, le maire Jean-Claude Gaudin est installé à l’hôtel de ville depuis seize ans. Pour les non-adoubés, les baronnies sont quasi imprenables. Seule fenêtre de tir, les scrutins de liste. Les élections municipales et, à un degré moindre, les régionales et européennes, permettent de lancer des ballons d’essai, de faire de la place aux générations issues d’une immigration autre qu’italienne…
“Dans les XIIIe et XIVe arrondissements, il y a vingt-six ethnies qui cohabitent. Lors des élections municipales, il est important de présenter des listes qui ressemblent à la population”, assure Sylvie Andrieux. Et j’espère bien avoir les coudées franches pour 2014.”
Tête de liste, Andrieux a laissé le fauteuil de maire de secteur à Garo Hovsepian. Même son de cloche à droite. “A Marseille, tout tourne autour des municipales, décrit le sénateur-maire Bruno Gilles, poids lourd de la droite. On profite des listes pour sortir de nouvelles têtes, y compris issues de la diversité.” Une stratégie qui ne va pas sans caricature.
“On a parfois l’impression qu’on va piocher des gens dans les quartiers et qu’on les baptise politiques, sourit un vieil élu socialiste. La constitution de liste vire parfois au n’importe quoi. On essaie de faire entrer tout le monde, sans qu’il y ait un vrai discours politique derrière. On regarde les patronymes pour voir si l’on n’a pas oublié un représentant maghrébin ou juif. Pas sûr que cela nous serve ni ne nous rende service auprès des électeurs, quelles que soient leurs origines.”
D’origine comorienne, Elisabeth Saïd siège au conseil municipal des IIe et IIIe arrondissements, et demeure à ce jour la seule représentante élue de cette communauté. Si d’autres ont fait leur trou, c’est à l’abri des grands parrains. Adjointe de Jean-Claude Gaudin, Nora Remadnia-Preziosi est entrée en politique en 2001, lors des municipales, parrainée par Renaud Muselier, député UMP et longtemps premier adjoint au maire.
“Il est venu me demander d’être sur les listes de la droite, précise-t-elle. J’ai accepté à la condition de militer là d’où je viens : dans les quartiers Nord.”
Conseillère municipale depuis 2001, elle a raté la députation en 2007, face à Sylvie Andrieux… Intervenant régulier des Grandes Gueules sur RMC, Karim Zéribi a gagné sa place au conseil municipal en 2008. Elu dans les XIIIe et XIVe arrondissements sur les listes socialistes du candidat à l’hôtel de ville Jean-Noël Guérini, conseiller à la communauté urbaine, il a même été nommé à la tête de la Régie des transports marseillais.
Aspirant déclaré à la députation en 2012, il a changé de couleur et porte désormais celle d’Europe Ecologie-Les Verts, tout en restant très proche des Guérini… Si elle prétend qu’elle n’est pas “une héritière”, la maire des XVe et XVIe arrondissements Samia Ghali est bien entrée en politique à 16 ans, dénichée par Patrick Mennucci, figure du PS. “Presque un détournement de mineure”, s’amuse-t-il.
Puis l’énergique Samia s’est retrouvée sous l’aile protectrice de Jean-Noël Guérini, qui en aurait fait sa première adjointe s’il avait été élu maire en 2008. Elle a finalement été élue sénatrice la même année. Encore un scrutin plurinominal.
“Ce sont des candidats produits par le système politique, mais qui ne le renouvellent pas, constate un élu de gauche. Ils ont intégré les codes de la vie politique marseillaise, mais sans prendre d’autonomie.”
De son côté, Nora Remadnia-Preziosi avoue qu’une seule chose la rend méchante : “si on attaque le maire, qui a tellement fait pour moi”. Ebranlé par l’enquête qui a conduit son frère Alexandre en prison depuis le 1er décembre, attaqué dans le rapport Montebourg pour des pratiques clientélistes, Jean-Noël Guérini peut compter sur le soutien de Samia Ghali.
Quant à Karim Zéribi, il est l’un des seuls à avoir affiché son amitié pour Alexandre Guérini, quand la patronne régionale des Verts, Laurence Vichnievsky, n’a de cesse d’attaquer le système Guérini. “Ils ont intégré les vieux schémas qui ne fonctionnent plus, juge le premier adjoint d’une mairie du centre. Quitte à se transformer en gardiens du temple.”
Un temple ébranlé sous les coups de la justice, de l’abstention record et de la montée du vote d’extrême droite. Ancien de la Marche des Beurs des années 80, militant associatif influent depuis, l’artiste plasticien Kader Attia tient un discours cruel sur les élus de la diversité.
“De toute façon, quelle est l’alternative politique qui se présente à eux ? Soit entrer dans le système et essayer de peser, soit se tenir en dehors et penser en marchant, reconstruire un discours politique pour les quartiers.”
Depuis le début de l’année, ces derniers font moins la une. Les règlements de comptes ou les rackets sont relégués en pages intérieures, sans que la situation ait vraiment changé. “Les seuls horizons restent la misère, les emplois aidés ou l’illégalité.” Lors des dernières élections, le Front national était au second tour dans tous les cantons. Quartiers Nord compris…
Xavier Monnier
{"type":"Banniere-Basse"}